Je suis à Phnom Penh, au Cambodge, quand j’apprends sur une chaîne d’information continue australienne, à la télé du bar de l’hôtel, que des élections démocratiques sont organisées en Albanie.
Je repose mon mauvais whisky, envahi d’un sentiment étrange.
A cette même seconde, je sais, au plus profond de moi, que l’Albanie m’appelle.
Depuis dix huit mois, sur des écrans de télé, en divers endroits du monde, j’ai suivi l’évolution du pays de mon père.
Ce pays que je veux mien.
Mon pays.
J’ai vu la chute de la statue d’Enver Hodja, symbole de la fin du régime communiste. Les terribles émeutes qui ont suivi. Les foules en furie qui se sont ruées sur tous les établissements publics, les arsenaux et les usines, pour se livrer à un pillage absurde et total.
Su que les Albanais en masse qui voulaient fuir leur terre. Que des vagues humaines prenaient d’assaut les bâtiments des ambassades européennes, dans l’espoir d’obliger les diplomates à distribuer visas et asiles politiques.
Observé les photos des embarcations les plus invraisemblable et des cargos de cauchemar, à bout de souffle, bourrés de monde de la proue à la poupe, qui, ayant traversé l’Adriatique, ont forcé l’entrée des ports italiens.
Il y a toujours des troubles après les grands bouleversements politiques, sous toutes les latitudes, quelque soit le pouvoir renversé.
Puis les peuples retrouvent le calme. Les citoyens retroussent leurs manches et entreprennent de reconstruire leur maison.
L’Albanie en est là.
Et pour moi, c’est le moment.
Ce petit bout des Balkans qui m’a légué ce nom bizarre, à sonorité de coup de serpe, cet endroit maudit par mon père qui s’en est évadé il y a plus d’un demi-siècle, cette forteresse collectiviste que j’ai réussi à visiter trois ans plus tôt, pendant un voyage surréaliste, cette terre que j’appelle depuis si longtemps de mes voeux est enfin prête à m’accueillir.
Alors je règle mon scotch au petit noiraud de serveur et je vais boucler mon sac.
Arrivé en Europe, j’embarque sur le vol Rome-Tirana d’Al-Italia.
J’ai volé dans tous les coins du monde, même dans le tiers-monde le plus pauvre. Je suis monté à bord d’appareils incroyables aux sièges cassés, sans porte à la cabine des toilettes.
Jamais je n’ai vu un tel bordel.
Dès le décollage, tous les passagers se lèvent et se mettent à picoler en braillant, s’interpellant d’un bout à l’autre de la cabine.
Les types se plantent dans les allées avec leurs copains et refusent de s’asseoir à leur place, en se foutant des cris du personnel de bord, empêché de faire le service.
On se croirait dans un bar de supporters de foot, après une victoire de l’équipe.
Même des types menottés, renvoyés par l’Italie dans leur pays entre deux carabinieri, se marrent ouvertement.
Par le hublot, je découvre les verrues du littoral albanais, ces milliers de bunkers gris qui défigurent un des plus beaux rivages du monde.
A peine les roues de l’avion ont-elles touché le tarmac que tous les passagers se lèvent et se massent aux portes pour être les premiers à sortir.
Les hôtesses italiennes ont beau hurler leur réprobation, elles sont complètement dépassées par la horde.
Dans le hall de l’aéroport, c’est la folie.
Pendant que ça se bouscule et braille dans tous les coins, je paye mon visa à un fonctionnaire qui me fait payer la taxe prévue, tamponne mon passeport et fourre mes billets directement dans sa poche.
Je me fraye un passage vers la sortie quand quelqu’un me hèle.
– Cizia !… Qu’est-ce que tu fous là ?
Lui, c’est Merkur, un Français d’origine albanaise que j’ai rencontré à Paris. Un sympathique truand notoire, salopard, maquereau et racketteur.
Je le suis dans le bar bondé et bruyant. On s’envoie trois rakis coup sur coup et il m’explique qu’un de ses cousins, bien placé dans l’administration des transports, l’a fait bombarder chef des douanes.
– Je suis au service de mon pays, se rengorge-t-il.
– Et ça va ?
