Adapté du roman Zykë L’Aventure, Thierry Poncet, éditions Taurnada, en librairie ou ici :
https://livre.fnac.com/a10793510/Thierry-Poncet-Zyke-l-aventure
https://www.amazon.fr/Zyk%C3%AB-Laventure-Thierry-Poncet/dp/2372580345
https://www.babelio.com/livres/Poncet-Zyk-laventure/962158
Noir écran
Son : bêlements de chèvres.
L’image s’éclaire : les pattes des chèvres sur un sol caillouteux. On entend les grommellements en arabe d’un homme qui repousse les bêtes devant lui.
Banc-titre : Maroc – environs d’Essaouira.
EXT Jour, puits
Le plan s’agrandit. On découvre la maison, un bâtiment carré chaulé de blanc isolé au milieu d’une lande pelée. La Mercedes est garée devant le portail. On aperçoit l’océan à 500 mètres. À une vingtaine de pas de la maison, les chèvres se pressent autour d’un puits à basse margelle de pierres grossièrement empilées, vers lequel se dirige Driss, porteur d’un fût de gasoil vide.
C’est un Marocain d’une trentaine d’années dont on comprendra par la suite qu’il est le majordome de la maison, responsable de toutes les tâches d’intendance. Il a une dégaine de dur, mi hippie, mi pirate. Cheveux noirs et bouclés longs jusqu’aux épaules, borgne d’un œil, paupières salement cousue, moustaches tombantes, tatouages bleus de marin. Il est vêtu d’un short et d’une étonnante chemise à fleurs très colorée, les pieds nus sur la caillasse.
Ayant plongé la seille du puits dans l’eau, il s’amuse à courser les chèvres, les bras écartés, ricanant, pour leur faire dieu sait quoi.
Le fût rempli, il s’enroule autour de lui et, muscles bandés, le soulève à bras le corps, montrant sa force extraordinaire. Il s’en retourne vers la maison, semant des éclaboussures d’eau à chaque pas.
EXT Jour, patio
La maison est bâtie en carré autour d’un patio au centre duquel s’étend un carré de terre vierge de toute végétation. Pas de déco ni de fioritures. Rien de confortable. Des murs blancs au revêtement écaillé, d’épaisses portes de bois aux charnières de fer, un dallage de briques. Le tout donne l’impression d’un bastion.
Assis sur un rondin, en paréo, bottes aux pieds, Zykë profite du soleil, torse poil, pépite sur poitrine, un plateau à thé posé à proximité.
D’une des chambres parvient le bruit d’une machine à écrire. La frappe est lente, hésitante et irrégulière.
Driss se dirige vers la cuisine, toujours porteur du fût.
Driss :
Zykë, tu voudras un joint ?
Zykë :
Quand tu veux, Driss.
Driss :
J’arrive.
Zykë (magnanime) :
Prends ton temps, hermano.
Zykë referme les yeux, face au soleil. De légers mouvements de tête nous font comprendre qu’il suit le cliquètement irrégulier de la machine à écrire. Après quelques instants, il soupire, mécontent.
INT jour, bureau
La pièce est à la fois la chambre de Msieu Poncet et le bureau de travail. Des feuilles de papier sont scotchées sur tous les murs, couvertes d’écritures dont on peut lire quelques titres : « jungle », « bouffage de tête », « l’envoyer se faire enculer »…
Le décor est aussi rude que le reste de la baraque : un étroit grabat, la cantine de matériel de papeterie, quelques fringues dans un coin. Seul élément un peu confortable, un fauteuil pliant de camping à la toile distendue, pour l’heure inoccupé.
Msieu Poncet est assis sur un tabouret à l’air inconfortable, devant une table rudimentaire sur laquelle sont posés la machine à écrire, une lampe à essence, une boîte de conserve débordante de mégots et un thermos. Il est seulement vêtu d’un short. Penché sur la machine à écrire, pas rasé, décoiffé, les lunettes plus que jamais de traviole, il a l’air souffrant et fatigué.
