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LA MARIE-BARJO – Épisode 06

Publié par le 7 mai 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

INT Nuit, carré de la Marie-Barjo

Il fait sombre. Seule la clarté de la lune, tombant depuis les hublots, laisse distinguer quelques détails. La table en désordre. Des caisses d’alcool. Des armes.

Haig (voix off) :
Bozo ? Merde, Bozo, qu’esse-tu fous ?

À son ton, on comprend qu’il est ivre.

 

INT Nuit, carré, épaule de Haig

La caméra suit Haig qui titube à travers le carré, portant à une ou deux reprises une bouteille à sa bouche.

Haig :
Bozo ? BOZO ?

Il parvient à l’échelle qui monte à la timonerie. Il glisse sur le premier barreau, se rétablit et réussit à grimper. Alors qu’il se hisse, on aperçoit, à sa hanche, le colt dans le holster qui pend à sa hanche.

 

INT Nuit, timonerie

Le corps de Bozo, reconnaissable à ses rangers délacées et à ses divers tatouages, est affalé sur le sol.

Haig:
Bozo, merde, quesse t’as ?

La caméra se rapproche. On se rend compte que le corps de Bozo est décapité.

Haig (voix geignarde de poivrot) :
Oh ben non alors Bozo, putain tu fais jamais gaffe qu’esse t’as encore foutu…

Il s’immobilise en découvrant une silhouette dans l’ombre. On reconnaît le colosse aux cheveux longs déjà entraperçu dans le port de Phnom Penh et sur la photo prise par Choeng Sam.

Haig :
Eh ! Qu’est-ce que tu fous-là ?

Sa main se porte à son holster de hanche mais trouve celui-ci vide.

Le colosse toujours invisible dans l’obscurité lève lentement le bras et tend vers Haig la tête de Bozo qu’il tient par le crâne dans sa vaste main, comme une boule de bowling.

 

INT jour, matin, cabine de Haig

Haig tombe de son lit de camp. Il se reçoit durement sur le sol de métal et s’éveille. À côté de lui, un cadavre de bouteille de whisky et une ribambelle de boîtes de bière témoignent de la cuite de la veille.

Haig (voix pâteuse) :
Merde… Putain de cauchemar… Fait chier…

 

EXT Jour, port de Sato-Do

De l’agitation sur les long-boats. L’un d’eux s’apprête à partir, moteur grondant. Au milieu du fleuve à l’eau étincelante, un pêcheur sur une barque lance un carrelet. Au bout de l’embarcadère, le long préau bricolé en palmes et en bambous sous lequel s’entassent une vingtaine de candidats au travail dans les exploitations forestières : des types en haillons au milieu d’un bordel de hamacs, de gamelles et de bouteilles d’alcool. S’en détache Marisol, en pantalon et chemise de jean propres, qui gagne le débarcadère de planches et se dirige vers la Marie-Barjo.

 

EXT Jour, pont de la Marie-Barjo

Haig titube, les yeux irrités par le soleil, une boîte de bière ouverte à la main. Il bute sur des tronçonneuses empilées sous une bâche et jure.

Haig :
Bordel !

Parvenu au plat-bord, il laisse aller un regard torve sur les alentours tout en s’envoyant des lampées de bière. Il rote avec satisfaction.

Haig :
Aaah, putain…

La voix de Marisol le hèle depuis le débarcadère.

Marisol :
Capitan ?

 

EXT Jour, champ / contrechamp, Marie-Barjo, débarcadère

Marisol :
Hello ?

Haig :
Grrr ?

Bozo apparaît derrière Haig. Il a lui aussi une boîte de bière à la main. Les deux hommes trinquent distraitement, chacun à l’évidence occupé par sa propre gueule de bois.

Marisol (insistante) :
Hola ? Hello ?

Bozo :
Canon, la gonzesse !

Haig :
Qu’est-ce qu’elle vient foutre dans ce coin pourri ?

