On a fait comme elle a dit : on a recommencé plus tard.
Toute joyeuse, elle s’est exclamée qu’elle avait super trop faim, a remis son tee-shirt, rien d’autre, et saisi mon bras.
– Hmmm, qu’est-ce que ça sent bon !
– C’est du lapin.
– Cool !
On a mangé.
Bu des verres et des verres de Poulsard d’un vermillon si clair qu‘on pourrait le confondre avec du vin rosé, mais bel et bien âpre comme un bon rouge qu’il est.
Le cafard noir qui s’était emparé de moi s’est fendillé, séparé, morcelé avant de tomber en plaques, comme un vieux revêtement de muraille qui cède, au fur et à mesure que je remplissais les verres et qu’elle se resservait du lapin.
La tristesse qui s’était abattue sur mon âme a relâché sa prise. Tout ce qui l’alimentait s’est éloigné : ma jouissance ratée de puceau trop pressé ; le triste claquement du préservatif ôté de ma verge déjà mollie ; les ablutions debout devant le lavabo tandis qu’elle s’éclaboussait l’entrejambe avec le jet de la douche, assise sur le rebord de la baignoire…
– Waoh, qu’est-ce que c’est bon ! Putain, les pruneaux, j’adore ! J’y crois pas que c’est toi qui l’a fait !
Mon invitée a fini par remarquer la nouvelle expression qu’avaient mes yeux posés sur elle. Elle a souri et, tout en continuant à mastiquer, a tendu la jambe sous la table et posé son pied nu entre mes cuisses. A remarqué, malicieuse :
– Ooooh. Ben dis donc…
Elle a claqué la langue sur une dernière gorgée de vin, s’est levée.
A fouillé dans son sac, en a sorti une capote.
A déchiré l’emballage comme la première fois, d’un coup de dents, m’a poussé d’un gentil coup de pied sur le tibia pour que je m’écarte de la table.
Baissé ma braguette et m’a enfilé le caoutchouc sur la queue d’une façon si légère que je n’ai rien senti.
Relevé son tee-shirt, roulé au-dessus de ses seins.
S’est assise sur moi.
Et puis elle est montée et elle est descendue, par instants lentement, parfois vite et durement, elle s’est tortillée d’un côté de l’autre, elle a dansé et tournoyé du bassin comme une danseuse arabe pendant un temps infini.
– Oh je me baise, oui je me baise, oh tu est bon, tu es dur, oh oui je me baise…
Un temps infini.
Infini.
Des jets de braise liquide sont montés du tréfonds de mes reins, d’endroits que j‘ignorais exister en moi, ont jailli comme des arrachements de lave, une fois, deux fois, dix fois je crois, tandis qu’un homme au milieu de sa cuisine débordante de soleil hurlait son bonheur sans retenue.
Et cet homme-là c’était moi.
Un peu plus tard, quand elle s’est roulée une cigarette de son tabac, du Fleur-de-Pays, quand elle nous a resservi d’autorité un coup de Poulsard, quand elle s’en est envoyée la moitié dans le gosier et qu’elle a râlé de plaisir comme un matelot en taverne, quand elle m’a adressé un clin d’œil heureux et canaille en souriant de la bouche et des yeux, j’ai compris qui elle était.
Mon amour.
Ma Luna que je ne sais quels dieux, je ne sais quels cieux, avaient envoyé ce jour-là devant ma porte.
Mon printemps, mon étoile, mon trésor, toutes ces sottises qu’on emploie à ce propos-là, ma colombe, ma tourterelle au doux plumage, ma perle, mon diamant.
Mon amour à jamais, Luna.
Quoique tu aies fait, quoique tu fasses. Sur cette terre ou au ciel, au paradis des diables, à l’enfer des anges, au purgatoire des jolies filles…
Où que tu te trouves désormais, tu m’entends ?
À jamais.
Tandis que, les mains tremblantes, le coeur renversé, le corps en joie, je mettais en route un café, la voix qui niche au fond de ma tête chantonnait d’un ton empreint de joie mauvaise :
– … Qui vendait du foie… Dans la ville de Foix… Il était une fois… Dans la ville de Foix…
(À suivre)