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Bouquin-quizz n°49

Publié par le 30 juin 2016

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de…
Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

 

Cependant, la hideuse puanteur et le gémissement lugubre étaient tellement plus nets dans cette vaste salle souterraine que le médecin fut contraint de leur accorder toute son attention.
Ayant projeté la lumière de sa lampe sur le sol, il s’aperçut que, par endroits, à intervalles irréguliers, certaines dalles étaient percées de petits trous. Une longue échelle, négligemment posée sur le sol, semblait complètement imprégnée de l’affreuse odeur qui régnait partout.
Soudain, Willett constata que l’odeur et le bruit paraissaient plus forts immédiatement au-dessus des dalles percées de trous, comme si elles eussent été des trappes donnant accès à de plus grandes profondeurs.

Il s’agenouilla près de l’une d’elles, et parvint à l’ébranler, non sans difficulté.
Aussitôt le gémissement devint plus aigu, et il lui fallut rassembler tout son courage pour continuer à soulever la lourde pierre. Une puanteur innommable monta des entrailles de la terre, et le médecin se sentit pris de vertige tandis qu’il dirigeait la clarté de sa lampe vers l’ouverture noire.

Si Willett avait espéré découvrir un escalier menant à un gouffre d’abomination suprême, il dut être fort déçu car il vit seulement la paroi de brique d’un puits cylindrique, de un mètre et demi de diamètre, dépourvu de tout moyen de descente.
Pendant que le faisceau lumineux s’abaissait vers le fond du puits, le gémissement se transforma en une série de cris horribles, accompagnés d’un bruit d’escalade vaine et de chute visqueuse.

L’explorateur se mit à trembler, refusant même d’imaginer quelle abominable créature pouvait bien s’embusquer dans cet abîme. Mais un instant plus tard, il rassembla le courage nécessaire pour se pencher par-dessus la margelle grossière, tenant sa lampe à bout de bras.
Tout d’abord, il ne put discerner rien d’autre que les parois gluantes et couvertes de mousse ; ensuite, il aperçut une forme noire en train de bondir maladroitement au fond de l’étroit cylindre, à vingt-cinq pieds environ au-dessous de lui. La lampe trembla dans sa main, mais il regarda de nouveau pour mieux voir quelle était la créature vivante emmurée dans les ténèbres de sa prison où elle mourait de faim depuis le départ de Charles Ward, un mois auparavant.

A n’en pas douter, il devait y en avoir un grand nombre au fond des autres puits recouverts de dalles perforées, où elles n’avaient pas la place de s’étendre, et où elles avaient dû rester tapies en bondissant faiblement de temps à autre pendant ces quatre semaines abominables.

Mais Marinus Bicknell Willett se repentit d’avoir regardé une deuxième fois, car, depuis lors, il n’a plus jamais été le même.
Il est difficile d’expliquer comment la seule vue d’un objet tangible, aux dimensions mesurables, a pu bouleverser à ce point un homme habitué au spectacle macabre des salles de dissection. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que certaines formes ou entités détiennent un pouvoir de suggestion qui fait entrevoir d’innommables réalités au-delà du monde illusoire où nous nous enfermons.

De toute évidence, Willett aperçut une entité de ce genre, car, pendant quelques instants, il fut frappé d’une démence frénétique.
Il lâcha sa lampe et ne prêta pas la moindre attention au grincement des dents qui se refermèrent sur elle au fond du puits. Il se mit à hurler d’une voix suraiguë, méconnaissable, et, incapable de se relever, il rampa désespérément sur les dalles humides d’où montaient de faibles cris qui répondaient aux siens.
Il déchira ses mains sur les pierres rugueuses et se meurtrit frénétiquement la tête contre les piliers, mais il poursuivit sa route.
Ensuite, il reprit lentement conscience et se boucha les oreilles pour ne plus entendre le concert de gémissements lugubres qui avait succédé aux cris. Ruisselant de sueur, dépourvu de tout moyen d’éclairage, accablé par le souvenir d’une effroyable vision, il songeait avec horreur que des douzaines de ces créatures terrifiantes vivaient encore au-dessous de lui, et qu’un puits était resté ouvert…

Par la suite, il refusa toujours de dire exactement ce qu’il avait vu.
L’entité prisonnière ressemblait à certaines sculptures de l’autel. De toute évidence, elle n’avait pas été créée par la nature, car elle n’était pas finie et nul ne saurait décrire ses proportions anormales.
Selon Willett, elle représentait le type de ces formes que Ward avait suscitées à partir de sels imparfaits.
Sur le moment, le médecin se rappela une phrase de la lettre de Jedediah Horn adressée à Joseph Curwen :

« A n’en point douter, il n’y avait RIEN que de très ABOMINABLE dans ce que H. a fait surgir en partant de ce qu’il n’avait pu réunir dans sa totalité. »

Puis il lui revint en mémoire les rumeurs concernant le cadavre calciné trouvé dans les champs une semaine après l’attaque de la ferme de Joseph Curwen. Charles Ward avait raconté à Willett que, selon le vieux Slocum, ce n’était pas un cadavre d’homme, et qu’il ne ressemblait à aucun animal connu des habitants de Pawtuxet.

Ces mots résonnaient dans sa tête tandis qu’il se balançait de droite et de gauche, accroupi sur les dalles de pierre. Il essaya de les chasser en récitant le Notre Père ; puis il se surprit à répéter la double formule qu’il venait de découvrir dans la bibliothèque souterraine.

« OGTHROD AÏ’F — EE’H YOG–SOTHOTH ’NGAH’NG — AI’Y ZHRO… »

Cela sembla le calmer, et il parvint à se mettre sur pied en chancelant.
Déplorant amèrement la perte de sa lampe, il regarda avec attention tout autour de lui dans l’espoir de discerner une faible lueur provenant de la bibliothèque. Au bout d’un certain temps, il crut apercevoir dans le lointain une vague clarté, et se traîna à quatre pattes dans cette direction avec une prudence terrifiée, craignant sans cesse de se cogner contre un pilier ou de tomber dans le puits ouvert.

A un moment donné, il toucha la dalle perforée de trous qu’il avait enlevée, et une angoisse atroce s’empara de lui. Mais il eut la chance d’éviter l’ouverture béante, d’où aucun bruit ne montait plus à présent : la créature qui avait tenté de broyer sa lampe ne pouvait plus se faire entendre…

A plusieurs reprises, au cours de sa lente progression, il vit diminuer la lueur qui lui servait de guide, et il comprit que les lampes et les bougies allumées par ses soins devaient s’éteindre l’une après l’autre.
L’idée d’être perdu au cœur des ténèbres de ce labyrinthe cauchemardesque le poussa à se relever et à courir ; car, la dernière lumière une fois disparue, il ne lui resterait plus qu’un seul espoir de survivre : l’arrivée des secours que pourrait lui envoyer Ward le Vieux au bout d’un temps plus ou moins long.

Bientôt, il atteignit le couloir et vit que la lueur provenait d’une porte à sa droite.
Un instant plus tard, il retrouvait la bibliothèque secrète de Charles Ward et regardait mourir la dernière lampe qui venait d’assurer son salut.

 

(A suivre)

 

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