D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.
EXT Jour, Malt City, panoramique
La baie de la Malaysian Timber Compagny à l’aube. Le silence règne sur les champs de coupe. Du côté des bidonvilles et des bordels, les sonos se sont tues et les néons sont morts.
La Marie-Barjo est ancrée au bas de l’atelier de Sopak, flottant sur une nappe d’ordures.
À proximité, une bande d’hommes (des employés et fils de Sopak) parmi lesquels on reconnaît la frêle silhouette de Kim s’activent autour d’une grosse barque, faisant rouler et chargeant des fûts d’essence.
EXT Jour, pont de la Marie-Barjo
Haig et Marisol savourent le calme et la fraîcheur, chacun tenant un mug à la main.
Marisol :
Qu’est-ce qu’ils font, là-bas ?
Haig :
Ils vont remplir les fûts vides d’eau. Pour ça, ils vont aller plus loin sur la rivière, histoire de trouver de la flotte à peu près propre.
Marisol :
C’est porqué ? Pour boire ?
Haig :
Non. On va charger les fûts en fond de cale. Elle est presque vide, maintenant. La Marie est trop légère, elle serait difficile à diriger. Les bidons vont la lester. Mais…
Marisol :
Qué ?
Haig :
Normalement, c’est Bang qui s’en occupe.
Il avale le fond de son mug et le tend à Marisol.
EXT Jour, quai
Haig patauge dans la boue, s’approchant de la barque où les hommes sont en train de charger les fûts.
Haig (à Kim) :
Qu’est-ce que tu fous ? Tu veux devenir haltérophile ou quoi ? Et Bang, qu’est-ce qu’il fout ?
Kim est essoufflé, suant, boueux. Des gerbes de gadoue maculent son polo plus conçu pour la ville que pour les quais bourbeux de la Malt.
Kim :
Il est resté sur la péniche. Je crois qu’il y a un problème avec son chien…
EXT Jour, Marie-Barjo
Haig gagne le gaillard avant, ouvre la trappe qui mène au réduit de Bang et descend.
INT Jour, réduit de Bang
Arrivé en bas, Haig patiente un moment, yeux plissés, attendant de s’habituer à l’obscurité.
De la nuit noire qui baigne ce cube de métal sans hublot émerge peu à peu la silhouette de Bang. Il est assis sur son hamac. Son énorme derrière en déforme la toile. Les colonnes qui lui servent de jambes pendent de chaque côté.
Haig (s’approchant) :
Bang ?
On distingue le chien jaune de Bang comme un bout de chiffon jaune en travers des énormes cuisses.
Haig :
Ça va, Bang ?
Bang :
Very good, cap’tain.
Haig :
Et ton chien ?
Les yeux noirs de Bang durcissent. Ses lèvres se plient dans une grimace de gamin prêt à éclater en sanglots. Un gamin de cent kilos et des brouettes à la tête de pirate oriental.
Bang :
Non. Lui chien, c’est no good.
Haig :
Il est malade ? Tu as besoin de médicaments pour lui ?
Bang (soupirant et secouant lentement la tête) :
No cap’tain. Lui dog c’est trop vieux. Too old. Lui bientôt c’est moyen mort…
Haig hésite, ne sachant que dire. Il serre le bras de Bang dans un geste de sympathie. Sa main est loin de faire le tour du biceps.
CUT
EXT Jour, jungle
La Marie-Barjo navigue, tranquille. La rivière est étroite, serrée entre ses hautes rives couvertes de forêt. L’onde, claire, d’un vert laiteux, s’écoule placidement. De loin en loin, un torrent d’eau blanche tranche la forêt. Les chants de milliers d’oiseaux s’élèvent des arbres.
Banc-titre :
En dehors des tours de garde, c’était quartier libre. À peu près.
La cale était presque vide, l’argent dans la caisse.
Le port d’arrivée, chez mon copain Poun le Chinois fou, était proche. On pouvait se détendre et recommencer à rigoler.
Ou à peu près…
EXT Jour, pont de la Marie-Barjo
Haig arpente le pont, la Kalachnikov en travers du ventre, scrutant les alentours, aux aguets. Il porte en sautoir une paire de jumelles qu’il porte à ses yeux pour observer un point dans la forêt.
Il parvient à la poupe, derrière la timonerie, où il découvre Bozo en train de danser une sorte de taï chi très approximatif. Sa Kalachnikov est posée contre la paroi de la timonerie. Dans les vapes, il n’entend ni ne voit arriver Haig qui le saisit par l’épaule.
Haig :
Bozo, ça ne sert à rien de monter la garde si tu es complètement défoncé…
Bozo se dégage de la prise d’un sursaut d’enfant boudeur.
Bozo :
Merde, tu penses toujours aux embrouilles, capitaine mes c…
Haig :
Quoi ?
Bozo (revenant à la réalité) :
Euh… non, rien…
INT Jour, carré
Haig sirote du scotch, les pieds sur la table, fusil collé contre sa chaise. Marisol s’affaire au fourneau. Soudain, la tête de Kim apparaît par la trappe de la timonerie.
Kim:
Haig, y a des mecs !
Haig bondit sur ses pieds, attrape son fusil et sort. Marisol le suit.
