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LA MARIE-BARJO – Épisode 08

Publié par le 21 mai 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

INT Jour, carré de la Marie-Barjo

Plan sur le fond de la marmite qui a contenu des spaghettis, dont ne subsiste plus qu’un peu de sauce. La main de Bozo, reconnaissable à ses tatouages et à ses bagues vient le torcher d’un revers de tranche de pain de mie.

Plan général sur les personnages attablés, repus et satisfaits.

Marisol (sourire en coin) :
Alors, je suis embauchée pour faire la cuisinière ?

Chour, le docteur, qui essuyait soigneusement ses lèvres maculées de sauce tomate, lui pose la main sur le bras.

Chour :
Si Haig refuse, je vous en prie, restez à Sato-Do. Je vous engage. Vous tiendrez la cantine de mon hôpital…

Kim (après un rot contenu) :
Une merveille ! Tirer un truc pareil à partir de boîtes de thon, ce n’est plus du talent, c’est carrément du génie !

Marisol :
Tu oublies le poisson séché que j’ai trouvé au marché.

Chour éclate de rire. Bozo, toujours entrain de saucer la gamelle, si penché qu’on croirait qu’il va s’y engloutir, relève brusquement la tête.

Bozo (s’exclamant) :
Cette merde ?

Marisol :
Je l’ai fait tremper pour le ramollir, et puis je l’ai écrasé en miettes. C’est ça qui donne le goût salé. On dirait des anchois, je trouve.

Chour :
Bien vu. Belle adaptation aux ressources locales. (À Kim) : pas vrai, l’écologiste ?

Kim approuve.

Marisol :
Alors, je suis la cuistot de la Marie-Barjo ?

Haig (bourru) :
T’es pas obligée. T’as payé ton passage.

Marisol (haussant gracieusement les épaules) :
Il faudra bien que je m’occupe…

Haig :
Bon… Okay… C’est d’accord.

Bozo (la bouche pleine) :
Sage décision, cap’taine Bouffon !

 

EXT Jour, rues de Sato-Do

Haig raccompagne Chour. Ils longent le marché écrasé de chaleur, maintenant désert, occupé seulement par de maigres chiens errants qui se disputent des ordures.

 

EXT / INT Jour, hôpital

Haig suit Chour pendant sa tournée d’après-midi.

Les malades s’entassent à quatre ou cinq dans les petites chambres grossièrement peintes en bleu. En plus, il y a leur famille, des femmes, des enfants, des vieux, qui campent autour du lit de fer, sur des nattes de paille encombrées d’ustensiles de cuisine. Même chose pour les patients installés en extérieur, à l’abri de bâches.

Chour prodigue soins et conseils.

Quelques gros plans sur des patients, montrant des maigreurs extrêmes, des teints livides, jaune vieil ivoire, des lèvres bleues tendues à se déchirer sur les dents jaunes, des sourires épuisés, des regards de chiens agonisants… L’éternel tableau de la misère en souffrance.

 

INT Jour, bungalow

Haig et Chour boivent chez ce dernier une bière « Tiger » (Singapour) dans le salon coquet que l’on connaît déjà. Chour remet à Haig une liste des médicaments.

Chour :
Tiens, pour ton prochain passage.

Haig consulte rapidement la liste et la fourre dans sa poche de chemise.

Haig :
Je ferais au mieux, Toubib.

Chour :
Je sais.

Ils choquent leurs bouteilles pour trinquer.

Chour :
Tu as pris une passagère, alors ?

Haig :
T’as vu.

Chour :
Toi qui dis toujours que tu ne veux personne à bord…

Haig :
Faut croire qu’elle a été persuasive.

Chour (malicieux) :
Rien à voir, naturellement, avec la plastique de ladite passagère, pour le moins, disons, avenante ?

Haig (pince-sans rire) :
Rien à voir.

