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Sur les traces de Cizia Zykë

Publié par le 2 octobre 2021

 

La pluie de septembre bruissait sur la rivière et battait les carreaux comme une mousson quand apparut sur ma boîte mail le nom de David.
Je le croyais mort, celui-là. Ou bien en taule dans un bas-fond du monde, deux hypothèses plausibles, connaissant l’oiseau.
David aime le voyage, l’aventure, les serpents et les femmes, pas toujours dans cet ordre, ça dépend des jours.
Il m’écrivait du Costa Rica et plus précisément de la péninsule d’Osa, là où Zykë mena naguère l’aventure internationalement connue sous le nom de « Oro ».
En retour, je lui demandai s’il m’autorisait à publier ses notes de voyage au profit de mes potesses et poteaux du blog.
« Bien sûr ! » fut l’immédiate réponse.
Donc :

Thierry,
Comment ne pas penser à toi, amigo ? Je t’embrasse du Costa Rica. Je suis à Osa. Eh oui, je suis allé voir directement sur place. Mais je ne me suis pas arrêté en ville, je suis dans la jungle du Corcovado.
Je pense fort à toi et j’espère que tu vas bien.
Au plaisir de te revoir,
David.

CARNET DE ROUTE.

Samedi 11 septembre. Péninsule d’Osa. Costa Rica.

Sortis du Panama, Mel et moi on a sauté dans le premier bus qui nous a déposés de nuit à Golfito.
On y trouve un hôtel où la charmante hôtesse nous accueille à bras ouverts. Ici, on peut boire une Imperial et manger une bonne assiette de riz au poulet, et même les filles sont au rendez-vous.
La musique et la lumière bleue de la terrasse me rappellent les bars à putes de Bangkok, mais en moins prétentieux. La prostitution est légale au Costa Rica. Mais Golfito est une ville de pêcheurs et les bars à filles dont elle regorge sont destinés à des marins édentés. Ce qui est sûr, c’est que même après dix jours de désert, il est plus honorable de se taper une chèvre que les deux baleines échouées au comptoir.
En même temps, dans un pays où 14,8 % de la population souffre de diabète, le tour de taille de ces demoiselles est peu surprenant.

Le lendemain matin, nous cherchons un bateau pour traverser le golfe de Ruta. C’est la maquerelle qui nous donne les heures de départ. Pour six dollars nous embarquons et nous éloignons des rives de Golfito.

Autour de nous, c’est le Pacifique. Un ciel sans nuage se reflète dans une eau turquoise. Le blanc des vagues, l’air salé, le bruit des moteurs… J’ai toujours aimé prendre le bateau.
Dans ce paysage paradisiaque tournoie un ballet incessant de voiliers, de catamarans et de bateaux de pêche pour Américains fortunés. Ces gros porcs passent tellement vite qu’ils feraient presque chavirer les petites embarcations des pêcheurs locaux. J’ai jamais pu blairer leur mentalité.

Plus nous approchons de Puerto Jimenez, plus l’aventure d’une nouvelle jungle s’offre à nous. Et par la même occasion les légendes de la réserve la plus emblématique du monde : Corcovado.

Nous marchons avec nos sacs à dos le long de la vieille piste d’atterrissage. On y voit des iguanes qui courent dans les arbres sans grande crainte des humains. Les cris des aras « macao » nous font lever les yeux au ciel. Ils sont rouges, jaunes, bleus et volent toujours par deux.

Nous cherchons un hôtel près du centre pour les deux prochaines nuits. Notre première visite sera un établissement bien connu dans la région. C’est grand, c’est beau et c’est entretenu. Un jardin tropical pour Suisses en villégiature !
Ça pue, quoi. C’est trop propre.
Sur la devanture, on peut lire : « Hôtel Casa Manglar ». Je repère deux petites meufs posées à une table avec un Mac-book. Ces blondinettes à papa sont ici depuis trois jours et m’affirment que l’hôtel est sympa. Qu’en plus, les prix sont abordables.
À la réception, une dame à la cinquantaine sonnée, bien habillée, nous parle dans un anglais parfait. On lui demande le prix des chambres.
– Cinquante dollars la nuit.
– Okay. C’est pas ce qu’on cherche.
Alors qu’on est déjà en train de partir, elle nous propose de suivre le jardinier pour visiter une chambre moins chère.
– Allez voir, on parlera du prix après la visite…

Le type est en bottes de plastique et en short Adidas délavé. Il nous guide jusqu’à une sorte de dortoir où quatre blaireaux ont déjà pris d’assaut la propreté des lieux. Des lits à une place superposés. La clim réglée à fond. On se pèle.
– J’en ai assez vu, dis-je à Mel. On se tire, c’est pas pour nous.
La vieille à la réception me propose de payer quarante dollars pour squatter un lit superposé. Quand je pense que dans les montagnes d’Orosi ce genre de piaule se loue quatre euros la nuit !
Oh, ça commence à me gonfler !
La dame me dit qu’à Corcovado on ne trouvera pas de chambre à moins de cinquante dollars. J’ai presque envie de lui montrer ma bite. Ça au moins c’est gratuit.
Nous trouvons finalement une chambre à vingt dollars chez un jeune Tico plutôt sympa.