Marisol :
Toi, c’est le capitan ?

Haig :
Une Espagnole ? Encore ? Qu’est-ce qu’ils ont tous, les Espingouins ? Y a une agence de voyage à Madrid qui fait des prix sur le Cambodge ou quoi ?

Marisol :
Je cherche un moyen pour aller dans les Monts Rouges. Je vous paierais 500 dollars si vous me prenez sur votre barco.

Haig :
Non.

Marisol :
Bueno… Disons que je peux payer 1000 dollars.

Haig :
Garde-les, connasse. C’est dangereux, dans la région. Il se passera du temps avant qu’on puisse y faire du tourisme.

Marisol fronce les sourcils à l’injure, mais ne désarme pas.

Marisol :
Je dois absolument y aller, dites-moi votre prix.

Haig :
Oh putain ma jolie…

Marisol :
Absolument. C’est une question de vie ou de…

Haig (beuglant) :
Ta gueule ! Je vais pas me laisser emmerder par la première connasse venue ! J’en veux pas, de ta petite troche de pute à bord ! Putain c’est pas dieu possible de pas pouvoir travailler en paix sur ce foutu port ! Là, à se faire emmerder par des connasses de touristes de mes couilles !

Marisol tourne les talons et s’éloigne, son fessier suggestivement moulé par le jean à l’évidence vexé.

Haig :
Elle a compris, maintenant, la chieuse ?

Bozo (mi rigolard, mi embêté) :
Euh, je crois, capitaine qu’envoie !

 

CUT

 

EXT Nuit, bordel

Haig à la terrasse d’un petit bordel, une cabane au seuil encadré de guirlandes lumineuses. À l’intérieur, très fortement éclairé par un néon blanc, on distingue un comptoir de bambou et trois filles laides attifées sexy qui attendent le pêcheur en goguette. Haig sirote du whisky australien, le cigarillo à la bouche, les jambes étendues. Relax.

Une grosse fille en minirobe vient à la porte et s’appuie au chambranle.

Fille :
Pourquoi toi c’est pas baiser ?

Haig :
Pas envie ce soir, ma belle, désolé.

Fille (haussant les épaules) :
Toi c’est pédé maintenant ?

Haig (rigolard) :
Non.

Fille :
Plus moyen aimer Cambodgienne ? (elle lance un regard vers la ruelle). Tiens, voilà jolie fille étrangère pour toi !

 

EXT Nuit, ruelle

Marisol s’approche, chaussée de bottes de caoutchouc, évitant soigneusement les flaques. Elle porte à bout de bras une mallette de cuir jaune d’aspect coûteux.

Elle s’arrête devant Haig.

 

EXT Nuit, bordel

La grosse fille crache aux pieds de l’Espagnole et retourne à l’intérieur en se dandinant.

Marisol :
Bonsoir. Ne me jette pas, por favor, je voudrais juste m’excuser pour ce matin, te parler et…

Plan sur la bouteille de rye, la gamelle pleine de glaçons en train de fondre et le bol de cacahuètes.

Marisol :
… et peut-être t’offrir un verre, no ?

Haig hésite. Il observe sa visiteuse un moment puis soupire et repousse de la botte la chaise qui lui fait face.

Haig :
Question verre, je suis servi. C’est moi qui t’invite. (Il tend la main). Je suis Haig.

Marisol (s’asseyant) :
Moi, c’est Marisol.

Elle esquisse un geste pour poser son espèce de mallette à ses pieds, mais elle se ravise en constatant l’état boueux de ses bottes et la pose sur ses cuisses, les deux mains dessus.

Une petite fille en tenue d’écolière, jupe marine et chemisier blanc, vient prendre la commande.

Haig :
Qu’est-ce que tu bois ?

Marisol :
Il y a de la bière ?

Haig :
Australienne.

Marisol :
Ça ira…

Haig :
Pas fraîche.

Marisol :
Okay.

