Bonjour à tous.
Aujourd’hui, non une mais deux énigmes proposées par Herry, deux extraits arrachés à deux bouquins on en peut plus différents…
Un prix spécial sera accordé à celui qui nous donnera le nom de l’auteur du deuxième extrait…
Premier extrait :
L’agrément dans ces lents voyages en pleine terre c’est _ l’exotisme une fois dissipé _ qu’on devient sensible aux détails, et par les détails, aux provinces. Six mois d’hivernage ont fait de nous des Tabrizi qu’un rien suffit à étonner.
A chaque étape, on relève de ces menus changements qui changent tout _ qualité des regards, forme des nuages, inclinaison des casquettes _ et, comme un Auvergnat montant sur Paris, on atteint la capitale en provincial émerveillé, avec en poche, de ces recommandations griffonnées sur des coins de table par des pochards obligeants, et dont il ne faut attendre que quiproquos et temps perdu.
Cette fois nous n’en avons qu’une; un mot pour un Juif azeri que nous allons trouver tout de suite: une tête à vendre sa mère, mais c’est un excellent homme tout plein d’un désir brouillon de débrouiller nos affaires. Non, il ne pense pas que des étrangers comme nous puissent loger dans une auberge du bazar… non, il ne connait personne du coté des journaux, mais voulons-nous déjeuner avec un chef de la police dont il promet merveille? Nous voulons bien.
Et l’on va au diable, sous un soleil de plomb, manger une tête de mouton au yaourt chez un vieillard qui nous reçoit en pyjama. La conversation languit. Il y a longtemps que le vieux a pris sa retraite. C’est dans une petite ville du sud qu’il était chef, autrefois, il ne connait plus personne à la préfecture… d’ailleurs il a tout oublié.
Par contre, une ou deux parties d’échecs lui feraient bien plaisir. Il joue lentement, il s’endort; ça nous a pris la journée.
Second extrait :
L’homme n’avait même pas relevé la tête. Il avait passé sa commande sans regarder Sanchez, et, comme il avait gardé sa capuche, il était impossible de savoir si son visage était aussi terrifiant que sa voix, tellement rocailleuse qu’elle aurait pu remplir une pleine pinte de cailloux. (Dans les environs, on considérait que plus un inconnu avait la voix rocailleuse, moins il était recommandable.)
En conséquence, Sanchez saisit un verre à whisky d’une propreté relative et se dirigea vers le bout du comptoir où était accoudé l’homme. Il déposa le verre sur le bois collant du comptoir, juste en face de l’inconnu, et jeta un bref coup d’œil au visage dissimulé sous la capuche. Les ténèbres qui y régnaient étaient bien trop épaisses pour qu’il distingue des traits précis, et il n’avait aucune envie de se faire surprendre en train d’épier.
« On the rocks », rumina l’homme, dans une espèce de murmure. Une sorte de chuchotement rocailleux, en vérité.
Sanchez glissa une main sous le bar et en retira une bouteille de verre marron à moitié pleine, estampillée « Bourbon », et, de l’autre main, attrapa deux glaçons qu’il jeta dans le verre, puis se mit à verser le liquide.
Il remplit le verre à moitié et rangea la bouteille sous le comptoir.
« Ça fait 3 dollars.
— 3 dollars ?
— Ouaip.
— Remplissez le verre. »
Depuis l’entrée de l’inconnu les discussions avaient cessé. Il régnait à présent un véritable silence de tombe à l’exception du bruit du ventilateur, qui semblait gagner en intensité. Sanchez, qui évitait de croiser le moindre regard, reprit la bouteille et remplit le verre à
ras bord. L’inconnu lui tendit un billet de 5 dollars.
« Gardez la monnaie. »
Le barman tourna le dos et rangea le billet dans un tintement de caisse enregistreuse. C’est alors que les paroles échangées furent couvertes par des mots. Derrière lui, Sanchez entendit la voix de Ringo, l’un de ses plus désagréables clients. Il s’agissait là encore d’une voix particulièrement rocailleuse :
« Qu’est-ce que tu viens faire dans notre bar, l’étranger ? Qu’est-ce qui
t’amène ici ? »
Ringo était assis, en compagnie de deux autres hommes, à une table située à moins de deux mètres derrière l’inconnu. C’était une raclure corpulente, huileuse et mal rasée, comme à peu près tous les autres déchets qui fréquentaient le bar. Et, tout comme eux, il
portait dans l’étui accroché à sa ceinture un pistolet qu’il était prêt à brandir au moindre prétexte. Toujours tourné vers la caisse enregistreuse, Sanchez inspira profondément et se prépara mentalement au foutoir qui allait immanquablement s’ensuivre.
Ringo était un hors-la-loi renommé, coupable d’à peu près tous les crimes imaginables : viol, homicide volontaire, incendie criminel, vol, meurtre de policier, au choix… Ringo les avait tous commis. Il ne se passait pas un jour sans qu’il fasse quelque chose d’illégal,
susceptible de l’envoyer en prison. Et ce jour-là ne faisait pas exception. Il avait déjà dépouillé trois hommes en les menaçant de son arme et, à présent, après avoir dépensé la majeure partie de son pactole bien mal acquis, il se sentait d’humeur bastonneuse.
En se retournant pour faire face à la salle du bar, Sanchez remarqua que l’inconnu n’avait pas bougé d’un millimètre, pas plus qu’il n’avait touché à son verre. Et cela faisait déjà plusieurs secondes, horriblement longues, qu’il n’avait pas répondu aux questions
de Ringo. Un jour, Sanchez avait vu Ringo tirer une balle dans le genou d’un homme, uniquement parce que celui-ci ne lui avait pas répondu assez vite. Il poussa un soupir de soulagement lorsque enfin, juste avant que Ringo ne répète ses questions, l’homme se
décida à répondre.
« Je ne cherche de problèmes à personne. »
Ringo afficha un rictus menaçant et grogna : « Eh bien, tu vois, je suis un problème ambulant, et on dirait bien que tu m’as trouvé. »
11 Responses to Bouquin-quizz n°26 bis