– Le pied, je me gave !
Ça en a tout l’air : il a des bagues en or, une montre suisse et, au cou, un pendentif de mauvais goût mais très gros.
– Demande-moi si tu veux quelque chose, me propose-t-il. Filles ? Coke ? Héro ?
– Rien, je te remercie.
– Haschich ? Herbe ? insiste-t-il alors que je m’éloigne.
– Non…
– Ordinateur ? Téléphone portable ? Lecteur CD ?…
Mon taxi est une Mercedes du dernier cri immatriculée en Autriche.
A peine suis-je monté à bord que le chauffeur me propose de me vendre exactement la même, fraîchement volée, pour moins de cinq mille dollars.
Tirana est aussi laide qu’avant, avec ses artères rectilignes et ses bâtiments minables hérités du socialisme, mais les signes de la démocratie et de l’adhésion générale au mode de vie occidental libre et heureux sont partout.
Des forêts de paraboles de télévision ont poussé sur les immeubles, en bouquets sur les toits et accrochées à chaque fenêtre.
Au pied des immeubles grisâtres, des dizaines de boutiques offrent à profusion ce que le monde capitaliste offre de plus précieux : des blue-jeans, des gadgets électroniques, de l’électroménager et des télés.
L’avenue Dëshmoret e Kombit que j’ai connue déserte, à peine longée de loin en loin par une jeep de flics, est maintenant bloquée par un embouteillage permanent, avec nuage de gaz d’échappement et vacarme de klaxons.
Toutes les voitures sont des modèles de luxe, des berlines allemandes et des 4×4 plus énormes les uns que les autres.
Et ces beaux véhicules flambant neufs, brillant de tous leurs chromes, se frayent un passage au milieu des énormes tas d’ordures en vrac et de sacs plastique qui bordent les rues, bouffant les trottoirs.
Il n’y a plus de voirie d’état et personne dans cette ville saisie de frénésie ne songe à ramasser les poubelles.
A plusieurs reprises, des pays européens, émus de la situation, ont fait don aux nouveaux démocrates au pouvoir de camions à ordures, mais nul ne sait où ils ont disparu ni à qui ils ont été revendus.
Tous les vingt mètres, il y a un bar. Les terrasses sont bondées de monde. Les sonos dégueulent du hard rock, volume à fond…
One, two, three, bienvenue dans la capitale de son Excellence démocratique nouvellement élue, le président Sali Berisha !
Ma première visite est pour Ismaïl Kadare, le grand écrivain albanais qui m’a fait obtenir un visa spécial, il y a trois ans.
Il vit dans un imeuble-clapier sinistre où il occupe un immense appartement encombré de cartons.
Elena, son épouse, est déjà installée à Paris et il s’apprête à la rejoindre avec beaucoup d’impatience.
– Tu es fou, Cizia, me dit-il, avec son accent guttural, tous les Albanais veulent fuir et toi, tu viens t’installer !
– Je veux aider mon peuple, Ismaïl.
– C’est bien ce que je dis : tu es fou.
Devant un café, il me dresse un tableau catastrophique de la situation.
– L’économie n’existe plus, mon pauvre Cizia, nous ne produisons plus rien…
Un expert financier ou quelqu’un qui avait le sens de l’humour a convaincu ses copains démocrates qu’il fallait raser le système industriel hérité du communisme pour repartir sur des nouvelles bases.
Sur la foi de ce principe, les nouveaux dirigeants ont démantelé les rares entreprises qui fonctionnaient encore, l’extraction minière et la fabrication d’armes. Résultat : il n’y a plus une seule usine debout dans tout le pays.
– Tout le monde est corrompu, poursuit Ismaïl de sa voix lugubre. Nous, les intellectuels, n’avons plus aucun pouvoir, on, ne nous écoute plus…
En me raccompagnant à la porte, il me pose la main sur l’avant-bras.
– Fais attention, Cizia, Tirana est devenue très dangereuse.
je pose ma douce main sur son épaule de prix Nobel de littérature.
– J’ai l’habitude, Ismaïl. Ska problem (pas de problèmes) !
Le lendemain, je me trouve une chambre spacieuse chez une grand-mère turque, Halla, à proximité du centre.
