D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.
EXT Jour, rivière
La Marie-Barjo redescend la rivière. La caméra s’attarde sur ses blessures. Les impacts de balles. Les hublots nus.
INT Jour, timonerie
Des plans alternés montrent Haig et Kim à la barre, échangeant quelques mots ou partageant le contenu d’une boîte de conserve.
INT Jour, carré
Plan sur les deux havresacs rapportés des Monts Rouges, repoussés dans un coin. L’un d’eux, entrouvert, laisse apercevoir une partie du Bouddha d’or.
EXT Jour, jungle
On aperçoit « la tour », le rocher de forme cylindrique en arrière-plan. La Marie-Barjo est amarrée à son pied.
Haig et Kim échangent une bouteille de rhum à l’endroit où Bozo est enterré. La tombe, quelques jours plus tôt un tumulus de terre retournée, est déjà quasiment invisible, recouverte de végétation courte.
Kim :
La forêt reprend ses droits…
Haig (sombre) :
Ouais.
Kim :
Bientôt, on ne verra plus où il repose, le copain.
Haig :
C’est aussi bien comme ça.
EXT Jour, rivière
La Marie-barjo longe « la tour », s’éloignant.
INT Jour, timonerie
Haig est à la barre. Il observe le rocher, le regard douloureux.
Flashes-back : divers plans de la nuit d’amour entre Haig et Marisol.
Retour à Haig. Il pousse les gaz. Rageusement.
Nouvelle série de flashes-back : devant le bunker japonais, Kim et Haig balancent dans une fosse fraîchement creusée les cadavres de Marisol, de l’Indien fou et des deux Français.
INT Jour, Malt City, bar de Santiag
On reconnaît la grande salle peuplée de filles sexy et de bûcherons en goguette. La musique disco est forte. Haig, Kim et Santiag sont attablés. Santiag arbore ses éternelles lunettes noires. Derrière lui se tiennent deux gardes du corps à l’expression fermée. En travers de la table repose le fusil 33 Lapua Magnum à système OB de vision nocturne.
Santiag :
Deux cents dollars.
Kim laisse échapper un hoquet outragé.
Haig :
Voleur ! Tu me l’as fourgué six cents dollars y’a pas dix jours !
Santiag le gratifie d’un regard ironique par-dessus ses lunettes noires.
Santiag :
C’était six cents quand tu en avais besoin. C’est deux cents quand tu n’en veux plus. La loi de l’offre et de la demande, mec. Si tu veux parler de commerce, alors assieds-toi et cause avec Santiag…
EXT Jour, Malt City, rue des bordels
Haig et Kim marchent de concert le long des établissements couverts de guirlandes et de néons, hélés par des filles aguicheuses.
Kim :
C’est quand même dingue que tu aies pensé à acheter ce fusil.
Haig (haussant les épaules) :
Un simple pressentiment… Je me suis dit qu’il était possible qu’on se retrouve à devoir se battre de nuit.
Kim :
Le fameux instinct de l’aventurier, c’est ça ?
Haig (très sérieux) :
C’est ça, gamin. C’est exactement ça…
INT Jour, pagode, bureau du moine Ritty Samat – « Riton »
Haig, Kim et Riton sont assis de part et d’autre d’une natte de paille de riz. Au centre, entre eux, trône le Bouddha en or, avec sa gemme scintillante au front.
Riton (ébahi) :
Un don ?
Haig :
Pour la pagode, oui. Il a été volé dans une pagode, c’est normal qu’il retourne dans une pagode.
Après avoir longuement contemplé, bouche bée, la statue d’or massif, le moine relève la tête.
Riton (exigeant) :
Mets-moi un peu au parfum, tu veux ?
Haig :
C’est le butin d’un pillage commis par deux Français un peu avant la fin de la guerre américaine. Ils l’avaient planqué dans les Monts Rouges. J’en ai entendu parler, et voilà…
Riton hoche lentement sa tête de tortue.
