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LA MARIE-BARJO – Épisode 20

Publié par le 17 septembre 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, paysage

Vue d’en haut : l’arbre qui barre la rivière, laquelle court entre les masses de verdure des deux rives et, sensiblement au milieu du tronc, la Marie-Barjo qui y est amarrée, proue quasiment collée à l’écorce.

 

EXT Jour, proue

Haig et Bozo, tous deux armés, Kalachnikov au dos et flingues à la hanche, sautent sur le tronc.

 

EXT Jour, arbre

Les deux hommes escaladent le tronc en prenant appui sur les nombreuses branches et parviennent bientôt en haut.

Haig examine la situation : un bout de l’arbre, puis l’autre. La caméra suit son regard : la souche d’un côté, contre un talus de terre jaune qui masque à demi ce qui paraît être un gros trou ; de l’autre côté, le faîte qui se perd dans une masse barbue de grands roseaux.

Haig (maugréant pour lui-même) :
Soit il est tombé naturellement, soit quelqu’un l’a aidé…

Bozo :
Qu’est-ce que tu en penses ?

Haig :
On va examiner la base. On saura de laquelle des deux solutions il s’agit.

Bozo (machinalement) :
À quoi qu’on est bouffés, cap’tain bourré !

Haig commence à progresser vers la souche, d’un pas prudent. Bozo le suit.

 

EXT Jour, souche

Un trou énorme. Un gouffre de glaise. À y loger une baraque et ses dépendances.

Haig et Bozo le surplombent. Haig a le sourire.

Haig :
C’est bon. Regarde : c’est tout récent. Les flancs sont luisants. Le fond pas encore empli d’eau.

Bozo :
Ce qui veut dire, cap’tain le pire ?

Haig :
Ça veut dire que ce gros machin s’est cassé la margoulette tout seul, sans l’aide d’une main d’homme. Je préfère ça…

Bozo :
Bizarre, quand même…

Haig :
Bof… Au gros des pluies, le flot a du emporter un bout de la berge…

Il tape du pied sur le tronc. Le son qui en émane est creux.

Haig :
Il était à moitié mort, notre gros copain. Regarde les racines, c’est plus que des moignons, quasi. Il n’avait plus assez de force pour résister au courant. Résultat, il s’est couché.

Bozo (réjoui) :
Donc : mort de cause naturelle, cap’tain ficelle ?

Haig :
Ouais. Viens, on va voir l’autre bout…

 

EXT jour, arbre

Haig et Bozo arrivent au faîte de l’arbre, quasiment enfoui dans le massif de roseaux géants qui sont presque aussi hauts que lui.

Levant le poing, façon militaire, Haig fait signe à Bozo de s’arrêter et décroche son AK. Bozo, s’exécutant fait de même.

Bozo (murmurant) :
Tu crois qu’il y a des mecs ?

Haig (entre ses dents) :
Sais pas. Mais si tu vois quelque chose, tu tires.

Haig scrute le couvert des arbres. La caméra suit son regard. Les taillis qui fourmillent de lianes et de palmes. Les barres noires des troncs des arbres les plus proches. Des trous d’ombres…

Il avance encore d’un pas, prudent et tendu.

Plouf ! Plouf ! Plouf !

Des dizaines de gros batraciens sautent dans la flotte à son approche. La caméra en surprend quelques uns juste avant qu’ils ne disparaissent dans le flot épais.

Bozo a sursauté et braqué son FM sur les bestioles. Avec un petit rire, Haig lui pose la main sur l’épaule.

Haig :
Cool. Des grenouilles. Encore un bon signe. Si des types étaient planqués dans le coin, elles seraient restées dans l’eau.

Il avance encore et saute sur place. Le tronc oscille à chacune de ses retombées.

Haig :
Okay. Ce bâtard n’est pas coincé. On va pouvoir le pousser avec le bateau…

 

Banc-Titre :

J’étais soulagé.

Je nous voyais déjà obligés de manier la tronçonneuse, avertissant tous les lascars qui pouvaient traîner dans la région de notre présence et de nos emmerdes, avec deux gars en sentinelles et tout le tralala.

Et à chaque instant la trouille au ventre qu’un fâcheux nous tombe dessus…

 

EXT Jour, proue de la Marie-Barjo

Bang et Bozo détachent les amarres.

 

INT Jour, timonerie

Ayant posé son AK contre le tableau de bord, Haig se met à la barre. Il tend le doigt vers le bouton du démarreur électrique que l’on sait capricieux. On sent une mini-hésitation.

Il presse le gros bouton orange. Miracle : le moteur tousse aussitôt et se met à ronronner comme la bonne grosse bête de métal qu’il est.

Haig pousse d’un poil la manette des gaz. La Marie se dandine.

 

EXT Jour, proue

La péniche colle son mufle contre l’arbre comme si elle voulait le percer.

