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LA MARIE-BARJO – Épisode 17

Publié par le 23 juillet 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, aérien

Vue générale de Malt City : le lac boueux ; les chantiers de coupe où vont et viennent des machines ; le quartier des bars, désordre de toits de tôles et d’étroites ruelles tortueuses où grouillent des filles.

 

INT Jour, carré de la Marie-Barjo

Penché sur une cuvette d’eau, Haig torse nu achève une toilette qu’on devine sommaire. À l’arrière-plan, Marisol l’observe depuis le chambranle de la porte de métal de sa cabine.

Haig se frictionne d’un peu d’eau de toilette Le Troisième Homme de Caron (pub gratuite, merci !) et enfile une chemise de jean propre qui l’attendait sur le dossier d’une chaise.

Marisol :
Tu sors ?

Haig :
Je vais au bordel.

Les fins sourcils de Marisol vont faire un tour au milieu de son front. Elle reste quelques instants interloquée par la franchise de Haig avant de retrouver la totalité de ses moyens.

Marisol :
Bueno. Je peux venir ?

Haig rigole. Marisol l’observe sans comprendre.

Haig :
Marisol, c’est plein de bûcherons en rut, là, dehors.

Marisol :
Y qué ?

Haig :
Les autres types, ceux qui tiennent les bars, ce n’est pas qu’ils vendraient leur mère, c’est qu’ils ont commencé par ça.

Marisol :
Qu’est-ce qué tu veux dire ?

Haig :
Je veux dire que, sorti du bateau, ton joli petit cul tout propre ne ferait pas dix mètres.

Les grands yeux turquoise le fusillent d’une insulte muette. Vexée, elle se détourne, entre dans sa cabine et fait claquer la porte de métal sur elle.

Haig salue sa sortie d’un air satisfait.

Haig :
Parfait, ma cocotte. Perfecto.

 

EXT Jour, quartier des plaisirs de MALT City

La caméra montre la forêt embrouillée de pilotis qui soutient le bidonville, les pieds noyés dans ce qu’en tout autre endroit du monde on nommerait une décharge publique.

La caméra monte pour découvrir un dédale de passerelles de bois et des ponts de cordes. Plus la haute silhouette de Haig qui s’y engage.

Fond sonore : un mélange de mélodies discos qui se font concurrence, d’une sono au volume à poussé à fond d’une cabane bordel à celle de la baraque voisine.

On longe un nombre invraisemblable de cahutes minuscules à la porte masquée d’un rideau qui se pressent les unes contre les autres. À leur seuil, des paysannes maussades poireautent, déguisées plutôt que vêtues de bustiers moulants et de jupettes sexy, toutes cuisses dehors.

De loin en loin, rompant la monotonie désordonnée des boxons s’élèvent des bars, sortes de préaux recouverts de néons publicitaires multicolores qui flamboient sur le fond de grisaille du jour. À l’intérieur, des tables de formica neuves, des chaises de plastique de couleurs vives, des caisses de bouteilles empilées, des billards « snooker », des machines à sous et des jeux vidéos (rappel : nous sommes en 1992, époque dinausorienne pendant laquelle Pacman et Tetris se disputaient le haut du pavé !).

Derrière les comptoirs rudimentaires officient des serveurs aux gueules de chats sauvages. Entre les tables circulent encore des filles, presque à poils, celles-là.

 

EXT Jour, devant le Rockstar

Haig s’arrête devant un de ces bars, immense, avec une façade de 20 mètres, surmonté d’une grande enseigne lumineuse qui proclame : « Rockstar ».

Haig entre.

 

INT Jour, Rockstar

La longue salle est sombre. Au fond, des jeux vidéos rangés en long clignotent frénétiquement. À une table, un groupe de bûcherons en combinaison de la MALT fait la foire avec trois putains soûles prises de fous rires.

La sono hurle le tube heavy metal de Kiss, I was Made For Loving You.

Haig s’approche du comptoir de bambou derrière lequel se trouve un tout petit homme maigre dans la demi-obscurité d’une lampe braquée vers le bas, sur la caisse et le pognon. Il est entouré de trois gardes, des jeunes types impassibles en treillis noir.

Haig (hurlant par dessus la musique) :
Salut, Santiag.

Santiag (criant de même) :
Hey, mon pote Haig. Parole, je pisse de joie quand je te vois. C’est de l’amour, tu peux me croire !

Haig s’approche et s’accoude au bar, souriant. Son interlocuteur, ayant ordonné d’un geste à un barman de venir les servir, fait le tour du comptoir pour rejoindre Haig, le pas nerveux, et gratifie son hôte d’une claque amicale sur le bras.

Santiag :
Et je m’y connais, mec, continuait-il. Parole, si tu veux parler d’amour, alors assied-toi et parle à Santiag !

Il a un visage osseux à la grande bouche vorace barré de lunettes noires à la Ray Charles et des longs cheveux de musicien de rock. Il porte des jeans serrés et des bottes mexicaines – justifications de son surnom. Un pan de son petit gilet de cuir de western s’écarte sur la crosse du gros colt 45 qu’il porte sous l’aisselle.

Haig (beuglant) :
Comment va le business ?

Santiag :
De la merde, mec. Encore un mois et je me tire de ce trou du cul du monde.

Il claque de la main sur son comptoir et tend l’index sous le nez de Haig, faussement menaçant, montrant des dents comme s’il voulait le bouffer.

Santiag :
Tu comprends ça ? C’est la dernière fois que tu me vois dans ce bol de merde. Je me casse. Je m’envole…

Il écarte ses deux bras maigres, mimant son essor, et rabat les mains sur le comptoir.

Santiag :
Parole, mec. Quand tu es entré, j’étais justement en train de me dire que je n’avais pas besoin de renouveler mon stock.