Riton :
Ouais, ouais, ouais… J’avais entendu causer d’ce bingtz… Même que les gusses avaient raflé une collection de trucs en jade, en plus…
Haig (air surpris) :
Des jades ?
Il adresse un regard faussement interrogatif à Kim.
Kim (tout aussi faussement étonné) :
Des jades ?
Le vieux bonze darde sur eux ses petits yeux noirs, aussi perçants que des mèches de perceuses à coffre-fort, les scrute une bonne poignée de secondes au fond des pupilles… puis laisse tomber.
Riton:
Vous restez avec nous quelques jours, les gars. On va préparer une cérémonie. Une bamboula bouddhiste, je vous dis que ça !
EXT Jour, préau de la pagode
La totalité de la population du temple est réunie sous le toit de la salle commune, autour de nattes réparties au sol. Tous s’empiffrent de canard, de poulet, de porc, de buffle, de légumes de toutes sortes, le tout découpé et cuisiné de cinquante mille manières, servi avec des tonnes de riz dans de grandes gamelles argentées.
Haig s’apprête à croquer dans un poisson frit. Une vieille femme fait irruption à côté de lui et le salue bien bas, les mains jointes devant le visage.
Femme :
Oh, merci, moutssiou Hêg !
Haig :
C’est rien, madame…
Il se prépare de nouveau à goûter à son poisson. Cette fois, c’est un vieil homme qui l’interrompt.
Homme :
Tous nos remerciements de congratulations, moutssiou Hêg !
Haig (agacé) :
Mais non, voyons…
Il ouvre la bouche. Une nouvelle vieille femme apparaît.
Femme :
Merci, moutssiou Hêg !
Haig lève les yeux au ciel. À côté de lui, Kim rigole, la bouche pleine.
INT Jour, plantation de la « Française des Bois« , bibliothèque
Haig est assis en face de Rodolphe de Rancourt, installé à son bureau dans une pièce emplie de bouquins sur toutes les guerres, décorée de trophées de chasse et de divers vieux fusils.
Haig :
Voilà, tu connais toute l’histoire.
De Rancourt :
Incroyable, tout de même. Tant d’années après, cette maudite guerre continue de faire des dégâts… Un Amérindien, hein ?
Haig :
Oui.
Il ramasse à ses pieds un arc moderne à la forme en M en alliage ultraléger, aux multiples cordes tendues sur des poulies.
Haig :
C’était son arc. Je t’en fais cadeau.
De Rancourt s’empare de l’objet, l’observe un moment sous tous les angles, puis le pose en travers de son bureau, l’air incommodé.
De Rancourt :
Belle arme. Je vais l’accrocher ici, à un des murs. Pour le souvenir des victimes, uniquement. Je ne veux pas m’en servir. Cet engin a été mêlé à trop de saloperies.
Banc-titre :
Je m’abstins de lui objecter que c’étaient là de drôles de paroles pour un ancien officier commando qui avait écumé le Tchad et la Centrafrique, et joué les instructeurs secrets auprès de la guérilla Karen.
C’est toujours délicat de s’engueuler avec celui qui vous offre gîte et couvert…
EXT Jour, Sato-Do, maison du docteur Chour
Haig et Chour sont assis dans les fauteuils d’osier du salon coquet, de chaque côté de la table basse. Sur celle-ci, outre leurs bières, se trouve une épaisse liasse de billets.
Chour (protestant) :
Mais qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?
Haig :
Un dispensaire. (Il pousse la liasse devant Chour). Voilà de quoi la réparer et l’aménager.
Chour :
Haig, c’est trop…
Haig :
Non, c’est juste. Cette bonne vieille Marie-Barjo ira ravitailler en médicaments et soins gratuits les pauvres mecs des compagnies forestières après les avoir abreuvé de bouffe et d’alcool.
EXT Jour, quai de Sato-Do
La Marie-Barjo amarrée au débarcadère. À côté d’elle, un sampan occupé par une famille cambodgienne, prêt à partir, moteur allumé. Kim est est à son bord. Il regarde la vieille péniche d’un air ému. Il ôte ses lunettes et se frotte les yeux.
