Adapté du roman Zykë L’Aventure, Thierry Poncet, éditions Taurnada.
INT Jour, pont
GP sur l’aiguille d’une seringue qui cherche une veine sur un bras marqué de plusieurs hématomes et cicatrices de shoots.
Le plan s’élargit. C’est Msieu Poncet qui se shoote. Il est sale, pas rasé, porte sur les épaules une couverture déchirée. On découvre à côté de lui Zykë, coiffé d’un ridicule bonnet péruvien, somnolent, bouche demi ouverte, plongé dans les délices de l’après-shoot.
La caméra explore le décor : au bas d’une volée de marches qui mènent à la rue au-dessus, un parapet large d’environ trois pas, surplombant l’eau verte d’un canal. Des tags et des graffitis à la bombe recouvrent les parois. Au sol, des cartons délimitent des sortes de pièces. Matelas de mousse. Couvertures dégueulasses. Un lit pliant à la toile déformée par un trop long usage. Des cadavres de bouteilles. Des boites de bière vides. Des mégots écrasés partout. Des merdes. Une flaque de dégueulis au bord de l’eau…
Une junkie descend l’escalier, manquant se casser la gueule à chaque marche. C’est Susan : une vieille punkette blonde qui semble échappée d’un film de zombies : os saillants ; des cicatrices et des hématomes partout, corps et visage ; grands yeux bleus que la folie écarquille ; pommettes qui crèvent la peau ; lèvres incolores retroussées sur des dents verdâtres.
Susan (à Zykë, en anglais guttural s.t.) :
Hey, c’est toi l’écrivain qui paye pour des histoires de junkies ?
Zykë (émergeant) :
Oui ma belle.
Susan :
J’suis pas ta belle !
Zykë :
Okay. Je paye en dope ou en fric. Tu as des histoires ?
Susan (ricanant) :
Ferme-la, gros pédé. Des histoires ? Putain, je suis la plus putain de junkie de toute la putain de ville. Je me défonce depuis 75, man ! Donne ton putain de fric. Et ta dope. Je me fais un shoot maintenant. Maintenant !
Susan se prépare son shoot, utilisant une seringue neuve qu’elle sort de son emballage. Elle se shoote dans la carotide.
Msieu Poncet s’est approché, porteur d’un cahier d’école corné et d’un Bic. Il ouvre le cahier. Pendant ce temps, Zykë se refait un shoot.
Susan :
Qu’est-ce qu’il fait ce connard ? Qu’est-ce qu’il écrit ?
Zykë :
Tranquille. C’est mon secrétaire.
Susan :
Vous êtes des pédés. Vous voulez faire un trio ? Je vous suce ? 50 guilders chacun.
Zykë :
Non. Je veux juste entendre ton histoire.
Susan :
Mon fric.
Zykë :
Après. Comment tu t’appelles ?
Susan :
Susan.
Zykë :
Tu es hollandaise ?
Susan :
Ouais. Pas comme tous ces putains de junkies qui débarquent de partout. On devrait les foutre dehors. Ouais, je suis hollandaise, merde. Putain de junkies de merde. Donne-moi mon fric !
Zykë (patient, cool, défoncé) :
Après. De quoi tu vis, Susan ?
Susan (rigolant) :
Je ne vis pas. Tu le vois pas, que je suis morte ? Quel putain d’écrivain tu es ?
Zykë :
Tu dois bien payer ta dope. Tu es hollandaise, alors tu touches une allocation de survie, je le sais. Mais ça ne suffit pas, avec tout ce que tu t’enfiles dans les veines. Alors, tu fais quoi, tu te prostitues ?
Susan :
Ouais je fais la pute. Ça t’emmerde, hein, pédé. Vous êtes une belle paire de pédés. Vous aimez prendre des coups, hein ? Je le sais. Je me déguisais en putain de nazie pour dominer les masochistes. Putain j’ai adoré taper sur ces gros porcs. Je les mettais en sang et je les faisais payer un maximum pour ça. Waaah, le fric que je me faisais…
Msieu Poncet prend des notes. D’autorité, Susan s’est emparé du sachet de poudre et se reprépare déjà un shoot.
Zykë :
Tu continues ?
Susan :
Naaaaa. Maintenant je fais des films de cul. Je suis une putain d’actrice. Ils me payent pour baiser avec des animaux. Je baise avec des chiens. Je suce des ânes. L’autre jour, y’en a même un qui m’a fait pomper la bite d’un singe…
Elle se shoote.
EXT Nuit, Red District
Suite de plans courts : Zykë, Msieu Poncet, Susan et un autre junkie déambulent dans les rues du vieux quartier d’Amsterdam.
Ambiance de fête : les coffee-shops bondés de touristes qui fument en liberté ; les putains en vitrine ; les enseignes de sex-shops et de boîtes de nuit…
Zykë achète un gros paquet de dope à un dealer surinamais.
EXT Nuit, pont
Le petit groupe de retour sous le pont se paye une tournée de shoots. Tous s’écroulent.
