Le copain David Brard crapahute dans la péninsule d’Osa avec sa dulcinée Mel, à la double recherche des reptiles locaux et des souvenirs de Don Juan Carlos, alias Cizia Zykë, l’homme de Oro, ce grand livre d’aventure dont la lecture, comme tant d’autres, lui a bouleversé la cervelle.
Le compteur du blog indique que vous êtes nombreux à le suivre, potesses et poteaux, alors on ne voit pas pourquoi on ne continuerait pas.
Ce n’était pas prévu, certes, mais eh, oh, c’est l’aventure…
Amigo,
La suite vas sûrement te surprendre. J’ai rencontré la femme de Wayne dans Oro. En réalité, il s’appelait Patrick. C’était lui qui transportait l’or de Zykë et lui gardait son arme quant les flics le cherchaient. J’ai trouvé des oreros dans la forêt. Je n’aurai pas le temps de voir les hommes qui ont travaillé pour lui. Ils ne sont plus très jeunes. Mais j’ai déjà eu beaucoup de chance.
David.
Jeudi 16 septembre. Osa, Costa-Rica.
Royaume ou règne 2,5% de la biodiversité mondiale, la réserve de Corcovado est une jungle grande quatre fois comme Paris. Le National Geographic la définit comme l’endroit le plus intense au monde, biologiquement parlant.
En tout cas, ses montagnes sont couvertes de la plus belle jungle que la terre ait créée. Aussi magnifique qu’elle soit, son immensité la rend dangereuse. Une expatriée française nous à confié qu’un corps à été retrouvé il y quelques temps. Touriste ou orero, personne le sait, vu qu’à la découverte du cadavre, il ne restait que les os.
Naturellement, en 2021, il est illégal d’y aller seul. Les guides qui s’autoproclament biologistes mais qui sont pour la plus part à peine des jardiniers valables se frottent les mains à la vue des estivants qui débarquent sur la petite piste d’atterrissage de Puerto Jimenez.
Les guides ne nous intéressent pas, Mel et moi. L’idée même de faire partie d’un groupe en bermuda et claquettes à la sortie d’un van climatisé me donne de l’urticaire.
De plus que ce soit illégal m’importe peu.
Alors on a cherché. On a cherché encore et encore.
Rien sur la carte, ni même sur internet. Personne n’est d’accord sur les manières d’entrer dans le Corcovado. Et quand nous demandons aux Ticos où sont les accès de la grande jungle, ils nous renvoient systématiquement vers un cousin de l’oncle de la belle sœur qui a une agence touristique.
Certains affichent 150 dollars par personne pour une journée.
Visiter une réserve de 45 000 hectares en une journée ? Autant se taper une branlette avec des gants de boxe.
Deux ricains nous ont confié avoir dépensé 950 dollars pour quatre jours de grimpette dans les montagnes. A la vue de notre tête déconfite, ils nous informent que les repas étaient compris dans le budget.
– Encore heureux ! je leur réponds.
Il ne manquerait plus que tu doives partir à la chasse à ce prix là...
Le centre de Corcovado s’appelle Sirena.
Pour y accéder, il faut prendre un bateau puis marcher pendant six heures sur 22 kilomètres. C’est aussi pour cela que ça coûte une blinde. Le ravitaillement en nourriture et en alcool est difficile.
C’est immense.
C‘est loin et c’est perdu au milieu de rien.
C’est parfait !
On va y aller et on improvisera sur place.
Nous trouvons sur la carte un petit patelin qui s’appelle Carate. C’est à 45 kilomètres de notre hôtel. C’est le dernier bled avant la jungle primaire. Après il n’ y a plus de route.
On décide de se payer un 4×4 pour nous rendre sur place.
Départ à six heures du matin.
Le chauffeur, un ancien, nous explique pendant, balançant nos sacs à l’arrière, qu’après nous avoir déposés, il repassera avec sa bagnole dans l’après-midi, puis vendredi prochain. Petit détail qui aura son importance par la suite.
