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LA MARIE-BARJO – Épisode 11

Publié par le 11 juin 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, vue aérienne

Le soleil se lève.

La Marie-Barjo avance lentement sur la Lon-Stung dont le cours d’eau beige serpente entre deux rives de jungle épaisse.

 

INT Jour, timonerie

Kim est à la barre, concentré sur sa tâche.

 

INT Jour, carré

Haig est pensif, l’air morose, les pieds sur la table. Derrière lui, Marisol termine de passer du café.

Elle s’approche, cafetière en main. On remarque qu’elle est particulièrement sexy, ce matin, en short kaki qui laisse à l’air des décimètres de cuisses brunes et lisses. Un débardeur calculé pour offrir beaucoup, beaucoup de surface de seins aux alentours des bretelles. Elle vient de faire sa toilette et ses cheveux noirs, encore humides, cascadent en avalanche sur ses fines épaules.

Elle s’approche, broc à la main. Haig renifle l’air à son approche, sensible à un parfum qu’on devine agréable.

Marisol :
Café, Capitan ?

Haig (laissant retomber ses pieds) :
Pourquoi pas…

Marisol (remplissant deux quarts) :
Bozo, ça va mieux ?

Haig :
Bozo doit supporter des grandes tensions. Toutes les deux ou trois semaines, il craque. Il va se défoncer à l’opium et aux cachets pendant un moment. Et puis, quand il se sera bien nettoyé la tête, il reviendra parmi nous.

Marisol :
Entiendo, je comprends… Il m’a parlé de sa maladie… Le sida…

Haig :
Ça ne m’étonne pas. Il est du genre à informer toute la planète. S’il pouvait cracher son sida à la figure de chacun des gusses qu’il croise, ça fait un bail il n’aurait plus une goutte de mollard dans les bronches.

Marisol :
On dit qu’il y a des traitements.

Haig :
Il n’en veut pas. Il préfère vivre l’aventure. À fond la caisse et « no future », c’est sa vision des choses…

Marisol :
C’est dommage, no ?

Haig :
Il est assez grand pour choisir ce qu’il veut faire de sa vie.

Marisol :
Vu comme ça…

Haig :
Autre chose, Marisol…

Marisol :
Si ?

Haig :
Je ne sais pas si c’est à cause de son anxiété, mais Bozo est très perceptif. Il sent les embrouilles de loin.

Marisol :
Les… como ?… emb… embrouilles ?

Haig :
Les mensonges. Les trucs cachés. Les choses pas dites. Les mystères… Ce genre de cachoteries lui tape rapidement sur le système.

Marisol le dévisage quelques instants. Haig la fixe, impassible, le regard fixe et scrutateur. Au bout d’un moment, elle renonce avec un haussement d’épaules.

Marisol :
Bueno… On dirait qu’il vaut mieux parler d’autre chose, ce matin…

Haig :
Il vaut mieux.

On entend, venus du pont, des appels pressants lancés du sifflet de Bang, suivi d’un appel de Kim tombant de la timonerie.

Kim (voix off) :
Eh, y’a un problème !

Haig bondit sur ses pieds et se hisse par l’échelle.

 

EXT Jour, rivière

Un monumental train de bois arrive, descendant la Lon-Stung en sens contraire de la Marie-Barjo.

 

EXT Jour, train flottant

 

C’est une sorte de monstre flottant constitué de quatre piles de troncs triangulaires, avec six arbres à la base, un au sommet, le tout d’une hauteur de maison. Les quatre ensembles sont reliés en enfilade comme des wagons par des faisceaux de câbles. Précédant le train d’une dizaine de mètres, trois sampans aux gros moteurs hors-bords servent de guides. De chaque côté, comme plantés à intervalles réguliers dans les flancs de la bête, d’autres sampans à gros moteurs la maintiennent dans le courant.

Au cul, un énorme chaland de métal surmonté d’une cheminée crachant de la fumée noire pousse l’ensemble.

Au sommet de la première des quatre piles, un abri de palmes abrite des types, les matelots de ce drôle de navire de troncs d’arbres. D’autres, armés de perches, se baladent sur les grumes, comme des fourmis acrobates sur une souche.

Les sampans de direction, flèches avant en l’air, tressautent au bout des filins tendus à se rompre.

L’ensemble pèse à l’évidence des milliers de tonnes. Les grumes de base sont plus qu’à demi immergées. Elles déplacent devant elles et le long de leurs flancs des quantités phénoménales de flotte, formant des vagues qui s’en vont des deux côtés rebondir sur les berges, secouant la mangrove.

Certains des coolies qui dansent aux sommets des troncs ont aperçu la Marie-Barjo et la désignent par signes aux autres.

 

INT Jour, timonerie

Repoussant Kim, Haig prend sa place. Il empoigne résolument la barre.

 

EXT Jour, poupe

Plan sur l’arrière de la Marie-Barjo. L’eau se met à bouillonner au-dessus de l’hélice.

 

INT jour, timonerie

Haig, la mine tendue, tient ferment la barre d’une main. De l’autre, il pousse la manette des gaz.

 

EXT Jour, rivière

L’énorme train de bois continue sa course, entouré de tumultes d’écume. Les coolies perchés en haut des troncs s’adressent des signes alarmés.

 

INT Jour, timonerie

Haig tourne fébrilement la barre, dirigeant la Marie-Barjo droit sur le train de grumes.

 

EXT Jour, rivière, vue aérienne

On voit la péniche se diriger résolument vers le train de bois, comme si elle avait l’intention de le percuter.

