Adapté du roman Zykë L’Aventure, Thierry Poncet, éditions Taurnada.
INT Jour, flashes
Lergumen pousse en soupirant des liasses de billets devant Zykë qui les fourre dans un sac poubelle.
Une machine d’imprimerie crache des couvertures de Paranoïa (1ère édition grand format)
Une pile de Paranoïa dans une grande surface culturelle.
EXT Jour, Ciutadella
Plans courts. Les fêtes annuelles de la Saint-Jean à Ciutadella.
Musique de fanfare. Il y a du monde dans les rues, locaux et touristes. L’ambiance est joyeuse. Des stands offrent des saladiers pleins de « pommada », mélange de gin et de citron. La plupart des gens ont un grand gobelet à la main. On s’envoie des coquilles de noisettes à la gueule en guise de confettis. Des riches menorquis en habit traditionnel, montés sur des chevaux, leur font faire des ruades au milieu de la foule. Mélange de trouille et de rires.
Plan sur le balcon du palais de doña Mercedes, la proprio, où observent de haut les festivités celle-ci, son neveu Carlos, d’autres membres de la famille en habits de cérémonie… et Zykë et Msieu Poncet.
EXT Nuit, Ciutadella
Zykë et Msieu Poncet déambulent dans les rues en fête. Zykë est en compagnie d’une belle blonde, Msieu Poncet avec une petite brune. On remarque beaucoup de gens ivres, dont des vieilles dames et de très jeunes enfants.
EXT Jour, Bini Pati Nou
Petit matin, soleil éclatant. Zykë et Msieu Poncet, visiblement gueuledeboisés, marchent sur un chemin proche de la maison. Ils passent devant un enclos de pierres empli d’énormes porcs. L’un de ceux-ci se précipite vers eux, grimpe à demi sur le muret et leur gueule dessus. Zykë lui assène d’un geste réflexe, presque machinal, un mahousse coup de poing sur la tête. Le cochon à moitié assommé abandonne toute agressivité.
Les deux hommes se marrent. Puis Zykë cesse de rire et examine un instant l’enclos, l’air pensif.
Zykë :
Amène-toi, Msieu Poncet, j’ai une idée.
Msieu Poncet a une grimace migraineuse, un geste d’impuissance, puis lui emboîte le pas en soupirant.
INT Jour, bureau
Zykë et Msieu Poncet devant le tableau vierge. Zykë souffle la fumée d’un joint.
Zykë indique à Msieu Poncet des mots à inscrire sur le tableau.
Zykë :
Là, tu mets « cochons », en gros, s’il te plaît… Parfait… Là, « représentants » et entre parenthèses « escrocs »… Ici : « Faux paysans », entre parenthèses « cannibales »… Ah, et puis ajoute « plus méchants que les méchants »… Voilà… Enfin, là, tu mets « pris au piège »… Okay !
Zykë s’éloigne d’un pas pour avoir une vision d’ensemble et observe son tableau en hochant la tête.
Zykë :
Parfait… Voilà… C’est ça… Parfait… (à Msieu Poncet) : on est quel jour ?
Msieu Poncet :
Le 1er juillet.
Zykë (pensif) :
Parfait… Parfait…
EXT Jour, parc
Plan sur le mur de Miguel, maintenant d’une longueur surréaliste, progressant vers rien.
Miguel au travail, à califourchon sur son mur, secouant la tête avec fatalisme.
Miguel :
C’est pas possible… Non mais… C’est pas possible…
EXT / INT Jour-Nuit, plans courts
Plans désormais habituels du travail en cours : Msieu Poncet au clavier ; Zykë arpente ; Zykë lit des feuillets ; Miguel ting-tingue.
Au tableau, on peut lire « Titre : Buffet Campagnard » et, entre parenthèses « Conte cruel ».
Zykë arrose les fleurs au moyen d’un simple tuyau au jet faible. On comprend que cet arrosage prend des heures.
INT Nuit, bureau
Désordre du travail en cours. Msieu Poncet est assis. Zykë arpente, en pleine réflexion.
Zykë :
Qu’est-ce que c’est, Zykë, dans la tête des gens ? C’est le salopard, le mauvais, le méchant. Ça me plaît, ça… Ils se gourent, mais ça me plaît… Dans Buffet Campagnard, il faut rassembler tous les défauts des bipèdes… Pas un seul point positif… Tout est mauvais… La convoitise, l’avarice, le mensonge, le vol, les envies de cul sordides, l’hypocrisie… Et au-dessus de tout ça, au-dessus de la boue, la cruauté… La cruauté, tu comprends ?