Chargés à l’arrière sur ce qui fût jadis des banquettes nous voilà partis pour deux heures de piste défoncée. La voiture du pépé a la classe d’une brouette et affiche 400 000 bornes au compteur. Elle est aussi pourrie que la route. À chaque nid de poule, la charrette fait un bruit de caisse à outils. Ça me rappelle les montagnes de l’Atlas au Maroc.
9h30. Nous arrivons à Carate.
C’est la défaite : il n’y a rien. Rien, à part une piste d’atterrissage déserte. On se croirait à Jurassic Park. Les derniers hôteliers qui n’ont pas encore quitté les lieux pratiquent des prix démesurés. Ce ne sont d’ailleurs pas de vrais hôtels mais des casas aménagées pour les rares visiteurs qui s’aventurent ici. Au plus abordable, nous trouverons 119 dollars pour la nuit.
Naturellement, pas de supérette sur cinquante kilomètres à la ronde, impossible de trouver de quoi manger.
Plage, cocotiers et forêt, c’est digne d’une carte postale. Mais pour le reste, c’est Koh-Lanta.
Le 4×4 qui vient de nous déposer est déjà reparti pour la ville. Il repassera cet après midi et la prochaine fois ce sera dans cinq jours. Si on le rate, on est clairement dans la merde.
C’est pour ça que l’ancien nous a prévenu. Il nous a vu venir, avec nos deux sac à dos ! Sans nourriture ni matériel, on n’est pas préparés pour rester. Donc pas question de le louper.
Du coup, l’ambiance de la promenade s’en ressent un peu.
– Avance, ma puce… Bordel, tu veux pas mettre la seconde là ?
– Eh, tu me parles encore une fois comme ça et je me tire !
– Tu vas aller où, hein, où tu vas aller ? J’en ai ras le cul de m’arrêter tous les deux cents mètres. Moi aussi j’ai chaud.
– Ben avance et m‘fais pas chier !
– Tu peux me dire pourquoi tu fais ta meuf là ?
– Mais c’est toi qui me saoule ! Putain tu m’ééééénerves !
– Arrête de gueuler, c’est quoi ton problème encore ?
– C’EST TOI BRARD QUI A VOULU VENIR ICI !
– Bah évidemment, ça pouvait pas venir de toi...
– Mais ouaiiiis, moi Mélanie, je ne fais jamais rien de bien ! Brard il sait tout faire. Brard il a tout vu. Brard il a déjà voyagé seul, en Australie, au Cambodge blaa blaa blaa…
– Je peux savoir pourquoi tu fais ta connasse ?
– C’EST TOI LE CON ! TU ME PARLES MAL !
– Tu sais quoi, j’attends là. J’en peux plus de t’entendre chouiner.
– MOI JE CHOUINE ?
– OUI TU CHOUINES !… Tu sais combien de nénettes vendraient leurs petites culotte pour avoir ta place.
– Ben je leur laisse ! Et puis bon courage à la pauvrette pour supporter un type comme toi !
– T’es vraiment la pire casse–couilles que je connaisse.
– Parfait, et bah tu sais quoi, moi je me casse.
– OK. Va bouder plus loin. Va chercher de la bouffe, solo. Mais je te jure que si on rate l’autre con avec sa brouette, on dormira dehors. Comme ça, t’auras UNE BONNE RAISON POUR ME LES PÉTER !!!
Quatre heures plus tard…
Mel soupire :
– Si on part du Costa Rica sans faire Corcovado j’aurais l’impression de rater quelque chose.
– T’inquiète pas ma belle, j’ai une idée.
– … ?
– On va rentrer en ville louer un 4×4 à un blédard. Ensuite on charge la caisse de conneries comme du riz, des conserves, une casserole et on revient ici.
– Tu as vu tous les animaux qu’on a croisés sur la route ?
– Ouais, je suis d’accord mais faut s’équiper avant de revenir.
– Et pour dormir ?