Chour :
C’est marrant, deux autres types sont passés au village, il y a une dizaine de jours. Des Français. Eux aussi ils voulaient aller dans les Monts Rouges.

Haig :
Encore !… Ça devient la mode, ma parole !

Chour :
On dirait.

Haig :
Je résume : d’abord un Espagnol que j’envoie chier et qui se fait assassiner. Une fille sortie d’un catalogue de mode, espagnole elle aussi. Maintenant deux Français inconnus…

Chour :
Des vieux. Soixante ans, par là.

Haig :
Et en plus une espèce de colosse mystérieux qui se balade dans le coin. La Lon-Stung devient une rivière touristique ou quoi ?

Chour (rigolant doucement) :
Je me demande si je ne vais pas laisser tomber la médecine et ouvrir un hôtel…

 

EXT Jour, crépuscule, marché

Kim guide Marisol parmi les stands et les échoppes. C’est le marché du soir, grouillant de monde. Les commerçants s’éclairent à l’aide de lampes à néons, de lampes à pétrole et, pour les plus pauvres, de simples bougies.

Autour de nattes déroulées au sol, des groupes jouent à des jeux de cartes en piaillant avec excitation.

 

EXT Jour, crépuscule, pont de la Marie-Barjo

Haig, flanqué de Bozo, observe pensif l’agitation du petit port et particulièrement le préau des candidats à la remontée de la Long-Stung.

 

EXT Jour, préau

Plans courts sur l’activité grouillante qui y règne. Des lampes et des braseros de terre cuite qu’on allume, des nattes qu’on étend au sol, des hamacs qu’on tend entre deux piliers…

 

EXT Nuit (naissante), pont

Haig :
Il n’a pas dit de conneries, le toubib.

Bozo :
Hmm ?

Haig :
Il y a de plus en plus de monde sur la rivière.

Bozo :
Ça gène qui ?

Haig :
Personne…

Bozo :
Ça dérange toi, on dirait. Y a quelque chose qui t’emmerde ?

Haig :
Sais pas… Je trouve qu’il sent mauvais, ce voyage. Depuis l’Espagnol. Il y a trop de choses inhabituelles. Trop de gens nouveaux…

Bozo :
Te prends pas la tête, cap’tain t’inquiète.

 

EXT Nuit, quai

Kim et Marisol s’en reviennent du marché, les bras tirés par des sacs de provisions et des grappes de noix de coco.

Ils montent à bord et rejoignent Haig et Bozo.

Marisol :
Je fais la soupe de coco au curry ce soir !

Bozo :
Waoh, super ! Je vais ouvrir les cocos. C’est moi le roi de la machette !

Il se joint aux deux autres. Tous les trois gagnent le carré.

Resté seul, Haig écoute leurs rires, l’air grognon du capitaine que la joyeuse insouciance de son équipage défrise. Il soupire et se dirige vers l’avant du bateau.

 

INT Nuit, gaillard d’avant

Une petite caverne de métal étroite mais profonde, triangulaire, dont la pointe est la proue de la Marie-Barjo. Bang, le grand Jaraï, s’y est aménagé une cabine rudimentaire : un hamac de toile tendu en diagonale au-dessus de quelques nattes. Une lampe à pétrole, un brasero de terre cuite et un carton de bières qui sert de placard. On découvre le bonhomme, massif, accroupi devant le brasero sur lequel chauffe une casserole emplie de liquide très noir.

Haig :
Tu m’offres un café, Bang ?

Bang hoche sa grosse tête en silence. Il commence à s’affairer, tirant les ustensiles d’un vieux carton. Il porte une vieille veste militaire élimée avec sur l’épaule l’écusson des KPAV, les forces armées royalistes (opposées aux Khmers Rouges). Son épais torse sombre est éclairé de reflets roux des charbons ardents du brasero..

Bang :
Haig s’asseoir.

