Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).
INT Nuit, temps présent, chambre d’hôtel « PARIS-ABBESSES »
Gros plan sur une feuille engagée dans le rouleau de la vieille machine à écrire manuelle de Lucas.
On peut lire :
Alors vînt le soir le plus heureux et le plus triste de mon existence.
Plan sur Lucas (âgé). Il a l’air sombre. Il relit la phrase qu’il vient de taper puis, lentement, enfouit son visage dans ses deux mains.
Fondu sur :
INT Jour, temps passé, métro
On revoit une scène déjà vue au début du premier épisode :
Lucas jeune et Fred accrochés à la même barre, serrés l’un contre l’autre par la foule qui les presse. Fred est élégante, en trench coat Burberry, maquillée, ses cheveux courts apprêtés, d’autant plus belle qu’elle est légèrement plus maigre que la normale. L’œil sombre, elle se mordille la lèvre inférieure.
Lucas :
Nerveuse ?
Fred :
Je ne suis pas nerveuse, j’ai peur. Je n’aime pas avoir peur. On ne devrait jamais avoir peur. C’est abject, la peur.
Fondu sur :
INT Nuit, temps présent, chambre d’hôtel
Lucas (âgé) relève la tête. Il relit encore une fois la ligne tapée à la machine et pose ses mains sur le clavier.
Gros plan sur sa bouche.
Lucas (murmurant) :
La galerie d’art où se tînt l’exposition de Fred était située dans le sixième arrondissement, à l’entrée d’une vieille rue calme aux façades médiévales derrière l’église de Saint-Germain-des-Prés…
Fondu sur :
INT jour (soir), temps passé, galerie d’art
Une galerie chic du Vème arrondissement. Aux murs et sur des chevalets d’exposition, on reconnaît les toiles de Fred dont, bien mise en valeur, la dernière, « El Toro ». Des invités circulent déjà entre les toiles.
Fred et Lucas (jeune) sont accueillis par le propriétaire des lieux, Zawen Galibian.
Galibian : un grand vieillard chic, bronzé, aux longs cheveux de dentelle blanche autour d’un crâne dégarni.
Fred lui tend la joue pour un baiser cérémonieux.
Galibian (chaleureux) :
Voilà notre génie !
Il a un regard interrogatif envers Lucas qui, gêné, timide, emprunté, lui tend la main.
Fred :
Lucas, mon fiancé.
Galibian :
Enchanté, mon cher Lucas…
Sans attendre Il entraîne Fred vers un groupe d’invités.
Lucas (resté seul) :
« Mon fiancé »…
Il sourit, flatté et surpris, et se dirige vers le buffet.
INT Nuit, galerie
Succession de plans de l’exposition :
Une véritable foule envahit maintenant tout l’espace. Il y a une majorité de quadragénaires bien sapés, visiblement riches, de très belles femmes aux toilettes griffées, des jeunes gens à l’allure sage, collègues peintres ou critiques.
Une bande de filles aux allures de musiciennes punk, vêtues de blousons de cuir peints, mènent grand tapage devant El Toro.
Les filles :
Génial, quoi !… Ça défonce !… D’habitude, Duval, j’aime pas trop, mais là, c’est d’la balle !…
Entre les plans de foule, on suit Fred qui, cornaquée par Galibian, circule dans cette cohue. Elle est tout à fait à son aise, rieuse, animée d’un enthousiasme communicatif. On la voit discourir devant des groupes d’invités qui l’approuvent de la tête. Galibian la relaye parfois, pointant le doigt sur tel ou tel point d’une toile pour illustrer le propos, glissant une main protectrice sur son épaule, lui posant des questions, histoire de lui renvoyer la balle.
Lucas, près du buffet où, visiblement, il reste planté, sirote du whisky en observant tout cela.
Lucas (fièrement) :
« Mon fiancé »…
Fondu sur :
INT Nuit, temps présent, chambre d’hôtel
Lucas (âgé), planté devant la fenêtre, regard perdu sur les réverbères de la place des Abbesses, se verse le contenu d’une mignonnette de whisky dans un verre.
Il parle à voix haute, lentement, gravement, ponctuant son propos de silences et de gorgées de scotch.
Lucas :
Ce soir-là, acculé par toute cette troupe dans le coin du buffet, contre la table chargée de bouteilles et de canapés aux garnitures raffinées, à travers les sourires des gens bien, j’ai eu conscience d’un avenir possible… Pour la première fois, j’ai vu dans l’amour entre Fred et moi autre chose qu’un tête à tête de deux solitudes… Plus qu’une simple histoire à jouir et se regarder dans les yeux… Un futur… Moi le paumé, l’irrécupérable, le musicien de bas-fonds… Avec elle à mon côté, je pouvais appartenir au monde… À la vie… Comme si, à travers Fred, le destin me proposait un nouveau départ… Non… C’était le vrai départ… Tout ce qui avait précédé ne méritait que le nom d’erreurs.
