Adapté du roman Zykë L’Aventure, Thierry Poncet, éditions Taurnada, en librairie ou ici :
https://www.babelio.com/livres/Poncet-Zyk-laventure/962158
https://livre.fnac.com/a10793510/Thierry-Poncet-Zyke-l-aventure
https://www.amazon.fr/Zyk%C3%AB-Laventure-Thierry-Poncet/dp/2372580345
EXT Jour, côte
La mer du Nord houleuse et grise sous la pluie. La plage déserte. Des mouettes qui gueulent. Des maisons bourgeoises alignées dos aux dunes, la plupart volets clos.
La Rolls glisse le long des façades et se range devant l’une d’elles. Sam en descend, qui sort du coffre en sifflotant des sacs à provisions et le carton d’une machine à écrire neuve.
INT Jour, maison
Zykë et Msieu Poncet dans leur pièce de travail, une grande salle au décor de marine. Zykë arpente, Msieu Poncet se tient devant des grandes feuilles de kraft scotchées aux murs, sur lesquelles on peut lire :
– Elias : colosse tranquille taciturne moustaches
– Paulo : vieux ruse malice tricherie jambes arquées petit chapeau
– Montaigne : jeune idéaliste citations poésies lunettes de travers
Sam entre. Il donne le carton de la machine à écrire à Msieu Poncet qui s’empresse de la déballer et de l’installer. Il donne à Zykë un sac à dos empli de drogues : des plaques de shite, un flacon de coke et des plaquettes de speed. Zykë renifle le shit, ravi.
Zykë :
Bravo, hermano, beau boulot !
Il avale illico trois gélules, décroche du mur une grosse boussole de marine et prépare des lignes sur le cadran.
Zykë (à Msieu Poncet) :
T’es prêt à battre des records ?
Msieu Poncet :
Tu m’étonnes !
INT Jour / Nuit, salle de marine
Changement de rythme. Musique très speed. Suite de plans courts. Montage haché. À l’extérieur, une tempête règne en permanence. On a l’impression d’être à bord d’un bateau qui lutte contre le gros temps.
Msieu Poncet à la machine.
Zykë arpente la pièce en fumant un cône.
Msieu Poncet écrit sur les feuilles scotchées aux murs.
Zykë arpente, s’arrête pour sniffer une ligne, repart.
Zykë :
La scène des crocodiles. Elle est primordiale. Je veux que les gens se chient dessus, tu m’as compris ?
Msieu Poncet :
Compris.
Msieu Poncet, de plus en plus épuisé et mal rasé, dégage une feuille du rouleau de la machine. Zykë entre, pas mieux rasé, porteur d’un thermos et d’une assiette de sandwiches.
Zykë :
Combien ?
Msieu Poncet :
27 pages.
Zykë :
C’est pas assez !
Il se met à lire.
Plan sur la feuille en train d’être écrite. Les mots se truffent de fautes de frappe. Msieu Poncet jure, se lève, gagne la salle d’eau, s’asperge le visage. Il revient à son bureau, mâchoires crispées, grinçant des dents. Il revient en arrière sur son texte, attrape une plaquette de gélules, s’en envoie deux, se remet au travail.
Msieu Poncet écroulé sur le sol, regard perdu sur le nuage de fumée qui flotte au plafond. Il ferme les yeux. Son souffle s’apaise. Zykë fait irruption. La porte claque contre le chambranle.
Zykë :
Combien ?
Msieu Poncet (sursautant) :
33.
Zykë :
pas mal. On continue. T’es pas fatigué ?
Msieu Poncet (se relevant) :
Tu rigoles…
Msieu Poncet tape, presque couché sur la machine. Il a les yeux exorbités. Une grimace de souffrance déforme son visage. Un filet de sang coule d’une de ses narines.
Plan sur la feuille : F I N.
Msieu Poncet se lève, fait quelques pas titubants et s’écroule.
Noir.
Int Jour, salle de marine
Noir.
Zykë (voix off) :
Msieu Poncet. Eh ! Oh ! Debout !…
Msieu Poncet ouvre les yeux. Zykë, penché sur le lui, le secoue. Il lui tend une bouteille de scotch.