Msieu Poncet :
Je comprends.
EXT / INT Jour-Nuit, plans courts
Succession de plans de travail avec, en ponctuation, les pages qui s’accumulent rapidement sur la pile du manuscrit. Également des plans sur le tableau, où on peut lire « Doña Mercedes », « Carnelle » et « Attila ».
INT jour, bureau
Plan sur le dernier feuillet de Buffet Campagnard dans les mains de Zykë.
Ses yeux, d’abord aveuglés par la lumière blanche, découvrirent les carreaux de faïence qui recouvraient les murs, le crochet d’inox suspendu à sa potence.
Carnelle l’embrassa sur le front. Doña Mercedes lui pressait la main :
– Vous allez voir, c’est un peu violent mais très rapide. Attila opère depuis l’âge de treize ans.
Attila s’approcha de lui, un sourire aux lèvres et un couteau à la main.
FIN
Zykë repose le feuillet sur la pile.
Zykë :
Parfait… On est quel jour ?
Msieu Poncet :
Le 31 juillet.
Zykë :
Parfait… On va se relaxer ce soir et demain matin on reprend. C’est ton tour.
Msieu Poncet :
Mon tour ?
Zykë :
On va écrire un roman signé de ton nom Ça fait des années que tu me sers avec fidélité. Il est temps que tu aies ton bouquin à toi. Comme ça, il n’y aura plus un patron et un secrétaire, mais deux écrivains à part entière qui bossent ensemble. Qu’est-ce que tu en penses ?
Champ / contrechamp silencieux : Msieu Poncet estomaqué et Zykë arborant un léger sourire, conscient de la valeur de son cadeau.
INT Jour, rêves
Dans le salon d’un restaurant bourgeois, Msieu Poncet, en veste de costard, cravate et jeans troués, se tient à côté d’un vieux birbe voûté qui prononce un discours d’une voix épouvantablement chevrotante.
Le birbe :
Le prix Goncourt de cette année a été attribué à l’unanimité à monsieur Thierry Poncet pour son roman…
Fondu.
Sur un écran de télévision, Msieu Poncet, décontracté, chemise blanche largement ouverte, jeans troués, fait face à un sosie de Pierre Dumayet fumeur de pipe.
Le Dumayet :
Ce mélange de poésie et de gouaille, cette beauté qu’on déniche dans les pires laideurs, cette langue argotique entrecoupée de passages du plus grand classicisme qui soit, on peut dire qu’il y a vraiment une écriture Poncet !
Msieu Poncet (pédant) :
Vous savez, l’écriture ne souffre que la sincérité. La sincérité avec les lecteurs, mais aussi et surtout la sincérité avec soi-même…
Fondu
Msieu Poncet, jeans descendu sur les cuisses, reçoit une fellation de la part d’une intellectuelle à lunettes très enthousiaste.
Fondu
Msieu Poncet en habit vert d’académicien, bicorne sur la tête et jeans troués, prononce son discours d’admission.
Msieu Poncet (se la pétant pas possible) :
Car en m’accueillant ici, mesdames et messieurs mes désormais pairs, c’est à la littérature populaire, c’est-à-dire la VRAIE littérature que vous ouvrez la porte…
Fondu.
Retour au bureau.
Zykë (voix off) :
Alors, qu’est-ce que tu en penses ?
Msieu Poncet :
Euh… On part quand ?
INT Jour, bureau
La cafetière crachote. Zykë et Msieu Poncet sont rutilants, lavés, rasés de frais. Le tableau est recouvert de feuillets vierges. Zykë finit de rouler un joint.
Zykë :
Alors, qu’est-ce que tu veux faire ?
Msieu Poncet :
Un chef-d’œuvre !
Zykë :
Ça va sans dire… mais quel genre ? (il lève la main) Attention, on ne peut pas se faire concurrence, ce serait con. Il faut que ce soit autre chose que du Zykë.
Msieu Poncet :
Okay. De l’amour. Un grand roman d’amour.
Zykë (chantant faux) :
La la la, amour, toujours l’amour, la la la l’amour toujours… « un grand roman d’amour », c’est parti !
Il allume le joint.
INT / EXT Jour – nuit, rêves
Dans le bureau, plan sur le tableau couvert de notes. En haut, en gros, on peut lire : « Pigalle Blues ». Plan sur Msieu Poncet entrain de taper. Plan sur ses yeux.