CUT
INT Nuit, temps passé, galerie
Lucas et Fred sont prêts à partir. Sur le seuil, Galibian serre Fred dans ses bras avec émotion
Galibian :
Tu as été merveilleuse, bravo !… Maintenant, tu dois te reposer, ma chérie. Et puis tu vas bien manger pour, euh… te remplumer un peu, hein ?
Fred :
Ne t’inquiète pas, à partir de demain, je fais une cure de sommeil, c’est promis.
Galibian (à Lucas) :
Au revoir, monsieur le fiancé. Prenez soin de notre petite protégée, n’est-ce pas ?
EXT Nuit, rue
Lucas et Fred s’éloignent de la galerie, bras dessus, bras dessous. Galibian reste sur son seuil, agitant la main, ses cheveux blancs brillant dans la lumière d’un réverbère.
Fred :
On marche ?
Lucas :
On marche !
EXT Nuit, quartier Saint-Michel
Musique : À Paris, (Francis Lemarque, 1946).
À Paris : À Paris sur la Terre / La Terre qui est un astre…
À Paris…
Quand un amour fleurit / Ça fait pendant des semaines / Deux coeurs qui se sourient /Tout ça parce qu’ils s’aiment…
À Paris…
Lucas et Fred marchent parmi une foule emmitouflée et joyeuse qui déambule entre les vitrines des petits restaurants grecs, italiens et chinois, portant encore leurs décorations de Noël, avec guirlandes et fausse neige.
EXT Nuit, bord de Seine
Musique :
Des taxis en maraude / Qui vous chargent en fraude / Avant le stationnement / Où y’a encore l’agent…
Des taxis…
Au café / On voit n’importe qui / Qui boit n’importe quoi / Qui parle avec ses mains / Qu’est là depuis le matin…
Au café…
Ils marchent enlacés en bord de Seine, le long des caissons fermés des bouquinistes, lentement, précédés par les nuages glacés de leurs haleines. L’eau noire du fleuve reflète les lumières des réverbères et les phares des voitures qui filent vers le Châtelet, sur l’autre berge.
Ils parviennent au Pont-Neuf et s’y engagent.
EXT Nuit, Pont-Neuf
Musique :
Y’a la Seine / À n’importe quelle heure / Elle a ses visiteurs / Qui la regardent dans les yeux / Ce sont ses amoureux…
À la Seine…
Et y’a ceux / Ceux qui ont fait leur nids / Près du lit de la Seine / Et qui se lavent à midi / Tous les jours de la semaine…
Dans la Seine…
Lucas et Fred se sont arrêtés au milieu, à hauteur du square du Vert-Galant. Collée à lui, elle laisse aller son regard sur la ville.
Panoramique : les lumières du Louvre, dont les hauts murs émergent de l’ombre ; le flot rapide et bourdonnant des voitures sur les quais ; la forme massive et carrée de la Samaritaine ; le grouillement du carrefour du Châtelet ; la façade du Palais de justice et, la dominant, les deux toits pointus des tours de la Conciergerie.
Musique :
Et les autres / Ceux qui en ont assez / Parce qu’ils en ont vu de trop / Et qui veulent oublier / Alors y se jettent à l’eau…
Mais la Seine…
Elle préfère / Voir les jolis bateaux / Se promener sur elle / Et au fil de son eau / Jouer aux caravelles…
Sur la Seine…
Fred s’est redressée de toute sa taille, la figure dans le vent, semblant heureuse et fière.
On entend Lucas en voix off.
Lucas (âgé) :
Il y avait du défi dans son regard… Une hauteur… Une sorte de colère… Moi, je me taisais. Religieusement… Je la laissais savourer son succès… La laissais contempler ce que je pensais être, pauvre de moi, des visions d’avenir…
Fred :
La vie est si belle…
Elle s’écarte brusquement, fait trois pas dans le renfoncement de pierres et se retourne vers Lucas. Relevant son col, elle s’appuie contre le parapet.
Fred :
Lucas, si je te demandais de me quitter maintenant, tout de suite…
Lucas :
Non.
Fred :
De partir maintenant parce que je te le demande, parce que je t’en supplie ?
Lucas :
Non, pas question.
Musique :
Les ennuis / Y’en a pas qu’à Paris / Y’en a dans le monde entier / Oui mais dans le monde entier / Y’a pas partout Paris / Voilà l’ennui…
À Paris…
Fred :
Si c’est très important pour nous, pour notre amour ?
Lucas :
Non.
Fred :
Très important pour toi, pour ta vie d’après ?
Lucas :
Non.
Elle rit doucement, haussant les épaules dans un geste qui veut dire qu’elle se doutait de sa réponse.
Fred :
Tu es une tête de mule… Tu as tout compliqué parce que tu es la pire des têtes de mule que j’aie jamais rencontrée !
Lucas :
D’accord. Et puis ?…
Fred :
Je suis malade, Lucas. Je vais mourir.
(À suivre)
One Response to PANAME, PANAME, PANAME… 21