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Zykë L’Aventure – Le film (20)

Publié par le 15 septembre 2018

 

Adapté du roman Zykë L’Aventure, Thierry Poncet, éditions Taurnada.

 

EXT Jour, Bini Pati Nou

GP sur les mains rugueuses de Miguel égalisant les angles d’une pierre au moyen de sa massette : ting ting ting ting…

 

INT Jour, bureau

Zykë et Msieu Poncet admirent le lever du soleil devant la fenêtre ouverte. Msieu Poncet boit du café. Zykë finit de rouler un joint. D’en bas leur parvient le ting ting du travail de Miguel.

Zykë (ravi) :
Tu entends ce bruit ? C’est rassurant. C’est le bruit du travail qui s’accomplit. Tu comprends ?

Msieu Poncet :
Je comprends.

Zykë (allumant le pétard) :
Il est vraiment excellent, ce hash.

Msieu Poncet :
Les pêcheurs menorquis rencontrent les pêcheurs marocains au large, ils font leurs petites affaires.

Zykë :
Décidément, c’est le dieu des écrivains qui nous a amené ici…

Ils s’éloignent de la fenêtre et vont se poster devant le grand tableau de contreplaqué, maintenant recouvert de feuillets vierges scotchés.

Zykë :
On leur a donné Oro. Un triomphe. Hachette s’en met plein les fouilles mais, comme l’édition est devenue un clapier à  trous du cul, ils se disent : « on est tombés sur une grosse brute qui a écrit ça sans réfléchir, un simplet des tropiques qui a trouvé la formule magique dans une pochette surprise »…

Msieu Poncet laisse échapper un gloussement, s’attire un coup d’œil furieux, la ferme, rend le tarpé.

Zykë :
Bien… On pond Fièvres. Un classique. Tarzan, le cimetière des éléphants, la totale. Grand succès. Publié en Livre de Poche et tout le bordel. Résultat : « Ben oui, forcément, c’est de l’aventure, ça plait à certains »….

Pause. La diatribe surprend Msieu Poncet qui a légèrement l’air d’un écolier con, planté devant le tableau. Zykë l’observe, lui tend le joint.

Zykë :
Tu me suis ?

Msieu Poncet :
Oh, euh… Oui… Parfaitement…

Zykë reprend d’autorité le joint.

Zykë :
La vérité, c’est que ces schmocks ne connaissent rien d’autre que leur putain de quartier Saint-Germain. Le malheur, c’est que nous, on ne peut pas se passer d’eux. Pour qu’ils nous admettent dans leur petit monde, il faut qu’on devienne des écrivains parisiens. Voilà ce qu’on va faire, m’sieu Poncet… (Il pose la main sur le premier feuillet du tableau). Écris « Paris », s’il te plaît.

Msieu Poncet s’exécute. Zykë plaque la main sur le feuillet voisin.

Zykë (dictant) :
« Écrivain »

 

EXT Jour, parc.

Plein soleil de midi. Miguel, coiffé de son mouchoir noué aux quatre coins, égalise ses pierres : ting ting ting ting…

 

INT Jour, bureau

Plan sur la main de Msieu Poncet qui écrit sur un feuillet du tableau : « meurtre concierge ». Le plan s’élargit, montrant le tableau recouvert de texte. On peut lire les titres : « Fernand Duclos », « Raymond Boudin, boucher », « monsieur Petiot, proprio », « Jean-Claude Pétasse, éditeur ».

Vue d’ensemble du bureau. Désordre. Quantité de cendriers pleins et de tasses vides. Zykë arpente, fumant comme une cheminée. Msieu Poncet, assis, prend des notes.

Zykë (déclamant) :
La concierge est la représentante de la tyrannie ! La concierge est toujours là ! La concierge ne dort jamais ! Nous respectons les concierges parce qu’elles sont dangereuses ! Les concierges sont les instruments du pouvoir !

Pause. Les deux hommes rigolent, heureux.

Zykë (reprenant plus calmement) :
Maintenant, tu reviens à Fernand Duclos. « Ma concierge était l’espionne d’un être détestable, monsieur, euh… (il consulte le tableau)… Petiot. Elle était l’âme damnée de ce petit homme pète-sec qui me… euh… foutait la trouille ?