Avec Mel, nous marchons dans les coins les plus paumés de Puerto Jimenez et commençons à ouvrir des chemins à la machette à l’entrée de la jungle. Nous y reviendrons la nuit à plusieurs reprises.
Pas de serpents, mais nous trouvons quelques crapauds aux yeux rouges et une espèce d’araignées. Certains de mes contacts les identifient comme étant des « pheunotria ». L’un d’eux, arachnologue de métier, penche plutôt pour des « cupennius ». Ce qui est sûr, c’est que les livres désignent la pheunotria comme l’araignée la plus venimeuse du monde, plus connue sous le nom d' »araignée banane ».
Je ne suis pas assez expert pour reconnaître avec certitude la bestiole parmi les 42 000 araignées répertoriées dans le monde. Donc, pas touche. On range les doigts.

Le soir, quand nous ne sommes pas dans la jungle, nous partons à la pêche. Je fais découvrir à Mel un truc que j’ai appris il y a dix ans avec les Aborigènes en Australie. Dans un magasin de bricolage, j’achète un équipement sommaire pour fabriquer une ligne à main. C’est une technique de pêche tribale qui se pratique sans canne ni moulinet, avec un simple rouleau et 200 mètres de fil.
Nous sommes en début de marée basse. C’est le meilleur moment.
La technique est simple mais demande une légère maîtrise du lancer de lasso. Il faut faire tournoyer le plomb et l’appât, un morceau de poulet, sans se les prendre dans la gueule puis jeter le tout le plus loin possible dans l’eau.
Une fois que j’ai lancé, Mel récupère le rouleau d’une main et de l’autre tient le fil pour sentir les touches.
– Amour !!! Ça tire !!! Je fais quoi ?
– Bah, enroule le fil, chérie. Va plus vite pour éviter les rochers.
– Ça tire plus. Ah non, merde, j’avais un truc…
– Attend, laisse-moi regarder.
– Alors ?
– Ma puce, tu viens de pêcher un barracuda ! Et il est beau !
– Oh comment je suis trop forte ! Trooooop bien !… Ah, mais le pauvre, il a l’hameçon dans la bouche !
– T’inquiète pas pour lui, va !
Mel est fière de son premier poisson. Après quelques photos pour le souvenir, le voilà reparti à la mer.

Vu qu’au dernier lancer, le fil a été coupé net, je pense sans trop m’avancer que le coin est infesté de requins marteaux. Je décide que, demain, je vais essayer d’en attraper un petit pour que Mel en voie un de près.

Ce soir, nous discutons entre deux batidos.
– Tu as lu le livre que je t’ai acheté, Oro, de Cizia Zykë ?
– Non, pas encore.
– Nous marchons sur ses traces, ma puce…
C’est une étrange sensation pour moi. Je lui raconte qui était Zykë. Le fameux chercheur d’or. Le dernier aventurier, mort en 2011, qui a découvert la plus grande mine d’or de la péninsule en 1984. Là où nous étions l’après-midi même, il y était il y a quarante ans, avec ses chevaux, le long de la rivière Tigre.
– L’or est là, à 12 kilomètre dans la jungle, un mètre sous les pieds.

La péninsule d’Osa regorge d’histoires et de légendes de pirates, comme celle du corsaire Francis Drake.
Mais aussi, de l’autre côté de Corcovado, vers Isla Violin, où, dit-on, se trouve enterré au fond d’une grotte au bord de l’eau le trésor de Morgan le pirate. Beaucoup d’aventuriers s’y sont pétés les dents, car la mer a déposé des tonnes de sable et d’alluvions.
Légende ? Ou non ? Personne ne saura jamais.

Je conclus :
– Mais tu sais, ma puce, la majorité des gens sont des cons…
Plus personne ne s’intéresse à rien, pas même à l’histoire du pays. Il suffit de regarder autour de nous.
Des boutiques de téléphones portables.
Des agences touristiques à gogo.
Des guides à chaque coin de rue.
Sans compter les taxis, ces enculeurs de première.
– Quand tu sais qu’à Guerra, à seulement une heure d’ici, il y a des cimetières précolombiens. Et tout le monde s’en tape !

Souvent, je me dis que je ne suis pas né à la bonne époque…
L’or de la péninsule est devenue un sujet tabou. Les seules fois où j’ai voulu aborder le sujet avec des locaux, on m’a répondu « policia ! » en mimant les menottes aux poignets.
J’ai bien vu dans quelques arrière-boutiques des vieilles balances d’oreros et aussi des tamis pourrissant dans des jardins, mais ce sont des vestiges d’une autre époque.
On marche peut-être toujours dessus, mais l’or de la péninsule d’Osa est une histoire du passé.
Une histoire devenue un sujet interdit.

Repose en paix, Charlie.

(À suivre)

 

4 Responses to Sur les traces de Cizia Zykë

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