Msieu Poncet (marmonnant) :
Putain…
Il achève de taper une ligne, sort le feuillet du rouleau, le joint à une dizaine d’autres qu’il relit rapidement, l’air découragé.
Msieu Poncet :
Putain putain putain…
Il se lève, paquet de feuillets en main et sort de la pièce.
EXT Jour, patio
Zykë, la tête renversée en arrière. Penché sur lui, Driss est occupé à le raser, trempant régulièrement son coupe-chou dans une casserole bosselée emplie d’eau fumante posée par terre.
Msieu Poncet s’approche, tends les feuillets.
Zykë :
Ah !
Il essuie le restant de savon sur ses joues au moyen d’un torchon grisâtre, prends les feuillets et commence à lire.
Zykë (fort) :
Non, putain, non !
Msieu Poncet ferme les yeux, épuisé. Il ôte ses lunettes et se frotte le visage, l’air très emmerdé.
Zykë tape les feuillets du dos de la main.
Zykë :
Non, non, non !
De rage, il jette les feuillets à terre. Un instant de tension, puis il inspire et expire à plusieurs reprises, accepte le joint que lui tend Driss, tire un coup dessus.
Zykë (plus calme) :
Msieu Poncet… Msieu Poncet… Je sais que tu sais faire des jolies phrases. Très jolies, même. Mais ce n’est pas ça que je te demande !
Driss ramasse les feuillets et les remet à Msieu Poncet qui jette un œil dégoûté dessus.
Zykë se lève, s’étire.
Zykë (à Driss) :
Merci l’ami.
Driss :
Pas de problèmes.
Zykë (à Msieu Poncet) :
Tranquille, camarade. Allez, viens, on va reprendre…
Les deux se dirigent vers le bureau. Zykë y entre en premier. Sur le seuil, Msieu Poncet lance un regard au ciel, comme un condamné obligé de regagner sa cellule.
INT Jour, bureau
Msieu Poncet s’abat sur son tabouret, épaules basses. Zykë se met à arpenter le bureau, feuillets au poing comme une partition, tarpé dans l’autre main.
Zykë (lisant) :
« Le luxuriant fouillis de verts emmêlés, de la plus tendre émeraude au presque noir… ». Qu’est-ce que tu veux dire ? Que la jungle est verte ? Qu’elle est touffue ?… Bordel, on le sait que la jungle est touffue ! Ce n’est pas ça qui nous intéresse.
Il consulte les feuilles collés au mur, pointe le doigt sur l’une d’elles où on lit en gros et entouré le mot « maladresse ».
Zykë :
C’est ça que je veux. Dans la jungle, les types du coin, ils cavalent d’un arbre à l’autre sans jamais ralentir. Ils savent le faire. Moi, je suis lourd. Je me démerde mal. Je ne suis pas un héros d’Hollywood. Je ne suis pas Superman. Ça n’existe pas, les Superman.
Il lance les feuillets sur la table, s’abat dans le fauteuil de camping – dont on comprend alors qu’il est son siège réservé.
Zykë :
Tu comprends ? Je ne veux pas raconter d’histoires. Quand il y a de la boue, je glisse. Je suis maladroit comme le gros con de colon que je suis. Quand je me casse la gueule, je tombe de tout mon poids. En plus j’ai gardé mes bottes de cuir. Pour le look, tu comprends ? Il n’y a rien de moins adapté à la jungle que des bottes de cowboy. Elles sont casse-gueules et elles pourrissent à vitesse grand V. C’est ça la vérité de l’aventure. C’est ça qu’il faut écrire.
Il s’est calmé en parlant. Il gratifie Msieu Poncet d’une forte claque sur l’épaule, lui tend le joint.
Zykë :
Tiens. Repose-toi un peu. On va bouffer et on reprendra cet après-midi…
INT Jour, réfectoire
Une ancienne porte sert de table, basse, posée sur des rondins. La bouffe est simple mais très abondante : un énorme tajine de ragoût et une pile de galettes de pain.