Msieu Poncet (proposant) :
M’épouvantait ? Me terrifiait ?

Zykë :
Me terrifiait. Il avait sur moi le pouvoir. Il pouvait me mettre à la porte. M’envoyer dans le monde extérieur ! Me livrer à l’enfer de la rue ! L’enfer des gens !

Zykë gagne à grands pas le tableau, s’empare d’un marker et écris en gros : « Paranoïa », mot qu’il entoure plusieurs fois.

Zykë :
Tu sais ce que c’est, ça ?

Msieu Poncet :
C’est le titre.

Zykë :
Msieu Poncet, un jour, il faudra que je pense à te filer une médaille !

 

INT Jour, bureau

Msieu Poncet tape à la machine à un rythme d’enfer. Assis dans son fauteuil, Zykë lit et relit les feuillets déjà rédigés, le sourire aux lèvres.

 

EXT Jour, parc

Miguel, à califourchon sur son mur, ses outils devant lui, mange du pain et de la sobresada et boit à un litron de terre cuite.

 

INT Jour, bureau

Une cafetière électrique crachote. Le bureau est illuminé de la lumière dorée du couchant. Zykë arpente. Msieu Poncet note.

Zykë (inspiré) :
Comment arrive-t-on à supporter tant d’agressions ? Tant de gens ? Ils se bousculent sur les trottoirs ! Ils se massent comme des chèvres aux passages cloutés ! Ils s’agglutinent comme des insectes devant la pâtisserie… (à Msieu Poncet) : tu trouveras un nom de pâtisserie… ils enfournent dans leurs mandibules des… (à Msieu Poncet) : tu mettras un gâteau bien dégueulasse… Ils se battent sournoisement devant les bus pour monter les premiers et trouver une place assise ! Ce sont des rats et des rates ! C’est à celui qui retrouvera le plus tôt le chemin de sa cage ! rongeurs échappés de bureaux minables ! Je hais leur activité ! Plus que tout, j’exècre leurs expressions satisfaites et bien nourries !

 

INT Nuit

Plan sur les mains de Msieu Poncet qui tapent sur le clavier de sa machine électronique : kilik kilik kilik kilik…

La frappe s’arrête. Msieu Poncet se redresse le dos, grimace, prend une inspiration et se repenche sur le clavier. Kilik kilik kilik…

 

EXT Nuit, parc

Plan sur les mains de Miguel qui égalisent une pierre : ting ting ting…

Miguel s’arrête. Isolé de la nuit dans la lumière d’une lampe à gaz, il se redresse le dos, se torche le front, soupire un juron catalan et se remet à l’ouvrage. Ting ting ting…

 

INT Jour, bureau

Msieu Poncet boit du café devant la fenêtre qu’illumine le soleil levant. Il a la tête qu’on lui connaît en période de travail, mal rasé, yeux rougis. Zykë entre d’un pas de conquérant impatient.

Zykë :
Ça va ? T’es fatigué ?

Msieu Poncet :
Tu rigoles. Je suis super content.

Zykë :
Bien. Aujourd’hui, on enterre la concierge, qu’elle nous fasse plus chier, et on tue le boucher.

Msieu Poncet :
Raymond Boudin.

Zykë :
Boudin, oui. Il faut que ce soit très comique. Du gros comique troupier. Comme dans du vieux théâtre.

Msieu Poncet :
Okay.

Zykë :
On va construire les scènes, et après ce sera à toi de jouer. Tu te laisses aller, d’accord. Tu mets le maximum.

Msieu Poncet (ravi) :
Tu m’étonnes !

 

EXT / INT jour – nuit

Plan courts, musique.

Les feuillets du tableau entièrement recouverts de mots. Msieu Poncet les arrache et les remplace. Zykë arpente en déclamant tandis que Msieu Poncet prend note. Msieu Poncet au clavier s’arrête de taper et lève les deux poings, enthousiaste. Dans le parc, Miguel travaille à son mur, lequel s’allonge à travers la garrigue. Zykë médite devant les massifs de fleurs. Msieu Poncet tape tandis que Zykë lit des feuillets pris sur le tas ; Zykë éclate de rire ; Msieu Poncet cesse de taper, interroge du regard ; Zykë lit le passage à voix haute ; Ils hochent tous deux la tête d’un air satisfait. Dans le parc, à côté du mur, Miguel explique quelque chose à Zykë qui lui pose une main amicale et approbatrice sur l’épaule.

