D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.
EXT Jour, parc de la C.F.D.B.I
GP sur l’embouchure de cuivre d’un clairon qui sonne les couleurs.
Le plan s’élargit. L’homme qui souffle dans le clairon est un petit Cambodgien en uniforme militaire.
INT Jour, Marie-Barjo, cabine
Sur sa couchette, Bozo est réveillé par la sonnerie du clairon. Il jure.
Bozo :
‘Culés de militaires !
Il se retourne sur le ventre, plaquant l’oreiller sur sa tête.
EXT Jour, parc
Plan général. Le clairon se trouve devant une rangée de cinq Khmers en uniforme au garde-à-vous au centre d’un jardin à la française aux allées de gravier blanc tirées au cordeau qui séparent des massifs géométriques fleuris. Au centre, un poteau le long duquel un autre militaire khmer hisse les couleurs. Derrière, une grande maison coloniale de bois à longue terrasse dont un flanc est encore en chantier de rénovation.
EXT Jour, pont de la Marie-Barjo
Kim s’affaire sur le pont. Sur le quai de bois auquel est amarrée la péniche s’entassent des fûts de carburant, des vivres et de l’alcool. Bang est occupé à décharger d’autres matériels. Entendant la sonnerie de clairon, Kim jette un coup d’œil en direction de la propriété et hausse les épaules, narquois.
Kim :
Colonialiste !
EXT Jour, parc
Plan sur le drapeau bleu-blanc-rouge qui flotte en haut du mât.
EXT Jour, parc
Plan sur l’officier qui préside la cérémonie, un Français trentenaire en uniforme impeccable, les cheveux ras réglementaire, figé dans un impeccable garde-à-vous. Sur le revers de sa poche de chemise, on peut lire : « Cne R. de Rancourt ».
Il salue le drapeau, main à la tempe.
La caméra s’éloigne, découvrant un porche qui sépare l’embarcadère du parc, surmonté d’une arcade en lettres de fer forgé repeintes à neuf qui annoncent : « Compagnie Française Des Bois d’Indochine ».
INT Jour, chambre
Haig se réveille dans un lit aux draps blancs qu’encadrent les voiles d’une moustiquaire dansant sous l’effet d’un ventilateur de plafond à pales de bois.
Il se frotte les yeux, l’air satisfait d’un homme qui a bien dormi. Au-delà de la moustiquaire, on distingue la silhouette d’un domestique porteur d’un plateau de petit-déjeuner.
Domestique (fort accent asiatique) :
Mot’zieur c’est moyen dormir confortable ?
Haig :
Parfait, merci.
Le domestique se glisse à l’intérieur de la moustiquaire et pose le plateau breakfast sur la table de nuit de bois ouvragé à la chinoise.
Domestique :
Quand mot’zieur c’est fini, Capitaine attendre lui dans grand salon.
CUT
EXT Jour, jungle
Un groupe de gibbons perchés dans un jambosier dont ils dévorent les fruits rouges. Un bruit de moteur les alerte, puis, s’approchant, les fait fuir en se suspendant aux branches à l’aide de leurs bras démesurés.
EXT Jour, jungle
Un side-car fonce le long d’un chemin raviné d’ornières, étroite tranchée entre deux falaises d’arbres. Au passage, sa roue arrière asperge de boue la caméra.
Banc-titre :
La Mort laisse un sale parfum dans son sillage.
EXT Jour, jungle
Le side-car cahote sur le chemin. C’est un gros « Ural » de fabrication soviétique que pilote le capitaine de Rancourt. Dans le side, Haig.
Banc-titre :
Sa puanteur stagne longtemps là où des êtres humains ont été confrontés à l’indicible.
La violence. La cruauté. La folie.
EXT Jour, jungle
Ayant laissé le side derrière eux, De Rancourt et Haig se sont engagés dans un étroit sentier. Dépassant un bout de chiffon noué en repère autour d’un mince tronc d’abre, ils s’enfoncent dans un labyrinthe de buissons épineux.
Après quelques pas, ils débouchent sur une clairière, vivement éclairée par rapport à la relative obscurité de la forêt, où s’élève une petite baraque de branches et de palmes.
Banc-titre :
Cette senteur pourrie, c’est celle que laissent en quittant ce monde ceux qui ont souhaité mourir.
Ceux qui ont voulu échapper à l’horreur de leur présent pour lui préférer le grand froid de la nuit éternelle.
EXT Jour, clairière
De Rancourt et Haig s’engagent dans la lumière.
Haig :
Des petits collecteurs de bois précieux.
De Rancourt :
Une famille. Je ne savais même pas qu’ils étaient là. Il y en a des dizaines comme ça qui gîtent sur le territoire de la Compagnie.