Msieu Poncet entre. Zykë et Driss sont déjà installés. Zykë fume, Driss mange déjà, salement et bruyamment. Msieu Poncet se laisse tomber sur un des coussins qui servent de sièges, l’air abattu.
Zykë :
Fais pas la tronche.
Msieu Poncet grommelle.
Zykë :
Msieu Poncet… Tu écris bien, si ça peut te rassurer. C’est juste que je m’en bats les couilles, de bien écrire. Moi je veux faire un best-seller.
Msieu Poncet :
Ben raison de plus, un best-seller…
Zykë :
Ta gueule. Je sais ce que je fais. Tu as devant toi un énorme escroc. Un manipulateur. La littérature, c’est de la manipulation. Pour moi, c’est un nouveau moyen de bouffer les têtes. Et les têtes, je sais comment ça marche. Allez, bouffe.
Msieu Poncet obéit. Les trois hommes mangent à l’arabe, sans couverts, trempant des morceaux de pain dans le plat avant d’enfourner ces mahousses bouchées. La bouche pleine, Zykë continue son monologue.
Zykë :
Bien écrire, c’est faire tourner la page au lecteur. Encore et encore et encore. Ne pas le lâcher. Toujours la pression. Un coup de peur, un étonnement, une claque, un spectacle étrange… tout est bon. Il faut que tu penses à un combat, à de la boxe… Tu dois emporter les gens dans la folie et ne plus les lâcher…
INT Jour, bureau
Msieu Poncet à la machine. Il interrompt sa frappe et soupire, totalement découragé, prêt de chialer.
Il ôte le feuillet du rouleau, le jette, se lève et quitte la pièce.
EXT Jour, lande
Msieu Poncet marche à travers la lande qui s’étend devant la maison, une terre sablonneuse plantée d’agaves et de buissons qui va jusqu’à une étroite bande de plage et à l’océan.
Msieu Poncet fume, sombre, le regard perdu sur le soleil couchant qui rougeoie à l’horizon.
Une musique rock arabe le distrait de sa morosité. Le long de la plage marche un dromadaire guidé par un jeune type en gandoura qui porte sur l’épaule un énorme magnéto, volume à fond.
Plan sur le bât du dromadaire au sommet duquel trône un poste de télévision oscillant au gré de la marche de l’animal.
Dépassant Msieu Poncet, le jeune lui adresse un signe joyeux avec un sourire qui montre une dentition très clairsemée.
Le jeune :
Salam Aleikum !
Msieu Poncet salue en retour. L’étrange attelage le dépasse et poursuit son chemin.
Msieu Poncet se met à marmonner des paroles inaudibles. Ses épaules se redressent. Son visage s’éclaire tandis que ses lèvres remuent à toute vitesse.
Il tourne les talons et retourne vers la maison d’un pas rapide, presque en courant.
EXT Jour, patio
Msieu Poncet dépasse le portail et fonce vers le bureau. Plan sur la porte de celui-ci dont, bientôt, s’échappe le cliquètement maintenant rapide et régulier de la machine à écrire.
Int Jour, chambre Zykë
Vaste lit, couvertures bariolées, nattes de paille colorées au sol, fauteuil d’osier, table de cuivre… le décor confortable, presque luxueux contraste avec l’austérité du reste de la maison.
Zykë, assis dans le fauteuil, déguste du thé à la menthe. Driss est accroupi à l’indigène en contrebas de lui.
Zykë :
Ça y est ! On va pouvoir se mettre à travailler !
Driss :
Tu veux un joint ?
Zykë (exultant) :
Tu m’étonnes, ça se fête !
Driss s’empare du matériel, brique de shit et tabac, sur la table est commence à rouler.
Zykë écoute avec ravissement le cliquetis assuré de la machine.
Zykë :
Tacatacatac… Tacatacatac… Ah, Driss, Driss, hermano, de grandes choses vont s’accomplir !
(À suivre)
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