Ce n’est pas luxueux mais c’est humain. Le seul vrai inconfort, c’est le manque d’eau et d’électricité.
Les Albanais s’étant rués sur l’électroménager, les appareils à musique et les télés, les vieilles installations électriques de l’état n’ont plus assez de puissance. Les centrales disjonctent et la capitale est privée de jus plusieurs fois par jour – un comble quand on sait que le ministre de l’énergie vend de l’électricité albanaise aux pays voisins.
Pour l’eau, il faut faire ses réserves le matin ou le soir, pendant deux heures. Le reste du temps, les robinets restent secs.
Dans ma rue, j’ai pour voisin le nouveau chef de l’état, Sali Berisha. Pour montrer combien son cœur est resté simple, il a conservé son ancien appartement et refusé de s’installer dans le palais présidentiel.
A toute heure du jour et de la nuit, le quartier est bouleversé par les convois de limousines et de voitures de flics qui véhiculent ce grand démocrate, sans aucun respect pour les habitants.
Je me plonge sans tarder dans l’étude du shqiptar, la langue albanaise.
J’ai deux professeurs, un journaliste et une jeune étudiante mignonne que je ne contemple qu’avec des yeux de grand frère.
Le shqiptar, c’est une énorme prise de tête. C’est aussi compliqué que le nom le laisse supposer et ça ne ressemble à rien de connu.
Au départ, c’était la langue des Illyriens, la première peuplade qui s’est installée dans cette partie des Balkans, pendant l’antiquité. Elle ne présente aucune ressemblance d’aucune sorte avec aucune autre langue d’Europe, latine ou non.
Les lettres se prononcent d’une façon particulière et, pour corser la difficulté, une ribambelle d’accents viennent modifier le son.
Les règles des accords sont d’une complexité à rebuter le plus zélé des linguistes. Les déclinaisons sont non seulement compliquées, elles présentent tellement d’exceptions qu’il n’y a pas de règles. Certains mots changent du tout au tout, de la première à la dernière lettre, selon leur place dans la phrase…
Je convainc rapidement mes professeurs de cantonner leur enseignement à la langue orale moderne, celle qu’on parle dans la rue, et de m’économiser au maximum les extravagances grammaticales.
Je ne sais pas si on peut un jour s’habituer aux sonorités du shqiptar, mais j’essaie. Je regarde assidûment la triste radio-télévision albanaise, en m’amusant à traduire au passage les paroles des commentateurs.
Ce qui me rapporte le plaisir quotidien d’entendre les conneries de son Excellence Sali Berisha, qui vient répéter chaque jour à ses concitoyens que l’Albanie est le pays le plus développé du monde, jalousé par toutes les autres démocraties.
Il est fou, ce type.
Ou bien c’est un grand salopard.
Pas besoin d’être un grand expert pour comprendre que, dans son Albanie démocratique, le mot d’intégrité a disparu du vocabulaire.
Les Aigles farouches et solitaires, jaloux de leur indépendance, se sont unis comme un seul homme sous la bannière du fric à prendre.
Que gagne le plus malin et le plus vicieux !
Les médecins annoncent le montant de leurs honoraires avant d’intervenir. Les malades qui ne sont pas solvables n’ont qu’à mourir. Les pharmaciens revendent n’importe quels stocks de médicaments, y compris et surtout les plus périmés, qui ne leur coûtent pas cher. Les professeurs font payer leurs cours et monnayent les bons résultats aux examens. Le moindre formulaire ne s’obtient qu’en lâchant un billet au bienheureux fonctionnaire qui a le pouvoir de le délivrer.
Tout le pays s’est mis hors la loi.
C’est la nation entière qui, après cinquante années de l’un des communismes les plus durs de la planète, est désormais au service du capitalisme le plus impitoyable.
Comme dit je ne sais plus quel comique : étonnant, non ?
Chaque matin, je me rends au bureau de la Ligue des Ecrivains.
C’est une sorte de club à l’ancienne mode soviétique, une organisation d’état au sein de laquelle étaient regroupés les écrivains officiels. C’est à dire ceux qui, placés devant le choix d’être fusillés, de passer leur vie au bagne ou de mettre leur plume au service du régime, optaient pour cette dernière solution.