Haig (souriant) :
Tu m’as déjà fait le coup.

Santiag :
Non, cette fois, c’est vrai…

Alors que le serveur pose devant eux deux boites de bière dans leurs étuis de polystyrène, Santiag fait signe à un de ses anges noirs de baisser le volume de la musique. Gene Simmons continue de brailler, mais en sourdine.

Santiag :
J’en ai ma claque de tous ces cons bourrés et de ces grosses vaches. Tu peux me dire ce qu’un bon mec comme Santiag fait dans cette merde, hein, tu peux me le dire ?

Haig :
De l’argent.

Ils cognent leurs bières l’une contre l’autre.

Santiag :
Arrête, Haig. Du pognon ? À Phnom Penh, je monte un business en moins d’une journée. Quoi, je dis une journée ? Une putain d’heure et je suis le roi. Parole, si tu veux parler de bon business, alors assied-toi et parle avec Santiag.

Il boit à grandes goulées précipitées, fait claquer la boîte sur le comptoir et ordonne d’un geste au serveur d’en rapporter illico deux autres. Haig boit lui aussi la totalité de sa bière, mais en se forçant.

Santiag :
Qu’est-ce que je dis, Phom Penh ? Parole, qu’est-ce que j’en ai à foutre, de Phnom Penh ? C’est à Saïgon que je me casse. Ça, c’est une ville avec du pognon et des mecs qui ont la vraie classe. Parole, j’en peux plus de toute cette boue, mec…

Haig (rigolant) :
Ça fait combien de temps qu’on se connaît ? Six mois ? Ça fait six mois qu’à chacun de mes passages, tu me racontes la même histoire.

Santiag :
Mec…

Haig :
En oubliant toujours de me dire, note bien, pourquoi tu t’es cassé de Phnom Penh il y a un an, assez précipitamment, si j’en crois la rumeur…

Santiag :
Haig, les rumeurs…

Haig :
Et pourquoi tu ne peux pas y retourner.

Santiag dévisage un moment Haig, l’air agressif, puis décide de le prendre à la rigolade et lui octroie une nouvelle claque sur le bras.

Santiag :
Arrête tes conneries, tu veux. Viens, on va causer business…

Il entraîne Haig vers l’arrière de la salle où s’ouvre, entre deux rangées de machines à sous, une porte de contreplaqué.

 

Banc-titre :

Santiag était un Khmer « Leu« , c’est à dire un natif du delta du Mékong, annexé par le Vietnam cinq siècles plus tôt.

Gamin des rues de Saïgon, sa vie de voyou avait commencé avec les soldats américains : revente de drogues, rabattage de filles et autres petits services.

Il n’avait jamais changé de métier.

 

INT Jour, bureau

Un réduit de contreplaqué meublé d’un bureau encombré devant un fauteuil luxueux de directeur dans lequel Santiag fourre sa petite silhouette.

Santiag :
Hey, mon pote, j’ai une hallucination où c’est une foutue bouteille de whisky dans ta poche ?

Haig (s’asseyant) :
Un échantillon. J’ai cinq cents de ses copines dans ma cale.

Santiag :
Je vais me rouler par terre et pleurer de joie. Et des bières ? Tu m’as apporté des bières ? Je veux dire des vraies bières, mec, pas des cannettes d’urine de porc comme la dernière fois, ça rend mes clients nerveux.

Haig :
Des « Tiger » de Singapour. Trois dollars pièce.

Santiag :
Non. Tu as appris à compter sur un altimètre ou quoi ? Je sucerais des bites d’ânes avant de payer ce prix-là…

Haig :
Comme tu veux…

Santiag :
Combien tu en as ?

Haig :
Deux mille.

Santiag :
Quoi ? Seulement deux mille ? C’est un bateau que tu pilotes ou un foutu caddie de supermarché ?…

 

CUT

 

INT jour, bureau de Santiag

Santiag finit de compter une liasse avant de la poser sur d’autres devant Haig. On comprend que les marchandages sont terminés et le deal conclu.

Haig (enfournant les liasses) :
Dis-moi, Santiag, tu as toujours le fusil anglais ? Celui avec la lunette de visée nocturne ?

Santiag le considère un moment, puis ôte ses lunettes noires, dévoilant deux petits yeux fixes et froids de mangouste.

Santiag (mentant) :
Parole, mec, tu tombes mal, je viens juste de le promettre à un mec !

Haig :
Cinq cents dollars. Cash. Tout de suite.

Santiag :
Hey, mec… C’est trop con, l’autre gars m’a promis mille cinq cents.

Haig :
Okay.

Haig sort les billets des liasses. Surpris par cet accord facile, Santiag le scrute un moment. Hausse les épaules. Hoche la tête.

Santiag :
Comme tu veux, mec. C’est ton fric.

 

CUT

 

INT Jour, carré de la Marie-Barjo

Kim est attablé, occupé à des comptes. Haig pose en travers de la table un étui neuf dont il tire la fermeture éclair, dévoilant un gros fusil noir à imposante lunette de visée.

Kim :
Waouf ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

Haig :
Un Artic Warfare, calibre super magnum, dit aussi 338 Lapua Magnum…

Kim :
Hmm, tu te rappelles qu’on a déjà cinq Kalachnikov à bord, plus un shotgun et je ne sais plus combien de pistolets, sans compter les grenades ?

Haig :
Mais surtout : lunette de de visée « Starlight » à amplificateur de lumière.

Kim :
Bien… Et, euh… Combien t’a coûté ce bijou ?

Haig :
Mille cinq cents.

Kim (effaré) :
Tu as besoin d’un fusil à mille cinq cents dollars ?

Haig (souriant) :
Disons que je fais un caprice…

 

(À suivre) 

 

 

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