– On a les hamacs. Il y a une rivière a côté de la piste d’atterrissage. C’est plutôt pas mal comme spot. J’ai goûté, c’est de l’eau douce. Ça vient des montagnes. Avec les gourdes filtrantes, on risque rien.
– OK, on fait ça.
– Tiens v’là l’ancien avec sa charrette. Allez viens, on se casse de là.
De retour à Puerto Jimnez, nous retrouvons notre chambre à l’hôtel, le Mini Tigre. Croyez–le ou non, les draps n’ont pas bougé. Vétéran de nos nuits torrides, je ne peux m’empêcher de rire en imaginant la tête du type qui aurait pu louer la piaule à notre place.
Pendant les quatre jours qui suivent, nous n’avons de cesse que de chercher une caisse pour repartir à Carate. Premier essai, nous nous rapprochons des loueurs de voiture. Le site internet de l’agence propose 330 dollars pour cinq jours mais la réalité en est toute autre. Sur place, la nana de l’accueil nous demande 650 dollars.
– COMBIEN ?!
Elle m’explique que sur le site internet de l’agence, les frais de dossier ne sont pas pris en compte, que toutes les voitures ne sont pas disponibles et que ceci et que cela. J’ai envie de la découper à la machette.
C‘est partout pareil : arnaque et pompe à fric. Voilà la devise de ce que j’appelle les pays–bananes.
Plus le temps passe et plus les Ticos nous connaissent comme les deux français qui cherchent des serpents. Mais aussi comme les deux radins. Les deux grosses pinces. Dans les bars, ils nous saluent d’un « Pura vida ! » avant de nous proposer des voitures, des quads, des motos, une fois même un bateau.
– Seguro, hombre !
Si je leur demandais une choucroute, ils me la trouveraient.
Les grands sourires amicaux qui leur sont familiers s’effacent dès que l’on parle fric. Mais je ne craquerai pas, j’ai un budget à respecter. Si tu ne veux pas de mon pognon, hombre, un autre le prendra.
Enfin, une petite vieille, patronne de supérette, nous propose le 4x4 d’une voisine. Je sais qu’elle va me demander 70 dollars par jours, c’est le prix d’ici. Moi, j’ai 35 dollars et je ne lâcherai pas. La voisine finit par se pointer et c’est parti pour la négociation.
De 75 dollars on passe à 50 avant même d’entamer la discussion. C’est le fameux prix d’ami que vous retrouvez dans tous les pays du tiers monde. J’annonce que ça nous intéresse pas. Elle propose 45 mais c’est son dernier prix. Je lui répond 35. Elle tique et commence à bouder. Elle refuse sans discussion possible. Je répond OK, je te propose 175 pour cinq jours. Une affaire en or ! Elle me sourit de toutes les dents qu’elle n’a plus et elle accepte.
Elle est gentille. Au fond, j‘aime les pays–bananes.
Le lendemain on récupère le 4x4 qui s’avère être un SUV pas tout à fait préparé pour la piste. On va se marrer. Évidemment, il n’y a plus une goutte d’essence. On passe par la case station–service, puis on prépare nos cinq jours de jungle. Casserole, riz, patte, nourriture sèche et bidons d’eau. Voilà l’entièreté de notre futur bivouac.
Mel s’inquiète. Crapahuter au milieu des bestioles, elle sait ce que ça signifie. On a marché plusieurs fois dans la jungle de nuit. Mais y dormir, c’est une première.
Au volant du SUV notre plus grosse crainte pour le moment c’est d’y laisser le pare-chocs ou la cartouche d’échappement. Cette saloperie n’est pas assez haute. Sa frotte, ça cogne mais pour le moment ça roule.
Moi, je suis assis sur la portière cherchant l’équilibre, je lutte contre la piste et repère les passages les moins compliqués.
Nous passons des grandes rivières sur leurs ponts de fortune.
Todo bien.
Dans deux heures on sera aux portes de Corcovado.
(À suivre)