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PANAME, PANAME, PANAME… 19

Publié par le 11 avril 2020



Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).

 

EXT Nuit, place Pigalle, boulevard, temps passé

Musique :
Padam, Padam (paroles, Henri Contet ; musique, Norbert Glanzberg).

Padam, padam, padam / Il arrive en courant derrière moi…
Padam, padam, padam / Il me fait le coup du souviens-toi…
Padam, padam, padam…

Il y a foule sur la place Pigalle, avec les bus parqués et les groupes chahuteurs des grands soirs. Il fait froid. Les gens sont bien couverts, épais manteaux, bonnets, etc… et de la buée blanche s’échappe des bouches.

La caméra longe le boulevard. Enseignes de boîtes à cul. Aboyeurs qui hèlent le chaland. Les petits commerces d’alimentation ou de souvenirs portent des décorations de Noël.

Musique :
Cet air qui m’obsède jour et nuit / Cet air n’est pas né d’aujourd’hui / Il vient d’aussi loin que je viens / Traîné par cent mille musiciens…

 

EXT Nuit, rue Houdon

La caméra remonte la rue étroite et se place devant le cabaret, avec son enseigne « Le Gaby-Tabou » et ses photos d’effeuilleuses dans leurs vitrines minables.

On entend la voix de Lucas (âgé) toujours en conversation avec Nicolas dans le temps présent.

Lucas (âgé, voix off) :
Ça s’est passé comme le premier soir.

Nicolas (voix off) :
L’été ? Le 1er août ?

Lucas :
Oui. J’étais au piano….

 

INT Nuit, cabaret

La petite salle est bondée. Les serveuses et les entraîneuses court vêtues se pressent entre les tables, portant des seaux à Champagne. On entend des clients s’apostropher en hollandais et en espagnol. Gaby trône dans un coin dans son plus beau complet rose bonbon. Mickey s’affaire derrière son bar. Lucas (jeune) est au piano.

Lucas (jeune, chantant) :
Un jour cet air me rendra folle / Cent fois j’ai voulu dire pourquoi / Mais il m’a coupé la parole / Il parle toujours avant moi / Et sa voix couvre ma voix… Padam, padam, padam…

Lucas (âgé, voix off) :
On était vers le 20 décembre. Depuis le 15, à l’approche des fêtes de fin d’année, le quartier avait repris vie. Tous les soirs, on recevait des groupes…

 

INT Nuit, cabaret

Plan sur Lucas au piano. La mise au point est sur lui. À l’arrière-plan, on distingue des clients attablés, flous, et, floue elle aussi, une silhouette de jeune femme en élégante et courte robe noire.

Lucas (chantant) :
C’est un air qui me montre du doigt / Et je traîne après moi comme une drôle d’erreur / Cet air qui sait tout par cœur / Il dit : « Rappelle-toi tes amours / Rappelle-toi puisque c’est ton tour »…

Mise au point sur la silhouette de jeune femme. C’est Fred, pâle, mince, très mince dans sa robe ajustée, légèrement maquillée.

Sur scène, Lucas tourne la tête vers le public et la remarque.

Champ / contrechamp : les yeux de Fred, fixes / les yeux de Lucas qui, fixes un instant, retournent à son clavier.

 

INT Nuit, cabaret

Lucas (chantant) :
Écoutez le chahut qu’il me fait / Comme si tout mon passé défilait / Faut garder du chagrin pour après / J’en ai tout un solfège sur cet air qui bat / Qui bat comme un cœur de bois !…

Il plaque les derniers accords et se lève. Il descend de scène, en direction de Fred.

 

INT Nuit, cabaret

Lucas arrive à hauteur de Fred. Il la dépasse sans un regard et se dirige vers le bar. Il s’y accoude. Fred reste interdite.

 

INT Nuit, cabaret, comptoir

Lucas :
Mickey, envoie-moi un Jack bien tassé, s’il te plaît !

