Voici un texte pêché dans…
Mais je vous laisse deviner. Par les tristes temps qui courent, ça ne devrait pas être trop difficile.
A lire attentivement, en tout cas…
LE BLASPHEME, COMMENT ÇA MARCHE ?
1) Comment blasphémer correctement ?
Pour faire court, on s’en tiendra aux règlements des seuls religions monothéistes. Honneur au précurseur, le judaïsme ne badine pas avec le blasphème. On n’a même pas le droit de prononcer le nom de dieu (Yahvé, pour les intimes), qui préfère qu’on l’appelle « l’Eternel ». Et l’on n’a pas intérêt à se gourer car qui-vous-savez est particulièrement rancunier : « Celui qui blasphème le non de Yahvé sera mis à mort ; toute la communauté devra l’assommer avec des pierres. Qu’il s’agisse du résident ou de l’indigène, s’il blasphème le Nom, il sera mis à mort. » Ainsi s’exprime dieu par la voix de Moïse dans la bible hébraïque.
En principe, la représentation est un péché pour tous les monothéistes. « Tu ne feras pour toi ni idoles ni rien qui ait la forme de ce qui est dans les cieux, sur la terre ou dans les eaux », peut-on lire dans l’Exode. Mais l’interdit juif n’a pas survécu longtemps, car, si dieu n’entend rien au marketing, les religions, elles, ont vite compris la nécessité de faire un peu de pub. Et elles n’ont rien trouvé de mieux que l’IMAGE. L’image du christ en croix apparaît dès le 6ème siècle. Une évolution confirmée au 8ème siècle, au concile de Nicée, lorsque les iconolâtres – favorables à l’utilisation d’icônes pour servir la religion – l’emportent sur les iconoclastes, hostiles à l’image. Des siècles de peintures et de sculptures religieuses financées par l’église en témoignent. Mais cette église n’aime l’art que s’il sert sa propagande. Comme au travers des Passions, ces pièces de théâtre mettant en scène le calvaire de Jésus, dont elle a beaucoup usé pour attendrir le peuple. Les protestants sont plus pudiques. Calvin, en tout cas, faisait recouvrir à la chaux les vitraux du Moyen Âge représentant la vie de Jésus et des saints.
L’islam a gardé le même blocage sur la représentation, mais pour le prophète. « Dites ce que vous voudrez de dieu, mais ne touchez pas à Muhammad ! » dira un leader islamiste pendant l’affaire Rushdie. Mais là aussi, comme pour le christianisme, l’interdit est relatif. Les chiites éditent volontiers de grands portraits de Mahomet et l’iconographie arabe, persane ou indienne, notamment entre le 14ème et le 17ème siècle ; comporte quelques trésors en matière de dessins sur Mahomet.
2) Qu’est-ce qu’un blasphème ?
Selon la définition du Petit Larousse, un blasphème est une « parole impie, un discours qui insulte violemment la divinité, la religion et, par extension, quelqu’un ou quelque chose de respectable ». Par conséquent, vous pouvez chier dans un bénitier, tirer sur la barbe d’un mollah ou, si vous êtes une femme et que vous avez vos règles, passer entre deux rabbins – attitude strictement interdite car l’un des rabbins peut en mourir – vous ne blasphémez pas, vous commettez un sacrilège.
Nuance.
Le blasphème, donc, relève exclusivement de la parole. En théorie. Car, bien souvent, les extrémistes religieux ont une interprétation du blasphème beaucoup plus élastique que celle du Petit Larousse. C’est qu’à force de relire en boucle un seul livre, ils n’ont guère le temps d’ouvrir le dictionnaire.
3) Quelques bons plans…
Pour bien blasphémer au 21ème siècle, il y a des fondamentaux à connaître. Par exemple, si vous voulez offenser le judaïsme, préférez plutôt le sacrilège et surtout visez bien certains quartiers d’Israël : baladez-vous en mini-jupe dans Mea Shearim (ça marche pour les hommes comme pour les femmes) ou roulez-vous une pelle devant le mur de l’ouest.
Pour le christianisme, rien de tel qu’un film montrant Jésus en train de partouzer avec ses apôtres, ou une pièce de théâtre suggérant que Marie a commis l’adultère – avant la naissance de Jésus, si possible…
Dans tous les cas, visez en dessous de la ceinture.
En ce qui concerne l’insulte à l’islam, rien de plus facile. Si vous êtes né dans une famille ou dans un pays musulman, vous bénéficiez en plus d’une discrimination positive. Il vous suffit de respirer un peu fort ou de vous laisser aller à penser librement à voix haute. Si l’imam du coin ne s’occupe pas de votre cas, le gouvernement, même s’il se prétend laïc, s’en chargera.
4) Attention, ça ne marche pas à tous les coups !
La réussite d’un blasphème dépend uniquement du contexte politique. Une parole jugée offensante à une époque dans un pays donné serait passée totalement inaperçue dans ce même pays quelques années plus tôt ou plus tard. Les inquisiteurs chassent moins en fonction de leurs dogmes que de leurs besoins stratégiques : monopole du pouvoir, besoins financiers…
Sous Isabelle la Catholique, en Espagne, on traquait le blasphème pour dénicher les « conversos » (les juifs convertis au christianisme), afin de confisquer leurs biens et financer l’église.
En France, les empereurs et les rois n’ont jamais été aussi chatouilleux sur la question que lorsqu’il s’agissait de réaffirmer leur légitimité de droit divin ou protéger leur trône.
Dans les années 80 et 90, aucune pièce de théâtre ou exposition, aucun film, n’aurait connu le moindre ennui si les lefebvristes et les catholiques traditionalistes n’avaient pas décidé de concurrencer le Vatican sur le terrain de la défense du christianisme.
Et les créateurs auraient aujourd’hui la paix si l’église n’avait pas décidé de reprendre la main à partir de l’année 2000. De même, les démocrates et libres-penseurs d’Orient ne vivraient pas un tel cauchemar si les chiites de Téhéran et les sunnites d’Arabie Saoudite ne se tiraient pas systématiquement la bourre pour se poser en leaders de l’islam politique.
Et surtout si les gouvernements des pays musulmans n’instrumentalisaient pas l’islam pour faire taire toute opposition.
5) Le blasphème est-il un art ?
Le propre d’un blasphème n’est pas de révolutionner l’histoire de la création ou de la réflexion, mais de tester le niveau de liberté dans la parole vis-à-vis du sacré. Il n’est pas révélateur des qualités intellectuelles ou artistiques d’un écrivain, d’un peintre, d’un cinéaste ou d’un caricaturiste, mais du degré de tolérance d’une société à la critique.
ON NE DEFEND PAS UN BLASPHEMATEUR PARCE QU’IL EST BRILLANT OU DRÔLE, MAIS PARCE QUE CEUX QUI L’ATTAQUENT SONT INJUSTES ET DANGEREUX.
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