Sur le débarcadère, Haig, un sac de marin sur l’épaule. Il donne une bonne claque sur le cul de tôle épaisse de la péniche.
Haig (faussement enjoué) :
Salut la Marie-Barjo. Tu m’as donné de bons moments, vieille barcasse !
Puis il monte à bord du sampan.
EXT Jour, rue de Phnom Penh
Un cyclo-pousse s’arrête devant un grand bar à l’enseigne du « Le Deauville ». Haig en descend et entre dans le bar.
INT Jour, Le Deauville
La salle est pleine de soldats français en treillis, bérets bleus de l’ONU sur la tête ou glissés dans l’épaulette. Haig s’assoit devant une sorte de fouine aux épaisses lunettes.
Haig :
Salut Oleg.
Banc-titre :
Oleg était un ancien fonctionnaire de l’ambassade soviétique.
Grace à ses contacts avec les plus hauts cadres du régime cambodgien, il faisait gentiment fortune dans la revente de matériel agricole, d’hélicoptères et de canons.
INT Jour, Le Deauville
Oleg :
Salut, Navigateurr… Toi toujourrrs sur ton grrros bateau ?
Haig :
Non. Je l’ai donné.
Oleg lève les yeux au ciel, déplorant la stupidité de Haig.
Oleg :
Toi fairrre ce que tu veux… Pourrrquoi toi venirrr me voirrr ?
Haig se penche sur la table et lui explique ce qu’il veut tandis que la caméra s’éloigne.
INT Jour, hôtel Cambodiana
Haig est introduit par un colosse en costume sombre dans une suite au luxe anonyme de palace international. S’y trouve un vieillard couvert de bijoux d’or, assis dans un fauteuil derrière lequel se tiennent trois autres montagnes de muscles aux lunettes noires, en costards sombres, les mains devant les couilles.
Haig étale sans cérémonie sur le lit les Ganesh, Anuman, Garuda et autres statuettes de jade qu’il a rapportées des Monts Rouges.
Le vieillard les examine. Il fait un signe à un de ses sbires qui tend à Haig une mallette.
INT Jour, hôtel
Dans une chambre plus modeste à deux lits, avec ventilateur poussif au plafond, Haig et Kim se partagent les liasses de dollars qu’ils tirent de la mallette.
Haig fourre sa part dans son sac de marin.
Kim (inquiet) :
Tu n’as pas peur que les douaniers…
Haig (coupant) :
J’ai dit que je me cassais du pays. Je n’ai pas dit que je passerais par les douanes.
Kim :
Okay, okay, capitaine…
Haig :
Et toi, qu’est-ce que tu comptes faire ?
Kim :
Un copain ornithologue, un Belge, est en train de fonder une réserve naturelle du côté des temples d’Angkor. Il m’a proposé de m’associer.
Haig (distraitement) :
C’est bien…
Les deux hommes restent silencieux un moment, en types naturellement peu loquaces qui n’ont plus rien à se dire.
Kim :
On se fait une dernière nouba ?
Haig :
Si c’est toi qui invites…
INT Nuit, bar « Le Martini »
La grande salle du plus grand bordel de Phnom Penh. S’y pressent des dizaines de soldats de l’ONU et une horde de filles. La musique est assourdissante.
Haig et Kim sont assis à une petite table un peu en retrait. Kim fait ami-ami avec une jeune sino-khmère au grand sourire. Haig a pour lui tenir compagnie une très belle vietnamienne au corps de mannequin et aux gestes de danseuse. Tous boivent de la vodka vietnamienne et fument de l’herbe. Kim et les deux filles rigolent. Haig reste sombre.
Haig se penche vers Kim et lui crie dans l’oreille, pour se faire entendre malgré la musique qui déferle des baffles.
Haig :Tu sais quoi ?
Kim (hurlant) :
Dis-moi.
Haig :
Si ça se trouve, elle n’avait même jamais tenu de restaurant !
– FIN –
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