Mickey le sert avec un gros sourire entendu et des mimiques de sourcils qu’il pense discrètes.

Mickey :
Alors, l’amoureux, ça y est, c’est les retrouvailles ?

La main de Lucas se referme sur le verre, crispée, et on comprend qu’il se retient d’envoyer son contenu dans la gueule du barman.

Fred vient se planter derrière Lucas. Il consent à se retourner et à la regarder.

Fred :
Bonsoir, Lucas.

Lucas (âgé, voix off) :
Elle s’était faite belle. Elle avait moulé son corps dans une courte robe noire, gainé ses jambes dans des bas fumés, chaussé des escarpins de dame…

La caméra commence à tourner lentement autour du couple.

Lucas (voix off) :
Son visage paraissait avoir encore maigri… Pâle… Diaphane… Les pommettes très saillantes au-dessus des joues… Ses épaules et son cou, dénudés entre les attaches de la robe, étaient… Comment ?… Graciles… Si graciles qu’ils paraissaient dessinés, couleur d’ivoire dans la pénombre… Belle, tu sais…

Nicolas (voix off, approuvant) :
Hmm… Enfin, je crois…

Lucas (voix off) :
Belle comme une fille de magazine, une vedette de cinéma, une princesse poursuivie par les flashes des photographes. Plus belle que toutes celles dont un type comme moi n’aurait jamais osé rêver. Tu parles… Un paumé de cabaret… Un larbin de nuit… Un pianiste de trottoir, …

La caméra cesse de tourner. Champ / Contrechamp.

Fred :
Lucas, je suis venue te chercher…

Lucas boit un gorgeon, l’air indifférent.

Fred :
Tu fais la gueule ?

Lucas :
Mais non, voyons…

La caméra se remet à tourner autour d’eux, lentement, puis de plus en plus vite, tandis qu’on entend en sourdine la mélodie de Padam Padam en instrumental.

Lucas (le ton calme, contrastant avec la violence des paroles) :
Tu es folle, c’est ça ? Givrée. Barjo. Cintrée. La cinglée du quartier. En fait, ça me ressemble assez bien : en plein cœur de Pigalle, avec des filles à poil jusqu’aux portes des immeubles, qui est-ce qui s’est tapée l’attardée ? La nymphomane du village ? Moi. Lucas. Lucas le connard romantique. Lucas la grande andouille. Monsieur Lucas l’écorché. Monsieur Lucas Trouduc. Monsieur Lucas L’Amour !… Alors, voilà, ce soir, mademoiselle a de nouveau le feu au cul, alors elle met sa jupette des dimanches pour se faire trousser par son serviteur de pine, ce bon Lucas au cœur de veau… Et toi, tu viens me chercher ? Tu oses venir me chercher ? Après m’avoir jeté comme un cleps ? Parce que j’imagine que tu te souviens quand même de m’avoir traité pire qu’un animal. Comme un androïde. Un phallus à ressort. Un éjaculateur périodique prié de rester peinard entre les incendies, tenu à la bienséance de bien fermer sa gueule et son cœur… Tu m‘as bousillé, Fred. Lessivé. Ravagé. Et qu’est-ce que tu viens me dire, là, avec tes regards de chéchienne en chaleur ? « Bonsoir, Lucas. » ? Bonsoir mon cul, salope !

La caméra s’arrête de tourner. Fred est restée immobile sous la pluie d’insultes. Tout au plus devine-t-on une brillance au coin de ses paupières. Lucas boit un coup, la tirade lui ayant asséché la gorge.

Lucas :
Je ne veux plus te voir. Je ne veux plus jamais entendre parler de toi. Et surtout, je ne veux plus jamais penser à toi ! Et maintenant, via, casse-toi.

Fred :
Non.

Il fait claquer son verre sur le comptoir, bouscule Fred et retourne à son piano.