Zykë :
Remue-toi, on se casse.
Msieu Poncet avale une grande rasade et acquiesce.
EXT Jour, route
La Rolls dépasse à fond les ballons en klaxonnant une file de camions sur l’autoroute.
EXT Jour, Paris
La Rolls s’arrête au carrefour St-Germain / St Michel. Zykë et Msieu Poncet en descendent et s’engouffrent sous le porche d’entrée des éditions Hachette.
INT Jour, antichambre
Une très soignée volaille aux yeux vides fait office de secrétaire. Devant elle, Zykë et Msieu Poncet sont crados, barbus, visiblement encore sous speeds, tendus et agressifs.
La secrétaire :
Oui mais c’est parce que Jean-Paul Lergumen n’est pas disponible…
Zykë :
Il a intérêt à l’être parce que nous, on part pour la Patagonie et il n’est pas prêt de nous revoir.
La secrétaire (après un temps de réflexion immobile) :
La Patagonie ?
Zykë :
La Patagonie, ma belle.
La secrétaire (après un temps de réflexion immobile) :
C’est drôlement bien, la Patagonie. C’est à la mode en ce moment. Ouh là là ça fait bien rêver ! Vous partez quand ?
Zykë :
Tout à l’heure. (À Msieu Poncet) : c’est quand, l’avion, déjà ?
Msieu Poncet :
14 H 43.
Zykë :
C’est ça. Et il va être très mécontent quand il apprendra que je suis venu le voir et qu’il m’a raté. Ça risque de chauffer pour tes jolies fesses soyeuses, ma chérie.
La secrétaire glousse à l’évocation de son postérieur, puis laisse passer un temps de réflexion immobile.
La secrétaire :
Bon et ben dans ce cas de force majeure je vais voir…
INT Jour, bureau Lergumen
Lergumen recoiffe sa romantique mèche en jurant.
Lergumen :
Merde… Et merde… Merde…
Au moment où la porte s’ouvre, son visage s’illumine d’un sourire de ravissement. Zykë entre, suivi de Msieu Poncet, porteur du manuscrit.
Lergumen :
Ah, Cizia ! Quel plaisir ! Le bon vent de l’aventure vous ramène parmi nous !
Zykë :
Salut, Tiroir-caisse.
Msieu Poncet éclate de rire. Le sourire de l’éditeur fléchit. Il toise Msieu Poncet avec mépris. Zykë se laisse tomber lourdement sur l’un des sièges visiteurs et désigne l’autre à Msieu Poncet, qui l’imite. Décontenancé, l’éditeur se rassoit à son tour.
Lergumen :
Hum… Bien… Brrrouou… Voyons… Vous prenez quelque chose ? Un café ? Un alcool, peut-être ?
Zykë (sans appel) :
Non.
Il tend la main vers Msieu Poncet qui lui remet le manuscrit, jette celui-ci sur le bureau.
Zykë :
Tiens, éditeur, voilà mon dernier : Fièvres. Un roman d’Afrique. Il est excellent. Un vrai classique d’aventure.
Lergumen :
C’est un roman ?
Zykë :
C’est pas un disque !
Lergumen :
Non, je veux dire : c’est une fiction.
Zykë :
Non. C’est une excellente fiction.
Lergumen :
C’est que, Cizia… vous avez l’image d’un auteur de récits vécus…
Zykë tape brutalement du poing sur la table. Lergumen sursaute, apeuré.
Zykë (très calme) :
Je ne suis pas une image ! Je suis un ÉCRIVAIN. Ça veut dire que je suis LIBRE. Un écrivain, c’est LIBRE. Ça veut dire que j’écris CE QUE JE VEUX !
Lergumen :
Bien sûr… Bien sûr… « Fièvres », c’est un bon titre… très bon… Peut-être que pour l’année prochaine…
Zykë :
Quoi, l’année prochaine ? Tu ne crois pas que je vais poireauter un an pendant que vous vous tournez les pouces !
