D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.
EXT Nuit, crépuscule, jungle
Dans le cercle d’un appareil de vision nocturne, système OB à intensification de lumière qui donne aux objets une couleur verte caractéristique apparaît la silhouette à l’affût du grand indien, Redman, perché sur une branche.
Puis le cercle vert se déplace et vient se fixer sur le bunker. La faible lumière qui sourd des meurtrières paraît flamboyante.
EXT Nuit, jungle
Tapi dans un trou de rocher, Kim repose le gros fusil 338 Lapua Magnum acheté par Haig au maquereau Santiag, lors de la halte au campement de la Malaysian Timber Company. C’était par la lunette de cette arme ultra-moderne qu’il observait les alentours.
Le jeune homme ruisselle. La pluie autour de lui s’intensifie et il se met à trembler de froid, les deux bras repliés sur son torse.
INT Nuit, bunker
La caméra détaille les trésors sortis du trou. Trois bons kilos de joaillerie variée. Trente figurines de jade. Des Anuman, le dieu-singe. Ganesh. Hari-Hara avec ses quatre bras. Des Naga à la corolle déployée. Un Garuda à tête de rapace. D’autres figures biscornues du panthéon khmer, la moindre valant au bas mot ses cinquante mille dollars. Plus le Bouddha à la conque. Vingt cinq kilos d’or massif. Plus son bonbon en diamant bleuté enchâssé au milieu du front.
Le champ s’élargit, révélant les cadavres de Pierrot et Valentin, respectivement contre le mur et au bord du trou. Puis Haig, couvert de terre. Et enfin Marisol qui continue de braquer sur lui son 45.
Haig :
Valentin avait raison, tu sais. L’indien nous attend au coin du bois. Le tueur. Il est là. Il va te découper vivante.
Marisol soupire, exaspérée. Elle se penche, ramasse la machette de Valentin vieux et en brandit la lame devant la face de Haig. Tout près.
Marisol :
Question : tu crois que tu peux porter tout ça avec une oreille en moins ? Ou les deux ? Ou bien les oreilles et le nez ? Je sais très bien couper la viande. J’ai tenu des restaurants, tu t’en souviens ?
Elle éclate de rire. Déplaisant, le rire. Un ricanement. Un cri de corneille trop long qui résonne désagréablement dans la vieille enceinte de béton.
Banc-Titre :
Cette fois, j’avais la réponse à la question que je me posais depuis que je l’avais acceptée à mon bord, il y avait une cinquantaine de siècles, à Sato-Do.
Marisol était cinglée. Dérangée. Brindezingue.
Folle, tout simplement.
INT Nuit, bunker
Haig vide les grands havresacs de Pierrot et Valentin. Fourre le bouddha et les pierreries dans l’un, les jades dans l’autre. Il charge les deux sacs sur son dos, une sangle à chaque épaule.
GP sur le regard de Marisol, soudain méfiante.
Marisol :
Tu ferais mieux d’en porter un devant et un derrière.
GP sur les yeux de Haig. On sent qu’il a une idée derrière la tête.
Lui et elle s’affronte un moment du regard.
Haig :
Non. Je vais avoir besoin de voir mes pieds. Surtout dans la descente de l’à-pic.
Après encore un instant d’hésitation, Marisol hausse les épaules.
Marisol :
Comme tu veux, capitan…
Un très bref sourire passe sur les lèvres de Haig. Il charge les deux sacs.
Banc-titre :
Redman l’indien était là, quelque part, à guetter.
On lui avait déterré le trésor. Bien gentiment. Il n’avait plus qu’à le cueillir. Jamais les conditions ne lui seraient plus favorables.
Il allait nous cogner. Maintenant…
EXT Jour, devant le bunker
Ils sortent. Haig devant, Marisol le suivant à deux pas, un flingue braqué sur son dos dans une main, la lampe dans l’autre.
Il y a une vibration dans l’air. Quasi imperceptible. Légère, mais méchante. Un souffle de serpent. L’impact d’un objet dans de la chair.
Marisol pousse un cri. Le faisceau de lumière de la lampe saute. On distingue une flèche plantée dans sa poitrine.
Haig ne perd pas de temps à observer la scène. Dès le sifflement de la flèche, il a déjà laissé tomber les sacs au sol et plongé dans l’obscurité.
Une nouvelle vibration. Une deuxième flèche. Un autre cri de lionne blessée.
Haig (appelant) :
Kim ! Maintenant, Kim !
EXT Nuit, trou de rocher
Kim entend les appels de Haig. Il porte à sa bouche un objet. On reconnaît le sifflet à roulette qu’utilisait Bang pour guider la Marie-Barjo dans le labyrinthe de la forêt inondée.
EXT Nuit, devant le bunker
Haig s’immobilise un instant en entendant les coups de sifflet. Il les localise et part en rampant dans leur direction.
EXT Nuit, jungle
Haig rampe comme il peut dans la végétation, suivant toujours la directions des coups de sifflets que Kim ne cesse de lancer.
On entend une nouvelle vibration de flèche. Derrière Haig s’élève un nouveau cri de Marisol en même temps qu’un remue-ménage confus.
Puis retentit la voix de l’homme. Puissante, la voix. Celle du diable lui-même. Et proche, très proche. La voix d’un géant capable d’attraper Haig d’une main et de lui briser les reins.
Redman :
Hey, toi, Petit-rat-qui-court-dans-les-bois !
Haig se fige, les yeux écarquillés par la peur. Il reste une poignée de secondes aussi paralysé qu’un rongeur surpris dans un grenier.
Redman :
Je tiens la femme ! Tu m’entends ? Redman a attrapé la femme !