 

INT Nuit, cabaret

Lucas au piano. Il joue un air quelconque mais très connu (La Bohème, tiens…). On se rend compte qu’il joue très mal. Du coin de l’oeil, il surveille la salle.

Fred parle à Gaby et Franz, lesquels multiplient les risettes. Elle se fait souhaiter la bienvenue par les filles dans de grandes embrassades. Tous, y compris elle, rient comme si de rien n’était.

À bout de nerfs, Lucas plaque un dernier accord (faux) sur le clavier, bondit sur ses pieds, saute de scène et disparaît vers la sortie.

 

EXT Nuit, place des Abbesses

Lucas se pointe devant le bar Le Saint-Jean, aux vitrines décorées de dessins de Noël, derrière lesquelles s’ébattent des clients en nombre. Il y entre.

 

INT Nuit, Le Saint-Jean, comptoir

Lucas s’accoude au comptoir. Il hèle le chef des serveurs, un tatoué aux allures de rocker.

Lucas :
Salut Riton !

Riton :
Eh, le musicos, ça va ?

Lucas :
Bof. Un Jack, s’il te plaît.

Il a marché vite. Son souffle est court et, malgré le froid glacial qui règne dehors, il est couvert de transpiration et visiblement bouleversé d’émotions contraires : colère, chagrin, regrets, envie de tout casser…

Il tâche de respirer profondément et régulièrement pour retrouver son calme. Le serveur ayant posé un verre devant lui, il le vide cul sec et fait signe qu’on lui en serve un autre.

Il sirote celui-ci plus lentement quand la porte du bar derrière lui s’ouvre sur Fred. Elle paraît minuscule dans son grand manteau et elle a le nez rougi par le froid. Elle s’approche du comptoir et s’accoude à côté de Lucas.

Lucas (exaspéré) :
Putain !

Il jette un billet sur le bar et sort.

 

EXT Nuit, place des Abbesses

Lucas entreprend de traverser l’esplanade. Derrière lui, retentit le clac-clac des talons de Fred. Il s’arrête, lève les yeux au  ciel et se retourne. Fred est là, dans son grand manteau, les mains enfouies au fond des poches, à côté de la bouche de métro Abbesses.

Lucas :
Arrête ça, Fred, je ne veux pas te parler, ni te voir, ni rien savoir de toi…

Elle reste impassible et, faisant un pas en arrière, s’appuie lentement sur la rampe de la station de métro. Elle continue de fixer Lucas, le visage grave, livide, blafard, comme posé sur le vaste col de son manteau. De la buée s’envole de sa bouche.

Lucas (gémissant) :
Mais enfin, qu’est-ce que tu veux ?

Fred :
D’habitude, je trouve ça idiot, Noël, les cadeaux, la joie obligatoire et tout ça. Seulement cette fois, c’est la der…

Elle s’interrompt, réfléchit quelques instants. Puis elle se redresse et s’approche de Lucas.

Fred :
Je veux passer les fêtes avec toi. J’ai besoin de toi, Lucas. Je n’ai besoin de personne d’autre au monde, mais de toi, oui. A un point que tu n’imagines même pas.

Un silence. Deux nuages de buée qui se mêlent. La caméra tourne lentement autour d’eux.

Fred :
Je t’aime.

Lucas tend les mains et les pose sur ses joues. Il l’enlace. Il y a des larmes brillantes qui coulent sur les joues de Fred. Il les efface de ses lèvres.

La caméra s’élève, tournant toujours autour du couple embrassé dans la lumière froide des réverbères.

Musique :
Padam, padam, padam… Il arrive en courant derrière moi…
Padam, padam, padam… Il me fait le coup du souviens-toi
Padam, padam, padam…
C’est un air qui me montre du doigt / Et je traîne après moi comme une drôle d’erreur / Cet air qui sait tout par cœur…

 

FIN DU DEUXIÈME ÉPISODE

 

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