Lergumen :
Cizia… Oro est encore en vente en poche. On va sortir les traductions en anglais, allemand et espagnol. Commercialement, ce serait une erreur de sortit un nouveau titre tout de suite. C’est se faire concurrence à soi-même…
Zykë :
C’est toi le commerçant. C’est ton problème. Moi je suis l’écrivain. L’É-CRI-VAIN.
Msieu Poncet (un insupportable sourire niais aux lèvres) :
L’é-cri-vain !
Lergumen (après une regard excédé à Msieu Poncet) :
Que vous le vouliez ou non, les livres, c’est un marché. Le marché à ses lois…
Zykë bondit, plante ses deux poings sur le bureau et se penche sur Lergumen qui se sent soudain petit, petit, petit.
Zykë :
Ne me prends pas pour un imbécile. Ne fais pas cette erreur. Dans ma vie, j’ai monté plus de commerces lucratifs que tu n’as publié de bons livres. Je connais les lois du marché. Seulement, un écrivain qui se respecte, il n’a que foutre des lois du marché. Il se torche avec les lois du marché. Le marché, il l’emmerde et il écrit ce qu’il veut quand il veut.
Il se rassoit. Lergumen ne peut retenir un soupir de soulagement.
Zykë :
Je te le vends un million.
Lergumen :
Un million !?
Zykë :
J’ai bien étudié mon affaire. C’est exactement le maximum que tu peux mettre pour un Zykë, tout en conservant une bonne marge. Alors c’est ça où je vais voir, euh… (il se tourne vers Msieu Poncet)… qui ça, déjà ?
Msieu Poncet :
Claude Durand, chez Fayard. Manuel Bourgois, aux Presse. Françoise Verny…
Lergumen lève une main en signe de reddition.
Lergumen :
Vous ne devriez pas traiter les gens comme ça, Cizia, je ne suis pas votre ennemi.
Zykë :
Donne l’artiche.
Lergumen :
L’édition est un petit monde. Vous ne gagnerez pas. Il y a des règles et ce ne sont pas les auteurs qui vont les changer. Vous voulez qu’on se fasse la guerre. Parfait. Je vous préviens amicalement : les auteurs ne gagnent jamais.
Msieu Poncet ricane.
Zykë :
C’est bien ce qu’on vous reproche. Tu payes, oui ou merde ?
Lergumen soupire, tire un chéquier d’un tiroir, dévisse le capuchon d’un beau stylo, commence à rédiger un chèque.
Zykë :
Pas de chèque. Je veux du cash.
Lergumen :
Du cash ? Vous plaisantez, on ne fait jamais ça.
Zykë :
Les chèques, j’ai pas confiance.
Lergumen (exaspéré) :
Mais je ne peux pas réunir un million en liquide comme ça, sur un claquement de doigts.
Zykë :
Du cash. Tout de suite. Ou bien tu ne me revois jamais plus.
Après un silence désolé, Lergumen décroche son téléphone.
INT Jour, couloirs Hachette
Zykë et Msieu Poncet dévalent un escalier, hilares. Zykë porte un sac poubelle plein.
EXT Jour, boulevard
Zykë et Msieu Poncet retrouvent la Rolls garée sur un couloir de taxi. Un chauffeur de taxi furieux insulte Sam qui rigole avec une totale insouciance.
Le chauffeur :
Passe que t’es riche tu crois qu’tu peux emmerder le monde ?
Sam :
J’en ai pour deux minutes. Tranquille, quoi…
Le chauffeur :
Avec ta saloperie de Rolls de merde !
Sam (rigolard) :
Cool, mec. Reste cool…
Zykë et Msieu Poncet grimpent à bord.
La Rolls démarre. Le chauffeur lui montre le poing.
INT Jour, Rolls
Zykë ouvre le sac poubelle qui se révèle empli de liasses de billets de 500 francs. Il en sort cinq liasses et les tend à Msieu Poncet, assis à l’avant.
Zykë :
Voilà ton salaire, plus une petite prime.
Msieu Poncet (ravi) :
Merci boss !
Zykë :
Un plaisir.
(À suivre)
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