 

INT Jour, timonerie

Haig remet du gaz. Le General Motors rugit.

 

EXT Jour, poupe

Une épaisse colonne d’eau brassée, encombrée de touffes d’herbe et de banchages s’élève à deux bons mètres de hauteur du cul de la Marie.

 

EXT Jour, paysage

L’énorme tronc ne résiste pas. La poussée de la péniche achève d’arracher ses vieilles racines à la glaise et il se laisse gentiment glisser de côté, libérant le passage.

 

EXT Jour, pont de la Marie-Barjo

Alors que la péniche reprend sa route, Bozo lève sa kalachnikov au ciel, pousse un hululement de joie et se tourne vers la timonerie.

Bozo :
Tu vois, tu te prends toujours la tête, capitaine Rouspète !

Il éclate de rire, la gueule fendue jusqu’aux oreilles, les yeux brillant de toute la malice du monde.

La caméra s’attarde sur son visage quelques instants plus que nécessaire.

 

CUT

 

EXT jour, paysage

Un confluent où deux arroyos rejoignent la rivière, l’un en face de l’autre, formant deux criques symétriques. Le cours de la Lon Stung en semble élargi, transformé en une sorte d’étang agité de remous.

La Marie Barjo est en train de s’ancrer au centre, éloignée des deux berges.

 

EXT Jour, proue

Bang et Bozo actionnent le treuil de l’ancre. La chaîne grince en se déroulant.

 

INT Jour, timonerie

Haig est accoudé à la barre, surveillant l’opération à l’avant. Kim l’a rejoint.

Kim (curieux) :
On ne s’amarre pas à la rive ?

Haig :
Pas ce soir. L’arbre est tombé tout seul, c’est presque sûr. Mais c’est encore possible qu’une bande de salopards cherche à nous piéger. C’est peu probable, remarque, mais si jamais c’est le cas, il leur faudra nager ou bien affréter une pirogue pour nous attaquer. Ça nous laisserait plus de temps pour réagir.

Kim :
Hmm… C’est bien pensé.

Haig :
Comme tu dis.

 

EXT Jour, crépuscule, paysage

La Marie-Barjo ancrée, entourée de jungle immobile.

Soudain, un peu avant le couchant, les feuillages des arbres s’animent, comme secoués par un vent violent. Un grand bruissement retentit. Sonore, le bruit. Quasi assourdissant. Comme si on froissait une immense feuille de papier cristal.

 

EXT Jour, pont

Bozo surgit du carré.

Bozo (désignant le ciel) :
Viens voir, Marisol !

Marisol surgit à son tour, levant les yeux.

Plan sur le ciel strié de nuées d’innombrables formes noires ailées qui filent toutes d’un vol pesant dans la même direction.

Marisol :
Ay, des oiseaux ! Qué va, comme ils sont nombreux !

Bozo et Kim, apparu à son tour sur le pont, éclatent de rire.

Bozo :
C’est pas des oiseaux, Marisol. C’est des chauves-souris, des putains de milliers de chauves-souris !

Kim sourit exagérément en se frottant le ventre du plat de la main.

Kim :
Miam-miam !

Marisol (grimaçant) :
Beurk…

Kim (goguenard) :
Ne dis pas ça. C’est très bon en brochettes.

Bozo :
C’est encore meilleur en ragoût, madame Dégoût !

 

CUT

 

EXT jour, petit matin, paysage

La lumière monte sur la rivière recouverte d’un drap de brume et glisse sur la Marie-barjo, toujours ancrée à la même place.

 

EXT Jour, pont de la Marie-Barjo

Haig sort de la timonerie, ensommeillé, le fusil à la main. Il frissonne dans la fraîcheur de l’aube.

Plan sur la forêt alentour. Ce n’est encore qu’une masse indistincte. Des roseaux et buissons des berges s’élèvent les derniers bruissements de la vie nocturne, ponctués des appels étrangement tristes des batraciens.

Une chandelle luit faiblement à l’avant de la cale, dans le gourbi de Bang.

Haig s’étire. Il s’approche du plat-bord.
Déboutonne sa braguette.
Urine.

Retentit soudain la stridulation d’une cigale, semblable à une lame de scie attaquant le bois. Puis cent. Puis mille. Réveillés, les oiseaux se remettent à piailler de tous côtés.

Haig continue d’uriner en baillant, lentement, le regard errant sur la berge.

Regard caméra : dans la masse indistincte de la végétation, des formes se précisent. On distingue une coulée de palmiers nains qui tombe du couvert de la forêt pour s’épandre au bord du rivage. Un groupe de trois rochers aux pieds trempant dans l’eau.

Et deux types en uniforme Khmer Rouge, AK 47 en travers de la poitrine, qui observent Haig en train de pisser.

 

(A suivre)

 

 

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