Adapté du roman Zykë L’Aventure, Thierry Poncet, éditions Taurnada.
EXT Jour, Ciutadella
La Rolls est garée devant le fronton d’un vieux palais de pierres. Msieu Poncet achève de nouer une cravate sur une chemise tropicale, histoire d’aller avec son blazer incongru de sage jeune homme. Il empoigne un attaché case qu’on subodore vide et se plante devant Zykë pour inspection.
Zykë est lui aussi sur son 31, à sa manière : chemise noire impeccable, pantalon de cuir, bottes étincelantes.
Zykë :
Ouais. Le secrétaire imbécile. C’est à peu près ça…
INT Jour, palais de doña Mercedes
Les deux hommes gravissent un impressionnant et médiéval escalier de pierres.
INT Jour, boudoir de doña Mercedes
Ils sont introduits par une grosse bonne en uniforme dans un petit salon voûté auquel des fenêtres en ogives et une cohue de statues de saints donnent une allure de chapelle médiévale.
Doña Mercedes est une très vieille chose tremblotante et courbée, au profil émacié de corneille sous un crâne chauve piqué de trois ultimes cheveux bleutés. Abîmée plutôt qu’assise au fond d’un fauteuil à oreilles, elle invite d’une patte de lézard chargée de bagues le duo à prendre place autour d’un guéridon.
Doña :
C’est vous, l’écrivain français qui veut louer Bini Pati Nou ?
Zykë se fend d’une élégante courbette d’hidalgo et s’assoit.
Zykë :
Mes profonds sincères et respectueux hommages, doña Mercedes. J’ai fait garer ma Rolls Royce devant votre porche, j’espère que ça ne vous ennuie pas…
Doña :
Une Rolls !
Zykë :
J’aime le confort. Et puis je suis un écrivain à succès. Donc je suis riche. Donc j’estime avoir le droit d’en profiter. (Il sert le thé à la mémére). C’est la volonté de Dieu de réserver l’argent aux riches et la pauvreté aux pauvres.
Doña :
Comme vous parlez bien, señor Zykë ! Si les gens sont si fainéants, de nos jours, c’est que personne ne veut plus travailler.
Zykë :
Vous avez bien raison… (Il extrait de sa poche une très volumineuse liasse de billets). Aaaaaah, doña Mercedes, combien je suis heureux de connaître enfin Menorca, la plus belle des îles du monde.
Doña (conquise) :
Oooooh, señor Zykë…
Zykë :
Je sais de quoi je parle, moi qui connais le monde entier… (Il scande chaque mot qui suit d’une virevolte de la main qui tient la liasse). Je reviens tout juste de la lointaine Asie, mais j’ai aussi vécu en Amérique latine, en Afrique, sous les tropiques, dans les antipodes, aux pays des Eskimos et chez les Papous…
La vieille, hypnotisée, suit du regard les envolées et les piqués des biftons, les paupières palpitantes, des pesetas plein les pupilles.
Doña (énamourée) :
Oooooh, señor Zykë…
Zykë saisit le bord d’un billet, le tire de la liasse et le pose lentement sur la nappe. Puis, très lentement, un deuxième, très très lentement un troisième, infiniment lentement un quatrième, du geste d’un joueur qui étale les cartes d’une réussite.
Doña :
Oooooh señor.
Zykë :
Oui, belle señora…
Ayant aligné douze talbins, couvrant la largeur du guéridon, il entreprend une deuxième rangée.
Doña (défaillante) :
Señññooor…
Zykë (diabolique)
Doña…
Il étale une troisième ligne de billets.
Doña (pâmée) :
Ohouhohouh…
Zykë :
Ah, Mercedes !
INT Jour, Rolls
Zykë monte au volant.
Zykë :
On l’a, notre maison d’écrivain ! (Il presse le bouton du démarreur
et ricane). Un peu plus et elle larguait les légumes, la vieille !
EXT / INT Jour, Bini Pati Nou
Un tracteur tirant une remorque emplie d’ordures passe la grille, qu’un ouvrier est en train de dérouiller, et s’engage sur le chemin d’accès.
La caméra avance, pénètre dans le parc où une petite armée de journaliers ramassent les détritus divers et les amassent en tas. On distingue Zykë qui dirige une équipe d’élagueurs, leur faisant tailler à la machette une allée à travers le massif de figuiers de barbarie. La caméra franchit la porte d’entrée de la maison, s’arrête un instant sur des électriciens et des plombiers qui travaillent dans l’escalier et gagne la grande salle, vide de meubles, où un groupe de matrones se livre à un grand ménage sous la surveillance de Msieu Poncet.
INT Jour, Ciutadella
Msieu Poncet est au comptoir d’un bar de la ville. Il parle avec la patronne, une jolie brune qui montre tous les signes qu’elle le trouve sympathique. À une question de Msieu Poncet, elle acquiesce et l’invite à le suivre à l’extérieur.
EXT Jour, port de Ciutadella
Msieu Poncet et la patronne du bar s’avancent le long du quai où un bon nombre de barques de pêche se préparent à sortir. La brune pose des questions aux pêcheurs qui lui répondent par la négative, lui désignant une barque plus loin.
Parvenue à la barque indiquée, la brune pose une question au pêcheur qui répond par l’affirmative et saute sur le quai. Il salue Msieu Poncet et sort de sa poche une poche de plastique emplie de boules de shit. Msieur Poncet en achète une.
EXT Jour, Bini Pati Nou
Crépuscule. Un dernier tracteur chargé d’ordures s’éloigne sur le chemin, suivi du troupeau des matrones. Zykë et Msieu Poncet sont à la grille. S’approche d’eux Miguel, un paysan comique aux allures de Paul Préboist, le béret tenu respectueusement à la main.