EXT Jour, pont de la Marie-Barjo
Haig et Marisol rejoignent Bozo et Bang qui, sur le pont, fixent la rive, armes en mains.
Kim apparaît à la porte de la timonerie.
Kim :
Qu’est-ce que je fais ?
Haig :
Rien. Surtout rien. Tu continues comme ça. Surtout tu n’accélères pas.
Marisol (murmurant) :
Madre de dios !
EXT Jour, rive
Un groupe de cinq hommes bivouaquent dans une crique formée par un arroyo à son confluent avec la rivière. À leurs uniformes verts kaki et leurs casquettes chinoises de la même couleur, on reconnaît des Khmers Rouges. Ils sont maigres. Certains d’entre eux sont pieds nus. Leurs vêtements sont déchirés en plusieurs endroits. Tous portent en travers de la poitrine une vieille Kalachnikov à crosse de bois. L’un d’eux porte en plus à l’épaule un lance-roquettes RPG 7. Tous ont le regard pointé sur la péniche.
INT Jour, pont de la Marie-Barjo
Tous les membres de l’équipage sont immobiles, figés, doigts sur les détentes des fusils, tandis que la péniche défile lentement devant le groupe de guérilleros.
Plan sur les Khmers Rouges impassibles.
Plans sur les visages tendus de Haig et des autres.
Plan sur les Khmers Rouges impassibles, alors que la péniche a dépassé l’arroyo et s’éloigne.
EXT Jour, pont de la Marie-Barjo
Haig se détend. Les autres font de même.
Haig cogne du plat de la main la paroi de la timonerie.
Haig :
Mets de la gomme, maintenant !
Le son du moteur s’intensifie. Le bateau prend de la vitesse.
Les guérilleros, maintenant de toutes petites silhouettes au loin, n’ont toujours pas bougé.
Marisol (soulagée) :
Ouf… Est-ce que c’étaient…
Haig :
Des Khmers Rouges, oui.
Bang :
Eux c’est beaucoup ici. Forêt c’est gros. Eux c’est moyen cacher facile.
Marisol se tourne vers Haig, interrogative.
Marisol :
De verdad ?
Haig :
Oui. La zone est difficile d’accès et marécageuse. Plein de types y ont trouvé refuge. Ceux qui refusent de se rendre. Les mecs qui ne savent faire rien d’autre que survivre en jungle.
Marisol :
Pero… Mais ils ne nous ont rien fait…
Haig :
Ils ont des armes, mais l’approvisionnement en munitions est un problème constant pour eux. Les balles, c’est cher. Il faut se mettre à leur place : Pourquoi gâcher des bonnes balles à un dollar et plus sur un petit cargo de tôle épaisse, à l’équipage pourvu d’armes modernes et de chargeurs, susceptible de riposter et de faire très mal ?
CUT
EXT Nuit, rivière
Nuit sur la jungle qu’éclaire une large lune festonnée de nuages. On distingue la forme massive de la Marie-Barjo amarrée dans de la mangrove.
EXT Nuit, pont de la Marie-Barjo
Haig se coule hors de la timonerie et se dirige à pas de loup vers la poupe. Au coin de la timonerie, il s’arrête un instant, guette ce qui semble être un danger et bondit en avant.
EXT Nuit, poupe
Il se jette sur une silhouette debout qui lui tourne le dos. Ayant refermé son avant-bras sur le cou du type, il arrache les écouteurs que celui-ci porte sur les oreilles. On entend la musique qui en sort.
Bozo :
Merde, tu m’as fait peur.
Haig :
Bozo, si quelqu’un s’approche de nous dans la nuit, comment tu veux l’entendre si tu as un casque de walkman sur les oreilles ?
Bozo (se dégageant de l’étreinte) :
Ça y est, tu penses encore au pire, cap’taine soupir…
CUT
INT Jour, timonerie
Haig est à la barre.
Haig (appelant) :
Kim, amène-toi, s’il te plaît !
Kim se hisse par la trappe.
Haig :
Prends la barre, vieux.
Kim obéit. Haig va se pencher à la trappe.
Haig :
Marisol ?
Marisol :
Si ?
Haig :
Rejoins-moi à l’avant.
Marisol :
Pero… Mais je suis occupée à…
Haig :
Tout de suite maintenant illico, s’il te plaît por favor !
EXT Jour, proue
Haig est planté à l’avant, bras croisés. Marisol le rejoint.
Marisol :
Que pasa ?
Haig lui désigne l’horizon, en avant de la péniche.
Contrechamp : Au loin, émergeant de la masse confuse de la forêt, on distingue trois « phnoms » alignés, pains de sucre aux pointes tronquées, aux flancs décorées de gerbes de végétation gothique et dont les sommets plats semblent porter la dalle des nuages.
Haig :
Terre en vue, passagère !
Marisol regarde dans la direction indiquée, les cheveux fous dansant dans le vent de la course.
Marisol :
Ce sont ?…
Haig :
Oui, Marisol, ce sont les Monts-Rouges.
Fin de la première partie
… Et aussi, potesses et poteaux, fin de la saison 21/22. Pour votre serviteur, au-revoir au clavier pendant quelques jours et bonjour bermuda, claquettes et mojitos. On se retrouve début septembre pour la deuxième partie de l’odyssée de la Marie-Barjo. Et pour d’autres aventures…