Le directeur de l’endroit, Xhevaïr Spahiu, est un poète révolutionnaire, miraculé de l’ancien régime.
Même aux pires moments de la dictature, il n’a jamais su fermer sa grande gueule. Ses poèmes contestataires auraient valu à n’importe qui douze balles dans la peau. Nul ne sait comment il a réussi à passer au travers.
Ayant été écrivain moi-même, dans une autre vie, et je prends plaisir à côtoyer mes ex-confrères.
Je suis impressionné par leur érudition, le nombre de langues qu’ils pratiquent et l’étendue immense de leurs connaissances littéraires.
Pour me faire plaisir, ils déclament à voix haute des longues tirades en grec ou en russe signées d’auteurs sans doute très forts mais dont j’ignorais jusque là l’existence.
Ils n’ont eu que ça à faire, pendant la dictature, serrer les fesses et se cultiver.
L’après-midi, pour mes affaires, je plonge dans un décor très différent.
Le Las-Vegas est un grand café moderne de l’avenue Dëshmoret i Kombit ouvert par un Albanais de New York.
C’est un repaire de malfrats.
Presque toutes les tables y sont occupées en permanence par des caïds armés, tapageurs et agressifs, entourés de légions de gardes du corps.
J’aime bien l’ambiance.
L’Albanie n’a ouvert ses frontières que depuis quelques mois, mais déjà les maffieux albanais ont fait leur apparition fracassante en Europe et aux USA, sans aucun respect pour les règles des milieux marginaux, en éliminant sans pitié tous les obstacles.
Ils ont produit leurs premiers capitaux dans la prostitution, en couvrant de filles esclaves les trottoirs de toutes les capitales.
Pourtant, ce n’est pas dans la tradition albanaise de vendre les femmes. En bon pays méditerranéen, la terre des aigles a été de tout temps un patriarcat à l’ancienne qui protégeait la virginité des filles, glorifiait le rôle de la mère et observait la plus grande pudeur sur la question des relations intimes.
Pour se mettre à brader le cul de leurs sœurs et de leurs filles, il faut que mes compatriotes soient devenus fous.
Ou bien particulièrement impitoyables.
Ou les deux.
Une deuxième vague s’est mise dans la dope.
Les traditionalistes se sont mis en cheville avec les Turcs, des voisins, pour développer le commerce de l’héroïne. Les modernes sont déjà en contact avec les Colombiens des cartels pour transformer l’Albanie en plaque tournante de la cocaïne.
D’autres possèdent des flottilles de bateaux qui transportent chaque nuit des cargaisons d’immigrants clandestins et de marchandises de contrebande en Italie.
Après un an de démocratie, il n’y a pas un secteur de l’économie parallèle où les bandits albanais ne se soient pas imposés, avec une brutalité et une sauvagerie qui impose le respect à toutes les mafias du monde occidental.
Moi, je suis venu aider ce pays.
Je n’ai nulle vocation à devenir un gangster albanais de plus.
Dans le charmant décor du Las-Vegas, je me contente de vaquer à mes petits business. Je rachète des bijoux, des objets d’art et des antiquités qui sont restées cachées pendant les cinquante de dictature et je les place auprès de contacts dans diverses places européennes.
Rien de malhonnête, un simple exercice d’achat-revente.
Il faut bien que je survive et que je finance mes premières actions…
C’est au Las-Vegas que je rencontre Cerciz, l’aîné de mes cousins.
J’ai déjà croisé ce costaud au cou de taureau qui me ressemble un peu lors de ma première visite, alors qu’il m’avait accosté en secret dans la rue et qu’il m’avait demandé à quelle adresse il pourrait me contacter en France.
Je suis content de le voir.
Pas lui.
J’apprends que trois de mes cousins ont participé à l’odyssée du Durrës, le cargo chargé de quinze mille personnes qui a forcé le port de Barri, forçant les Italiens à lui porter secours.
Mes cousins se sont démerdés pour traverser l’Italie, puis la moitié de la France pour arriver à l’adresse que j’avais écrite sur un bout de papier.