 

EXT Nuit, bordel

Plan général : Haig et Marisol trinquent et boivent. Au bout de la ruelle on aperçoit le préau des clochards au bout du port, où brûlent des lampes et d’où montent des rires d’ivrognes.

Plan sur Marisol. La caméra insiste sur son décolleté puis sur ses mains chargées de fines bagues d’or et d’argent.

Marisol (désignant le préau du menton) :
Tu crois que je peux monter sur les pirogues avec ces types ?

Haig :
Non. Tu vas te faire violer. Ils vont te dévaliser, te prendre tes bijoux et ta jolie mallette en peau de zébi. Et pour finir, tu auras de la chance si tu ne finis pas au fond de la rivière.

Marisol :
Entonces ?

Haig :
Alors quoi ?

Marisol :
Qu’est-ce que je dois faire ?

Haig :
Je ne sais pas.

Marisol l’étudie un moment, la tête en arrière, le flot de ses cheveux noirs répandu sur les épaules. Ses lèvres remuent : c’est un tic qu’elle a – et qu’on reverra – de murmurer pour elle certaines phrases avant de les dire tout haut.

Marisol :
Je ne suis pas une petite bourgeoise qui cherche des sensations. Je ne suis pas là pour le tourisme. J’ai déjà fait des voyages, dans le désert, en Indonésie… Je sais me débrouiller.

Haig :
Je te crois.

Marisol :
Ce que j’essaie de t’expliquer, c’est que je ne suis pas irresponsable. Je sais que ça peut être dangereux, là haut. Si je suis là à insister et passer pour une emmerdeuse, c’est que j’ai des raisons impératives d’y aller.

Haig boit un gorgeon, claque de la langue.

Haig :
Okay, Marisol. Lesquelles ?

Elle se laisse retomber sur le dossier de sa chaise.

Marisol :
Je ne peux pas te le dire.

Haig (ricanant) :
Je résume : tu veux que je te rende service, mais tu ne veux pas me dire pourquoi ? Ma réponse c’est va te faire f… Hmm… Disons : va te faire voir.

Elle réfléchit un moment en se mordillant la lèvre inférieure, prend une inspiration et se jette à l’eau.

Marisol :
De acuerdo. Je pense que mon père est mort là-haut.

Haig sourit sans répondre. On se rend compte qu’il se retient de rigoler.

Marisol :
Mon père et ma mère étaient nés ici, expliqua-t-elle. Quand c’est devenu évident que les Khmers rouges allaient gagner la guerre, ma mère est allée se réfugier à Bangkok. Mon père a voulu rester encore un peu. Il voulait aller dans les Monts Rouges. Il avait entendu parler d’un gisement d’argent là-haut.

Haig :
Une mine d’argent ! Rien que ça ?…

Marisol :
Il avait l’intention la repérer. Pour après. Il ne pensait pas que les Khmers rouges tiendraient longtemps. Ma mère m’a dit qu’il pensait revenir et qu’alors, il ferait fortune avec ce gisement. Seulement il n’est jamais revenu de là-haut…

Haig :
Et maintenant, tu veux la mine pour toi ?

Marisol (outragée, yeux écarquillés) :
Que va ? No !… Je veux seulement trouver une trace de mon père. Et même si je ne trouve rien, je veux quand même essayer. Tu peux comprendre ça, quand même !

Elle se penche en avant. Son décolleté montre carrément ses seins.

Marisol :
Je peux te donner 2000 Dollars. Et au retour, même si je n’ai rien trouvé, je te donnerai encore 2000 dollars.

Haig vide son verre. Posément. La regarde. Bascule en arrière, lève la tête et éclate d’un grand rire.

 

Banc-titre :

Bon dieu, qu’est-ce qui m’a pris d’accepter cette gonzesse à mon bord ?

Peut-être que j’avais seulement envie de voir jusqu’où elle pouvait aller, question culot…

 

(A suivre)

 

 

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