Haig :
Ils te piquent ton bois.
De Rancourt (haussant les épaules) :
Seulement ce qui traîne par terre.Tant qu’ils ne coupent rien, je laisse faire…
Tout en parlant, ils s’approchent de la petite hutte.
EXT Jour, clairière
La caméra découvre les traces d’un massacre qui s’est tenu là. Des hardes déchirées traînent sur le sol d’herbe tendre. Les restes d’un porcelet presque entièrement dévoré gisent dans un cercle de cendres, entouré de boites de bières et de conserves vides. Devant la petite cabane se dresse, fiché en terre, un pieu taillé en pointe recouvert de traînées noires.
De Rancourt :
Tu vois ce bordel, Haig ?
Haig :
Je le sens, surtout… J’ai vu les corps chez Riton, à la pagode.
De Rancourt :
Je les fait porter là-bas le jour-même. Je ne pouvais pas les laisser ici. Question de respect.
Haig :
J’ai remarqué les traces de flèches.
De Rancourt (énumérant) :
Le père, égorgé. Le jeune, ablation du foie. La femme et la fille, violées et charcutées.
Il pose la main sur le pieu de bois.
De Rancourt :
Mes gars ont trouvé le cadavre de la petite fille empalé là, sur ce pieu. Décapitée. On n’a pas retrouvé la tête.
Haig :
Hmm…
De Rancourt :
Tu en penses quoi ?
Haig :
Rien. Je ne veux pas penser à ce qu’un individu capable de ce genre de trucs peut trouver d’amusant à faire avec une tête coupée de petite fille.
De Rancourt, visage de plus en dur, la bouche tordue dans un rictus dégoûté, continue de montrer du bout de son fusil les traces et indices qu’il a découverts, les désignant à l’attention de Haig. Des boites de haricots Heinz et de clams écrasées à coups de pieds dans les cendres du feu, toutes portant une étiquette de prix en dollars. Le cadavre d’une bouteille de bourbon, elle aussi libellée en dollars.
Haig :
Ça ne peut venir que d’un supermarché de Phnom Penh.
De Rancourt :
Ouais. L’enculé a fait ses petites commissions avant de venir. Dis-moi, Haig, tu ne trouves pas qu’ils ont des drôles de manières, les touristes, ces temps-ci ?
Il montre au pied de l’arbre une longueur de corde neuve.
De Rancourt :
Regarde où ce fils de pute avait attaché le gars, sûrement le père de la gamine.
Haig :
La question c’est : est-ce que le tueur a empalé la petite avant d’attacher le type ou bien est-ce qu’il a embroché sa fille sous ses yeux.
Il sort de ses poche une flasque de whisky, la propose à son compagnon qui accepte puis s’envoie une rasade à son tour.
De Rancourt :
T’as pas encore tout vu, suis-moi…
EXT Jour, jungle
Les deux hommes progressent à travers une trouée découpée à la machette dans les buissons hérissés d’épines. Ils arrivent au pied d’un énorme arbre enserré dans un réseau de lianes épaisses.
À son pied, d’autres boites de conserve vides et des emballages de plastique.
Le long des lianes, des encoches ont été taillées à intervalles réguliers, formant une sorte d’échelle.
De Rancourt (les désignant) :
À toi l’honneur.…
Haig entreprend de grimper.
EXT Jour, arbre
Haig accède à une fourche de deux grosses branches. Il s’y installe.
Plan sur une trouée dans le feuillage par laquelle on jouit d’une vue imprenable sur la petite baraque inondée de lumière.
De Rancourt se hisse à côté de Haig.
De Rancourt :
Tu comprends ?
Haig (hochant la tête) :
Ouais. Il observé ses victimes avant de les massacrer.
De Rancourt :
C’est ça…
Haig :
Combien de jours, tu crois ?
De Rancourt :
D’après les boites et les emballages, je dirais trois jours, peut-être même quatre…
EXT jour, arbre
Les deux hommes descendent.
EXT Jour, pied de l’arbre
De Rancourt extrait une épine du tissu de sa chemise.
De Rancourt :
Quatre jours !… Quatre jours passés à épier qui ? Un commando ennemi ? Des soldats sur leurs gardes ? Non, une famille de nomades de la forêt, flemmards et inoffensifs.
Haig :
Il les a épiés.
De Rancourt :
Et il a pris tout son temps. Et il choisissait son heure, les armes qu’il emploierait, les tortures qu’il infligerait… Tu comprends ? Il a joui à l’avance de son programme. Il a JOUI !
Silence. Les deux hommes se regardent, muets.
De Rancourt :
Je te le jure, Haig, si jamais je mets la main sur ce salopard, je ne lui laisserais pas une seule chance !
(À suivre)