Et ils ont trouvé porte close.
J’ai beau expliquer que j’étais au Cambodge et que je suis désolé, ça ne passe pas.
Cerciz et les autres membres de la tribu qu’il daigne me présenter montrent déjà des signes de prospérité financière.
Avec dans l’idée de profiter de ma nationalité française, ils me proposent certains plans, tous très illégaux, tous impliquant l’usage d’une violence extrême.
J’essaie d’expliquer à Cerciz, avec ménagements, qu’au-delà de l’Adriatique, il y a des lois, des juges et des prisons.
Il se raidit, ses épaules de taureau tendues, le cou plus épais que jamais, et me toise, une expression de rage froide au fond des yeux.
– J’en ai rien à foutre. J’ai fait huit ans de bagne. On m’a volé ma vie, maintenant je profite !
Il me propose encore :
– Alors, tu veux bosser avec moi ?
– Non.
Il me tourne le dos et nos relations s’arrêtent là.
On se croise de temps en temps, on se salue, on échange parfois un raki, mais rien de plus.
Bientôt, ce type que j’ai connu habillé en clodo arbore des costumes de gangster qui réussit, exhibe des grosses liasses de billets et ne se déplace plus qu’à bord d’une grosse berline, avec chauffeur et gardes du corps.
Le shqiptar n’a plus de secret pour moi, ce qui me permet de lire les journaux chaque matin.
A longueur de colonnes, ce ne sont que scandales, détournements de fonds et autres arnaques au plus haut sommet de cet état fantoche.
Tous les pays d’Europe, terrorisés par l’afflux des travailleurs clandestins, vomissent des sommes inimaginables aux dirigeants pour financer la lutte contre les trafiquants albanais.
Ça se termine toujours en scandale.
Untel, ministre, s’est mis un million de dollars dans la poche. Un autre, deux fois ministre, deux fois un million de dollars. Trois jours plus tard, encore un autre, encore plus malin, a pris dix fois un million de dollars.
Aucun de ses héros de la démocratie ne se pend de honte, n’est foutu en prison, ni même ne démissionne.
Au-delà d’un certain chiffre, être traité publiquement de porcs par la presse nationale ne dérange plus ces messieurs.
La violence augmente chaque jour.
Des gangs se disputent le contrôle des quartiers. Dans ceux de Rruges bardhum et Rruges sali atdemi, la concurrence tourne à la guerre, avec des fusillades en pleine rue, au milieu de la journée.
Les flics ne font rien pour arrêter les coupables, quand ils n’appartiennent pas à l’un des gangs.
Les meurtres les plus crapuleux deviennent monnaie courante.
C’est en lisant le journal que j’apprends la recrudescence des crimes de vengeance.
Et ça, ça m’intéresse.
Tout autour de la Méditerranée, on cultive la loi du talion et la vendetta.
En Albanie, c’est spécial. La vengeance est démesurée. Pendant les cinq siècles d’occupation turque, l’identité albanaise a survécu au travers d’un code secret, le Kanoun, recueil de toutes les règles de vie ancestrales.
Un des chapitres du Kanoun codifie les rites de la vendetta albanaise.
C’est un texte sauvage, dont le principal effet est de transmettre les conflits de génération en génération, chaque famille se tirant dessus à tour de rôle pendant des décennies, dans un cycle du sang qui ne s’arrête jamais.
Je reconnais là une de mes racines.
Si mon père ne nous parlait jamais de l’Albanie, la règle d’un œil pour un œil était un principe de base de son éducation.
Une des seules bonnes initiatives d’Enver Hodja, en 1945, avait été de geler toutes les vengeances en cours.
Pour éradiquer les pratiques barbares du Kanoun, ce fou, à son habitude n’y est pas allé de main morte. Soit il a fait fusiller le coupable et la totalité de sa famille, soit il a carrément déporté toute la population du village et fait raser celui-ci.
Depuis l’avènement de la démocratie, les vengeurs se sont réveillés.
Des types assassinent d’autres types, qu’ils n’ont probablement jamais vu, en paiement d’une offense vieille de plusieurs décennies.
Ils sont fous, mes compatriotes !
(A suivre)
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