Miguel (en espagnol s.t.) :
Bonjour monsieur le grand écrivain de livres. Je suis Miguel, le fermier d’en face, là-bas. Je suis venu voir, pardonnez-moi, si vous n’auriez pas de l’ouvrage pour moi. C’est que, pardonnez-moi, j’ai trois enfants et la terre d’ici est très pauvre…
Zykë :
Hmm… Est-ce que tu sais faire des murs de pierres ?
Miguel :
Monsieur, mon père faisait des murs. Avant lui le père de mon père. Avant lui le père du père de mon père. Avant lui…
Zykë :
C’est bon, j’ai compris.
Miguel :
Si vous avez compris, vous savez alors que vous avez devant vous le meilleur faiseur de murs de toute la région de Ciutadella. Naturellement, pardonnez-moi, c’est un peu cher…
Zykë :
Le bon travail vaut le prix qu’il vaut.
N’ayant pu retenir une lueur de convoitise matoise, Miguel s’incline bien bas.
EXT / INT Jour, Bini Pati Nou
Succession de plans courts : des ouvriers au travail dans le parc et dans la maison sous la supervision de Zykë et Msieu Poncet.
Plan sur Miguel occupé à bâtir des murs, un mouchoir noué aux quatre coins sur la tête. Il n’utilise pas de mortier. Le corps de ses murs est un magma de petits cailloux. Les deux parois, s’inclinant légèrement l’une vers l’autre, sont le résultat d’un empilement savant de grosses pierres. Pour en égaliser la surface, il casse les aspérités à petits coups répétés d’une massette, ce qui produit un bruit particulier, à la fois métallique et cristallin. Ting, ting, ting….
Au fil des plans, on constate l’avancée phénoménalement rapide des travaux. Le parc est propre. La maison aussi. Un camion de gravier blanc est répandu sur l’allée creusée dans les figuiers de barbarie.
EXT Jour, Bini Pati Nou
Zykë, Msieu Poncet et Carlos déambulent dans le parc. Tous les journaliers sont partis. Il ne reste que Miguel penché sur un de ses murets en construction, produisant son bruit particulier : ting, ting, ting….
Zykë :
Vous entendez ce bruit ? J’aime ce bruit. C’est le bruit du travail. C’est rassurant, vous comprenez ?
Msieu Poncet (docile) :
Je comprends.
Carlos ne comprend pas plus mais il acquiesce poliment.
Zykë :
Ce qu’il me faut, maintenant, c’est des fleurs. Beaucoup de massifs de fleurs pour que je puisse méditer devant. C’est très important, les fleurs, pour l’inspiration d’un écrivain. Pas vrai, Msieu Poncet ?
Msieu Poncet :
Tu m’étonnes !
Carlos :
La terre d’ici n’est pas bonne pour les fleurs. C’est de la pulvérisée, la poussière, no ? Avec de la piedra tout de suite dessous.
Zykë :
Pas grave. Je vais mettre de la terre par-dessus.
Carlos :
Mais on ne trouve pas la terre ici. Il faut la faire venir du continent.
Zykë :
Très bien.
Carlos :
Ça va être cher.
Zykë :
On n’a rien sans rien.
EXT Jour, port de Mao
Des cales ouvertes du ferry sortent trois gros camions chargés de terre arable.
EXT Jour, île
Les camions roulent en file indienne sur la route principale.
EXT Jour, Bini Pati Nou
Il existe maintenant beaucoup de murets bâtis par Miguel : des lignes dans les figuiers de barbarie, le long des allées de gravier blanc. Des carrés et un cercle délimitant des massifs vides.
Des ouvriers piochent dans trois gros tas de terre pour remplir ces massifs.
EXT / INT Jour, Bini Pati Nou
Succession de plans courts : un pépiniériste puise dans sa camionnette une multitude de fleurs (pensées, rosiers, papyrus, etc…) qu’il plante dans les massifs sous la houlette de Zykë ; d’un camion de déménagements, des hommes extraient des meubles et les emportent dans la maison, supervisés par Carlos et Msieu Poncet ; on accorde une attention particulière au transport d’un grand tableau de contreplaqué dans l’escalier qui mène au bureau puis dans celui-ci.
EXT Jour, Bini Pati Nou
Miguel, les mains sur ses reins endoloris, avec Zykë dans le parc désormais fleuri.
Miguel :
Pardonnez-moi, monsieur, il n’y a plus de murs à faire, alors est-ce que vous auriez un autre travail à me commander parce que, pardonnez-moi, j’ai trois enfants et…
Zykë :
Suis-moi, Miguel.
EXT Jour, Bini Pati Nou
Les deux hommes à l’arrière de la maison, là où finit le parc fleuri et recommence la garrigue, laquelle s’étend à perte de vue.
Zykë montre un point au sol.
Zykë :
Je veux un mur de un mètre de haut… un mètre, oui ?
Miguel :
Oui monsieur, un mètre de haut.
Zykë :
Qui part d’ici et qui va dans cette direction (il montre l’infini de la garrigue).
Miguel se masse encore les reins en grimaçant.
Miguel :
À vos ordres, monsieur.
INT Jour, maison
Crépuscule.
Zykë et Msieu Poncet déambulent dans la maison, échangeant un joint. On découvre les appartements de Msieu Poncet, au rez-de-chaussée, ceux de Zykë, une immense salle de bains refaite à neuf, la cuisine, les deux terrasses…
INT Jour, bureau
Zykë et Msieu Poncet entrent dans le bureau. Zykë se laisse tomber dans un grand fauteuil avec un soupir d’aise.
Zykë :
Et maintenant, Msieu Poncet, si on travaillait un petit peu ?
(À suivre)
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