Haig se hausse sur le hamac. Un remue ménage se déclenche à côté de lui. L’immonde boule de poils jaunes qui sert de chien à Bang, dérangé dans son sommeil, grogne sa réprobation, tourne sur lui-même et se recouche avec un soupir de vieillard.

Bang (rigolant) :
Ho, ho, pas faire attention, lui chien c’est vieux.

Il tend une demi-coquille de noix de coco emplie de café que Haig hume avec ravissement avant de boire une gorgée et de grogner son approbation.

Haig :
Toujours aussi bon.

Bang (remuant le liquide épais qui reste dans la casserole) :
Café Vietnam. Très bon très cher. Marchand pas beaucoup. Bang connaît.

Haig :
On dirait du caramel…

Bang :
Moyen mettre beaucoup café. Eau très bouillante une goutte, une goutte, une goutte. Passer beaucoup le temps.

 

Banc-titre :

Bang n’était pas seulement le roi du caoua et un colosse apte à tous les travaux de force de la navigation.
C’était aussi un type connu de tout le petit peuple du fleuve, pêcheurs, mariniers et gens des ports.
Tout ce qui pouvait se passer sur les berges de ce coin du monde, il le savait.

 

Haig :
Bang, dis-moi : il y a deux Français qui sont passés à Sato-Do ?

Bang :
Oui. Deux hommes. Rester trois jours.

Haig :
T’en penses quoi ?

Bang :
Pas bon.

Haig :
Pourquoi ?

Bang :
Boire beaucoup tous les deux. Baiser beaucoup les filles. Parler pas bon à tout le monde. Crier beaucoup, parler sale, chercher la merde.

Haig :
Et après ?

Bang :
Eux partis. Eux moyen donner argent à sampan et partis.

Haig :
Il y a combien de temps.

Bang :
Cinq jours.

Les deux hommes boivent en silence, puis Haig prend une inspiration.

Haig :
T’as entendu parler d’un type très grand avec des cheveux très longs ?

Bang :
Oui. Gens parler à moi. Homme très grand très fort. Ici, tout le monde peur de lui parce que très grand. (Il rigole) : Eux c’est moyen la trouille !

Haig :
Qu’est-ce qu’il a fait, l’homme grand ?

Bang :
Aller marché. Acheter beaucoup. Donner beaucoup dollars mais marchands quand même peur.

Haig :
Et après ?

Bang :
Lui parti.

Haig :
En sampan, lui aussi ?

Bang :
Non.

Haig :
Comment ?

Bang :
Bang pas moyen savoir. Lui aller marché. Sortir marché. Et lui parti.

 

EXT Jour, petit matin, port de Sato-Do

La pluie s’abat, dense et crépitante. Des vagues agitent l’eau boueuse du fleuve. Amarrée à son débarcadère, la Marie-Barjo se balance.

 

INT Jour, timonerie

Haig descend de son hamac. Il oscille un peu avant de retrouver son équilibre, grogne un juron et descend par la trappe.

 

INT Jour, carré

Haig tape violemment sur les cloisons.

Haig (beuglant) :
Debout là-dedans ! Allez ! Allez ! On y va !

Il frappe carrément du pied contre la porte de son ancienne cabine, occupée par Marisol.

Haig :
Les passagers pour les Monts-Rouges ! Embarquement immédiat ! Debout, bordel, les choses sérieuses commencent !

 

INT jour, carré

Agitation générale. Marisol sert le café. Haig ouvre les cadenas d’une cantine qui se révèle emplie d’armes.

Haig :
Distribution, les gars.

Un AK 47 et une paire de grenades pour chacun des gars. Haig se réserve un fusil mitrailleur Skorpio et un shotgun à canon scié.

Marisol observe ce déploiement de métal qui tue, les yeux effarés. Bozo lève sa Kalachnikov sous son nez, engage un chargeur et actionne la culasse en rigolant :

Bozo :
Bienvenue à bord, madame Trésor !

 

(A suivre)

 

 

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