 

INT Jour, bureau

Zykë, assis, achève de lire un feuillet. Par la fenêtre ouverte parvient le ting ting ting de Miguel. Zykë pose le feuillet, se lève et commence à arpenter, mélangeant la matière d’un joint.

Zykë :
Maintenant, on va passer à l’éditeur.

Msieu Poncet :
Jean-Claude Pétasse.

Zykë (ricanant) :
Pétasse. C’est ça… Alors lui, on va se le faire… On va la lui mettre à fond… Il ne faut qu’il ressemble à notre schmock, alors on va le faire gros. Un gros chat, tu vois ?

Msieu Poncet :
Barbu ?

Zykë :
Oui. La barbe bien taillée, poivre et sel, très bien… Lui, c’est un mondain, hein… Et hypocrite, au maximum hypocrite… Un mondain hypocrite… Il parle comme ça… Il parle…

Il finit de rouler le joint, l’allume et commence à jouer.

Zykë :
Aaaaah, mon cher Duclos, j’envie votre jeunesse. Ah, être un jeune auteur pauvre, habité par la littérature ! Il n’y a rien de plus beau ! S’il n’y avait pas mon travail sacré d’éditeur… L’édition, c’est un sacerdoce, vous savez… Aaaah, Duclos, quel plus grand plaisir, dans la solitude de l’éditeur solitaire, de découvrir un talent qui éclot. Voilà, c’est dit, Duclos, je vous prépare un contrat ! Bon, pour un premier roman, vous n’aurez pas d’à-valoir, bien sûr. Nous avons des impératifs commerciaux, nous autres éditeurs. Moi, c’est la littérature qui m’intéresse, mais la réalité commerciale, que voulez-vous… Allez, je vous donne trois pour cent, et puis non, allez, le talent doit être encouragé, trois et demi pour cent !

 

EXT / INT Jour – nuit

Musique. Plans courts. Msieu Poncet à la machine. Zykë parmi ses fleurs. Miguel à son mur.

 

INT Nuit, bureau

Plan sur le tableau. On peut lire « Meurtre capitaine Lartéguier » et « F pousse à la crise cardiaque ».

Zykë et msieu Poncet, allumés et exultants, jouent une scène comme au théâtre.

Zykë (Lartéguier) :
Vous savez, Duclos, quand on a un Viet entre les pognes, faut pas hésiter. Couik, et plus vite que ça !

Msieu Poncet (Duclos) :
Permettez, Capitaine. Sigmund Freud a établi depuis longtemps que la pulsion de mort est en réalité une pulsion de désir.

Zykë :
Mais, mais, mais… Mais Freud est un Juif !

Msieu Poncet :
Si on devait juger les militaires, ce serait pour des pillages, des vols, des viols, des meurtres, des récidives de meurtre, sans parler de leurs mœurs homosexuelles.

Zykë (tremblant) :
V.. V… Vous êtes devenu fou, Duclos !

Msieu Poncet :
Voilà ce que vous êtes, vous les officiers : des ratés qu’on emploie aux basses besognes. Et en ce qui vous concerne, un raté et un ho-mo-sex-uel !

Zykë porte la main à sa poitrine, fait mine de tomber, se redresse.

Zykë (voix normale) :
On la tient. Tu la notes tout de suite ?

Msieu Poncet (s’asseyant à la machine) :
Pas la peine, je la prends au propre, direct !

 

EXT Jour, parc

Zykë médite devant les fleurs. De la fenêtre du bureau ouverte au-dessus de lui parvient le cliquetis de la machine à écrire.

Miguel s’approche respectueusement, le béret bas.

Miguel:
Señor, por favor ?

Zykë:
Si, mon brave Miguel ?

Miguel (grimaçant, se massant le dos) :
Monsieur, le mur que vous m’avez commandé, à quoi il sert ?

Zykë pose gentiment une paluche seigneuriale sur l’épaule paysanne.

Zykë :
Mon bon Miguel, il y a en ce monde des choses que nul ne peut expliquer !

 

(À suivre)

 

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