EXT Jour, marché aux puces
Msieu Poncet devant un étal où, au milieu de merdes invendables, se trouve une machine à écrire manuelle. Msieu Poncet s’accroupit et l’essaye, tapant sur les touches du clavier. Son doigt appuie plusieurs fois sur la touche « n », sans résultat. Un plan sur le râtelier montre que la barrette manque.
INT Jour, papeterie
Msieu Poncet dans une papeterie, la machine sous le bras. Son allure de clochard junkie tranche sur celles du gérant et des clients, tout à fait normaux.
Msieu Poncet achète trois rouleaux encreurs et trois flacons de Tipp Ex. Ses gestes maladroits et le temps qu’il met à piger le montant de ses emplettes (44 Guilders), indisposent le gérant et lui valent des regards réprobateurs des clients.
Msieu Poncet sort de la boutique en leur adressant un doigt d’honneur.
EXT Jour, pont
Succession de plans courts :
Zykë se shoote en compagnie de « confidents » ;
Msieu Poncet, hagard, assiste sur un banc au débarquement de touristes d’un car (ils vont visiter la maison d’Anne Franck), lesquels lui jettent des regards de commisération ;
Msieu Poncet tape à la machine, accroupi sur un carton, à côté d’un Zykë somnolent ;
Zykë et Msieu Poncet se shootent de concert, alors qu’un vieux barbu est pris d’une diarrhée à quelques mètres ; le spectacle les fait rire.
EXT Nuit, pont
Zykë et Msieu Poncet se shootent en compagnie d’un jeune métis qui porte une casquette de Gavroche (Toby). On remarque que le bivouac de Zykë s’est amélioré : double matelas, couverture neuve, d’autres couvertures tendues en guise de cloisons, réchaud à gaz…
Zykë (très défoncé, en anglais s.t.) :
Okay… okay… alors… yeah… comment tu t’appelles, déjà ?
Toby :
Toby.
Zykë :
T’es pas hollandais. Attends. Tu viens d’Afrique. Afrique de l’Est, pas vrai ?
Toby :
Oui. Je suis soudanais.
Zykë :
Qu’est-ce que tu branles ici.
Toby :
Je suis marin. J’étais marin. Mon bateau a fait escale à Rotterdam. C’est là, la première fois que je me suis shooté. Putain, mec, c’était trop bon. J’ai recommencé, recommencé, recommencé. Mon bateau est parti. J’étais déserteur. J’ai continué.
Zykë :
Comment tu survis ?
Toby :
Je pique dans les magasins. Je suis bon pour ça. Des montres. Des appareils photos. Des magnétophones… Je connais des mecs qui me les rachètent. Pas super cher, mais bon, ça va. Et puis, j’ai ma femme, Karol.
Zykë :
Elle est hollandaise ?
Toby :
Non, elle est allemande. Elle est venue en vacances ici avec un copain, et puis, bon, elle est restée. Comme moi.
Zykë :
Qu’est-ce qu’elle fait ?
Toby :
Ben, euh… elle va avec des mecs, quoi.
Zykë :
Elle fait la pute ?
Toby :
Non. Elle baise pas. C’est ma femme, merde !… Elle fait des pipes, seulement…
EXT Jour, pont
Msieu Poncet tape à la machine. On remarque que son « bureau » s’est amélioré : empilement de cagettes en guise de table de travail, vieux coussins de divans pour siège, bougies plantées sur des culots de bouteilles…
La caméra s’approche du manuscrit. Sur la page de garde, on peut lire « Cizia Zykë – Amsterdam Zombies – Enquête ». Le « n » de « enquête » est rajouté à la main.
EXT Jour, dispensaire
Un groupe de junkies, dont Zykë, Msieu Poncet, Toby et sa femme blonde, Karol, font la queue devant un petit bâtiment à l’enseigne médicale. Des junkies en sortent, porteurs de pochettes de seringues neuves.
EXT Nuit, Red District
Dans l’ombre d’une ruelle, une fille blonde (Karol) prodigue une fellation à un touriste. L’homme jouit. Tandis qu’il se rajuste, la fille rejoint dans une rue éclairée un groupe composé de Zykë, Msieu Poncet, Susan et Toby. Karol se blottit contre Toby. Le groupe se mêle à la foule.
INT Nuit, bar
Le groupe dans un coffee-shop. Tous sont assis à une table, sauf Susan qui parle avec un type au comptoir. Susan s’énerve, hurle et donne des coups de poings au type, qui lui en renvoie un. Susan s’écroule par terre. Le type prend son élan pour lui balancer un coup de pied, mais la main de Zykë s’abat sur son épaule. Zykë balance un coup de poing sur le haut du crâne du gars qui s’écroule, assommé pour le compte.
EXT Nuit, pont
Tout le groupe se shoote autour d’une lampe à gaz.
EXT Nuit, pont
Msieu Poncet chantonne (knock knock knock…), penché sur des feuillets, à la lumière de la lampe à gaz.
La caméra s’approche. On peut voir qu’il rajoute au stylo les « n » manquants du texte.
(À suivre)
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