Rêve : on voit défiler des extraits de l’histoire de Pigalle Blues, comme la bande-annonce d’un film, entrecoupée des habituels plans de travail en cours.
Cabaret de nuit bondé de gros touristes. Sur la petite scène, un jeune homme au piano chante La Bohème d’Aznavour. Plan sur le visage d’une jeune fille dans le public. Plan sur ses yeux.
Le jeune homme et la jeune femme au bar du cabaret, servis par un barman à la gueule de boxeur (Mickey). Ils échangent leurs noms. « Lucas ». « Moi, c’est Fred ».
Réalité : Zykë médite au jardin. Miguel s’épuise à son mur. Msieu Poncet tape de nuit. Plan sur ses yeux.
Rêve : un gros et vieux travesti (Gaby) crie : « De la joie, crotte de bique, de la joie ! Ma parole, c’est un balai dans le cul, qu’elle a ; celle-là ! ». Un vieux ventriloque et sa marionnette dans le cercle de lumière d’un poursuite. Lucas et Fred font l’amour.
Réalité : Zykë et Msieu Poncet au travail devant le tableau sur lequel on peut lire les prénoms : « Lucas », « Fred », « Gaby travesti », « Max ventriloque ». Msieu Poncet à la fenêtre regarde le jour se lever, se frotte le visage, s’étire et retourne à la machine. Plan sur ses yeux.
Rêve : Lucas marche dans la rue grise, la mine sombre. Voix off : « Les rideaux de fer étaient baissés. Les fenêtres des appartements étaient éclairées de jaune, avec ça et là des lueurs dansantes de télés. Le vent courait le long de la rue Lepic, méchant, coupant comme une lame de rasoir rouillée. Fallait bien vivre… ». À la réception d’un hôtel borgne, la vieille tenancière (Fernande) crie : « C’est Max. Ce con là y s’est tué ! ».
Réalité : Le soleil d’été cogne. Zykë arrose les massifs de fleurs avec son petit tuyau. Miguel a installé un parasol publicitaire sur son chantier, mais il a le geste ralenti et doit s’essuyer sans cesse le visage dégoulinant de sueur. Msieu Poncet se renverse une bouteille d’eau sur la tête et, les cheveux ruisselants, se remet à taper. Plan sur ses yeux.
Rêve : Mickey, le barman boxeur, dit à Fred : « Je sais où qu’elle est, ta mousmé. Elle est pas loin, à Montmartre ». Lucas frappe à une porte, Fred ouvre. Dans un atelier d’artiste plein de tableaux, Lucas pose tandis que Fred le peint. Fred est en train de sniffer une ligne d’héroïne, Lucas entre, Fred se couvre le visage, honteuse d’être surprise.
Réalité : Le tableau sur lequel on peut lire : « héroïne », « malade », « peinture ». Les feuillets dansent légèrement, soufflés par une brise. Le plan s’élargit sur le bureau toutes fenêtres ouvertes. Zykë et Msieu Poncet sont au tableau, tous deux en calbard, torses nus. Msieu Poncet a l’air épuisé.
Zykë (compatissant) :
T’es fatigué.
Msieu Poncet (obstiné) :
Non.
Msieu Poncet assis à sa machine, tirant sur un gros joint. Il se remet à taper. Plan sur ses yeux.
Rêve : Fred tend son bras garrotté à Lucas qui y plante l’aiguille dans un coin de peau encore libre entre les hématomes. Il dit : « Tu es belle, je suis content de t’aimer ». « Vite, chéri… ». « Je suis heureux que tu sois ma femme, je suis fier d’être ton mari ». « Vite ! ». Lucas pompe un peu de sang et appuie sur le piston. Une exposition de tableau où des gens mondains félicitent Fred, maigre et prête de défaillir. Lucas au seuil d’une chambre obscure qui appelle : « Fred ? ». Lucas, un sac à la main, qui contemple la façade du cabaret puis s’éloigne. Lucas embrasse Fernande la vieille tenancière. Quand il lui tourne le dos, Fernande s’écrie : « Tu reviendras, hein, tu reviendras ? »
Réalité : Zykë lit un feuillet. Plan sur le feuillet. On peut lire :
J’ai encore tes yeux dans les miens, Fred. J’ai ton souffle. Ton parfum. Ta voix. La douceur de ta peau. Je les porte encore en moi, tu sais.
FIN
Zykë pose le feuillet sur la pile du manuscrit.
Zykë :
Parfait. On est quel jour ?
Msieu Poncet (baillant) :
Hmmm… le 31 août, je crois.
Zykë :
Parfait !
(À suivre)
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