 

INT Jour, timonerie

Haig à la barre, tendu. Kim à son côté, angoissé lui aussi. En retrait, Marisol, les yeux écarquillés d’angoisse. Du dehors parviennent les fracas des moteurs de la Marie-Barjo et des sampans, plus les coups de sifflets impérieux de Bang.

 

Banc-titre :

Il me fallait foncer sur le mastodonte et coller mon nez dans son sillage, cherchant un équilibre entre la poussée de mon moteur et la force du déplacement d’eau.

Avec, bien entendu, le risque d’y aller trop fort, ce qui nous enverrait nous écraser sur les grumes.

Donc, c’était le moment d’avoir des balloches et du doigté…

 

INT jour, timonerie

Haig planté à la barre, jambes écartées.

 

EXT Jour, train de grumes

Sur les sampans plantés dans les flancs des piles, les équipages manœuvrent : des matelots plantent des gaffes munies de crochets dans les grumes pour, en tirant, plaquer leurs esquifs contre les troncs. À l’arrière, les barreurs relèvent leurs moteurs, hélices hors de l’eau.

 

EXT Jour, rivière

La Marie-Barjo croise les sampans éclaireurs, chargés de poupées qui s’agitent et adressent des signes en direction de la péniche.

 

INT jour, timonerie

Kim répond par de vigoureux bras d’honneur en criant. Dans les hurlements conjugués des moteurs, on ne perçoit que des bribes.

Kim :
Culés !… Sassins !… Aire outre !

 

EXT Jour, rivière

La proue de la Marie-Barjo s’enfonce dans la vague soulevée par le mufle du train de grumes. Le passage entre ce mur d’eau et la berge semble un corridor. Un boyau. Un cauchemar d’étroitesse.

 

INT Jour, timonerie

Haig quasiment couché sur la barre qui lui envoie des coups féroces sur la poitrine et dans les bras.

 

EXT Jour, berge

La poupe de la péniche mord sur la mangrove, pulvérisant des buissons et des arbustes.

 

EXT Jour, rivière

Ça n’en finit pas. A croire qu’on va rester là éternellement, dans cette houle, en équilibre, tandis que défile le train de grumes, haut comme un cargo.

Fracas d’enfer. Bouillonnements de flotte. Rugissements du moteur.

 

EXT Jour, rivière

Enfin passe le pousseur, un chaland de métal blanc à cheminée noire, semblable à un remorqueur de port. A son bord, les marins en short saluent.

À sa poupe flotte un drapeau vert et jaune sur lequel la caméra s’attarde. Il est frappé de quatre grandes lettres : MALT.

 

INT Jour, timonerie

Avec un cri de soulagement, Haig laisse la barre et réduit les gaz.

 

EXT Jour, rivière

Le train de grumes s’éloigne.

 

CUT

 

INT jour, timonerie

On est revenus au calme. Marisol, Haig et Kim ont chacun un quart de café à la main. Kim a repris sa place à la barre. Il fulmine.

Kim :
Quatre piles de teck ! Ce bois gris clair, c’est du teck ! quatre piles de chacune vingt et un troncs. A Singapour ou à Kuala, ça se vend plus de 1000 dollars le cube. Ces enculés de la MALT, combien ils se mettent dans les poches ?

Marisol :
Que ? La quoi ?

Haig (intervenant) :
La MALT. La « Malaysian Timber ». Une société malaise d’exploitation du bois.

Kim :
Ils ont une base là-haut, continua Kim. 3000 bonhommes qui bossent pour eux. Ils rasent tout ce qu’ils trouvent, ces enfoirés !

Marisol (étonnée) :
Tout ce monde ?

Haig :
Et plus que ça, même. Tu verras, c’est bourré de peuple, là où on va. Il y a plusieurs compagnies qui se disputent le gâteau. La MALT, c’est la plus grosse.

Kim cogne du poing sur la barre.

Kim :
C’est une bande d’assassins !

Marisol :
Comment ça ?

Kim :
La première fois que j’ai remonté la rivière, c’était pour distribuer des tracts et répandre des informations…

Marisol :
Sur quoi ?

Kim :
Sur le massacre de la forêt. C’est une richesse naturelle. La Cambodge a cette chance d’avoir une jungle encore intacte et la première chose qu’ils font, à peine la guerre terminée, c’est la détruire.

Marisol :
Et alors ?

Kim :
Les types du service d’ordre de la MALT me sont tombés dessus. Ils m’ont passé à tabac. J’ai failli crever. C’est Chour, le docteur, qui m’a sauvé…

 

EXT Jour, paysage

Devant la Marie-Barjo, la Lon-Stung s’ouvre, calme, large d’une cinquantaine de mètres. Le ciel est sombre, mais il ne fait pas mine de vouloir pleuvoir. Devant la proue jaillissent des hordes d’aigrettes blanches qui filent au ras de l’onde et disparaissent dans la mangrove.

 

EXT Jour, pont

Bang a tendu son hamac à la proue. On ne distingue de lui que son gros bide, émergeant de la toile kaki. Et, posé dessus, le petit chien jaune que la grosse main noire flatte.

 

INT Jour, timonerie

Bozo apparaît à l’écoutille, pâle, les yeux rouges, casquette de base-ball à l’envers sur le crâne.

Bozo (après une regard à la ronde) :
Euh, excusez-moi pour hier, j’avais pas le moral…

Haig :
Pas de problème, vieux. Tu relaies Kim ?

Bozo :
Ça roule, capitaine poule. J’prends la barre, cap’tain peinard !

 

(A suivre)

 

 

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