browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

Bouquin-quizz n°11

Publié par le 10 février 2015

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de… Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

Il eut envie, pour sa propre satisfaction, pour se soulager, de lancer un mot grossier, n’importe lequel, le plus vulgaire qui lui viendrait aux lèvres. Cette fille-là, qui marchait sans déplacer d’air, avec un visage de madone, ne se rendait-elle compte de rien ? Ou alors était-elle bête à un tel point ?
Le mot de l’ouvrier maçon lui revint :
– Un bestiau !
Et une bouffée de haine lui monta à la tête, lui serra la gorge, il s’arracha à son morceau de trottoir, se mit à marcher dans la direction opposée.
Il venait de décider de boire, quoiqu’il puisse arriver ensuite, mais il n’entra pas au Café Riche, trop plein, où se trouvaient trop de connaissances. Il poursuivit sa route jusqu’à la rue Neuve et poussa la porte du premier bar.
Ici aussi, il y avait plus de monde que d’habitude mais la plupart des consommateurs suivaient, sur l’écran de télévision installé entre les deux salles les péripéties d’un combat de boxe.
– Qu’est-ce que ce sera, M. Lambert ?
Le patron le connaissait. Il lui était arrivé souvent de boire jusqu’à la fermeture, et c’était de ce même bar qu’il emmenait parfois une fille. L’Hôtel Moderne, où il avait déclenché le fameux scandale, était à deux pas.
– Un marc !
A cause de l’odeur forte et parce que c’est le plus râpeux des alcools. Il avait envie de quelque-chose de crapuleux, d’une sorte de protestation, de profession de foi. C’est dans des moments comme celui-là qu’il éclatait en regardant les gens autour de lui :
Tas de salauds !
– Ça va, monsieur Lambert ?
– Ça va, Victor.
– Vous avez vu le mouvement que cette histoire apporte en ville ?
– J’ai vu.
– Et ce n’est pas fini, croyez-moi.
Victor regarda l’horloge sur le mur opposé.
– Le train de Paris arrive dans trois quarts d’heure et amène les familles. Il paraît qu’il y a déjà plus de cinq cents curieux à la gare pour les voir arriver.
– Nom de Dieu !
– Hein ?
Il avait juré entre ses dents, pris de colère, et il se jeta le marc au fond de la gorge d’un geste furieux.
– Rien. Remets ça !
– Je ne voudrais pas être dans les culottes du type à la traction-avant. Je parie que si on le jetait à la foule, au milieu de la place, il n’en resterait pas un morceau après dix minutes.
Victor, qui en avait vu de toutes les couleurs à la guerre, était peut-être capable de comprendre ?
– Faut se mettre à la place des parents, poursuivait-il à mi-voix. Moi, je me mets aussi à la place de ce type-là, parce que j’ai assisté à un certain nombre d’accidents dans ma vie. Qu’est-ce qui nous prouve que…
– Ta gueule, Victor !
Quelqu’un s’était retourné vers le patron, l’air dur, la voix catégorique.
– Je fais seulement remarquer que certaines gens…
– J’ai dit : ta gueule ! Tu m’as entendu ?
Et Victor se tut, avec, vers Lambert, un regard qui signifiait :
– A quoi bon ?
Celui qui lui avait fermé la bouche était un des individus les moins recommandables de la ville, un ancien boxeur qui faisait les foires de la région et avait de fréquents ennuis avec la police. L’instant d’avant, il suivait le combat de boxe à la télévision ; il avait suffi d’une allusion au conducteur de la traction-avant pour le pousser hors de ses gonds.
Deux filles, à un guéridon, près de la porte, regardaient vaguement devant elles et Lambert les connaissait de vue, elles devaient, de leur côté, savoir qui il était. L’une d’elles, qui avait une dent en or, lui sourit quand leurs regards se croisèrent.
Il fut tenté. Non qu’il eut envie d’elle, mais toujours, comme pour le marc, par protestation. Pourquoi, au point où il en était, ne pas faire quelque chose de bien ignoble ? « Ils » pourraient s’acharner contre lui et son frère Marcel serait content, Angèle et ses pareilles auraient de bonnes raisons de le mépriser.
Il imaginait les journaux du lendemain imprimant :
« La police a fouillé la ville toute la nuit à la recherche de Joseph Lambert, l’auteur de la catastrophe du Château-Roisin, et est parvenue enfin à l’arrêter dans une chambre d’hôtel où il était couché avec une fille publique de bas étage… »
N’est-ce pas dans ces endroits-là qu’on met la main sur la plupart des criminels ? Il n’y avait jamais pensé, mais il commençait à comprendre pourquoi.
La femme à la dent en or, qui avait peut-être surpris son hésitation, ouvrait son sac et se poudrait sans le quitter des yeux.
– Un autre, Victor, commanda-t-il.
Elle demanda, de sa place, en minaudant :
– Moi aussi ?
Il haussa les épaules. Qu’elle boive tout ce qu’elle voudrait, elle et son amie, et toutes celles qui défilaient sur la place comme à la foire !
– Je dois ? questionnait Victor.
– Pourquoi pas ?
Sa femme était chez Jeanne avec ses autres sœurs, toutes les filles Fabre sous le regard ému de ce brave imbécile de Nazereau. Et toutes étaient émues, parbleu ! Et les bonnes âmes de la ville s’en donnaient à cœur joie de pleurer. On se précipitait à la gare pour assister au défilé des parents des petites victimes…
– Ça ne va pas ?
C’était la seconde fois qu’on lui posait la question et, de la part d’un homme comme Victor, c’était dangereux, car il était autrement subtil que Lescure.
– Je suis comme tout le monde, quoi ! lança-t-il.
– Barbouillé, hein ?
Après un silence, Victor questionna :
– Vous êtes allé voir ?
– Non.
– Il y en a qui y sont allés. Après, quand tout le monde s’y est mis, on a dû installer des barrages. Ceux qui ont vu en sont revenus malades.
– Un autre, grogna-t-il.
Victor hésita. Cela lui était arrivé de conseiller amicalement à Lambert de s’arrêter. Pourquoi ne le fit-il pas cette fois-ci ?
– Vous n’allez pas… questionna-t-il sans finir sa phrase autrement que par un regard aux deux filles.
– Bien sûr que non.
– Cela vaut mieux. Entre nous, je ne suis pas sûr qu’elles soient saines.
Il faillit lui répliquer :
– Ce ne serait pas si bête d’attraper la vérole !
Il ne le fit pas, paya tout de suite, sentant que cela allait se gâter, qu’il fallait qu’il rentre chez lui au plus vite.
Dans la rue, il se répétait à mi-voix :
– Il faut que je rentre chez moi. Il faut que je rentre…
Il en avait marre de tout, de sa femme, de son frère Marcel, des filles aux dents en or et des joueurs de bridge, de la ville, des journalistes et des photographes, marre de la radio, des curieux qui se promènent avec un air innocent, des femmes qui pleurent et des Victor qui distribuent des conseils. Il en avait marre de lui-même, marre d’être un homme.

12 Responses to Bouquin-quizz n°11

Laisser un commentaire