La voix retentit loin de Haig. A trente mètres, voire plus. Mais sa tonalité est si étrange qu’elle paraît surgir de la gueule d’une caverne maudite, comme un grondement d’ours, pour se répandre aux alentours, mouvante, insaisissable…
Redman :
Redman va tuer la femme et après ce sera toi, Petit-rat !
Haig se secoue, échappe à ce bizarre hypnotisme. Il se redresse. Souffle fort.
Haig (pour lui-même) :
Bouge, Haig, ce n’est pas le moment de flancher !
Il reprend sa reptation sur les genoux et les mains dans la direction des coups de sifflet de Kim qui continue à s’époumoner.
EXT Nuit, devant le bunker
La lampe tombée sur le sol éclaire confusément deux silhouettes. Celle de Marisol dont on distingue la longue chevelure follement agitée tandis qu’elle se débat. Et celle, monumentale, de l’Indien.
Il y a un immonde bruit de hache. Un coup d’estoc. Du métal sur une matière faible. Marisol poussa un hurlement de terreur et de souffrance.
EXT Nuit, jungle
Haig continue à ramper. Derrière lui retentit un nouvel avertissement.
Redman (moqueur) :
Je lui coupe le bras, petit-rat. À toi aussi je vais couper les bras tout à l’heure !
Haig renonce à ramper. Il se redresse d’un bond et se met à courir.
EXT Nuit, jungle
la course de Haig est confuse. On comprend que des lianes s’enroulent sur ses jambes, essayant de le faire chuter. Des buissons le poignardent de leurs épines. Des branches lui cognent le torse et la face de leurs coudes noueux, cherchant à l’assommer.
Kim :
Haig !
Kim est soudain devant lui, au pied de l’ensemble de roches blanches sous lesquelles il était tapi. On distingue ses yeux brillants dans le noir. Il tend à Haig une forme sombre.
Les mains de celui-ci mains se referment sur la coque de plastique lisse et froide du fusil 338 à système de visée nocturne.
EXT Nuit, jungle
Calé contre un rocher, Haig épaule et colle son œil à la lunette.
EXT Nuit, subjectif, à travers l’intensificateur de lumière
Le monde est vert et gris, les formes étonnamment nettes, modernes, irréelles. C’est comme se trouver soudain plongé dans un écran de radar.
Haig balaie l’espace. Les arbres et les lianes filent en zébrures fluorescentes. On repère du mouvement. Haig s’y fixe et actionne la commande du zoom. Les silhouettes grandissent.
Enfin, il est là, au centre de la lunette. Un fantôme vert. Une ombre monumentale aux tâches noires à la place des yeux. Un gouffre obscur pour la bouche qui hurle encore des cris qu’on n’entend plus qu’indistinctement.
Le titan a le bras levé, vert, prolongé d’une machette à longue lame courbe. Au bout de l’autre bras, il porte un minuscule pantin vert à la longue chevelure verte. Marisol.
Le bras qui tient la machette s’abat. De la gorge de Marisol giclent des longues flammes de liquide vert. Du sang.
La silhouette géante jette le pantin au sol. Se met à marcher dans la direction de Haig.
EXT Nuit, jungle
Haig en train de viser, un genou en terre. GP sur son index qui écrase la détente.
La détonation ne produit pas plus de bruit qu’une bouteille qu’on débouche.
EXT Nuit, subjectif, à travers l’intensificateur de lumière
Haig tire plusieurs fois. À chaque déflagration, la vision nocturne subit un à-coup.
La masse de chair verte s’immobilise un instant, les deux bras levés, dans une pose de grizzly. Et s’écroule en arrière.
EXT Nuit, devant le bunker
Haig et Kim rejoignent le corps de Marisol, qu’ils éclairent à la lampe-torche.
Elle gît sur le côté, un bras arrondi au-dessus de la tête, dans une position qui pourrait faire croire qu’elle est endormie. Sauf que son autre bras repose à deux mètres de là, sa main chargée de bagues blanche sur l’humus brun. Sauf que son cou est ouvert sur une plaie béante, dégouttant de sang que nettoie la pluie.
Kim (murmurant, désolé) :
Marisol.
Haig :
Ouais. Marisol. Celle qui se croyait plus maligne que le reste du monde…
EXT Nuit, jungle
Dans la double lueur des lampes, l’Indien repose sur le dos, bras en croix, immense gisant de guerrier sauvage. Ses cheveux couleur d’argent dessinent un grand cercle autour de sa tête. La pluie mélange les couleurs de guerre dont il s’était grimé le visage. Il porte une vieille veste de treillis U.S., avec une barre de décoration sur la poitrine. De son cou pendent ses anciennes plaques d’identité et des amulettes étranges.
La caméra s’attarde sur la ceinture à laquelle pendent une douzaine de bandes de peau et de cheveux. Des scalps. Plus une tête de très petite fille en état de décomposition avancée.
Banc-titre :
« Un blanc, mais différent« , m’avaient-ils tous dit.
Redman. L’homme rouge.
EXT Nuit, devant le bunker
Les deux hommes traînent les havresacs que Haig avait laissés tomber. Ils s’écroulent par terre, le dos contre le mur de ciment du blockhaus.
Kim est épuisé. Des larmes strient de coulées claires la boue qui macule son visage.
Haig allume une cigarette.
Haig :
Au moins, la pluie s’est arrêtée…
Kim ne répond rien, occupé qu’il est à essayer de respirer calmement, la bouche grande ouverte.
Haig (soufflant la fumée) :
On va se reposer un moment. Puis on tâchera d’enterrer proprement tous ces gens… Et après, on rentre à la maison.
(A suivre)