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Sur les traces de Cizia Zykë 02

Publié par le 9 octobre 2021

 

David, du Costa Rica, sur les traces de Zykë, sur les lieux mêmes où s’est déroulée l’aventure d’Oro, continue de m’écrire.
Dit autrement : il continue de bosser à ma place.
Et ce n’est pas moi qui vais l’en empêcher, potesses et poteaux !…

Eh amigo,
J’ai cherché à t’appeler sur ton tel mais dans les montagnes, c’est chaud.
Ça fait super plaisir d’avoir de tes nouvelles aussi. Ravi que tu ne lâches rien pour le film. Un jour, c’est certain. En attendant, j’espère que tu as la forme.
Pour mon texte, je t’autorise bien sûr à le publier. J’en profite pour t’en renvoyer un. J’aimerais avoir ton avis, amigo.
Bonne lecture, au plaisir de te revoir.

LES BOCARACAS.

« Mon Dieu ! le pauvre Chato ! Un bocaraca l’a mordu au cou, il y a deux jours. C’était pas joli à voir. Il avait le cou et la figure enflés. On l’a enterré hier.« 
(Cizia Zykë, Oro, 1985, p.56).

Samedi 4 septembre – Cahuita – Costa Rica.

Quatre jours, trois nuits de recherche et quarante deux kilomètres de marche au compteur.
Pour enfin, les trouver !
Ici, on les appelle les Bocaracas. Je les connais sous le nom de Bothriechis schleglii, ou vipère de Schlegel. Ils sont jaunes mais peuvent aussi être verts, gris ou plus rarement roses. La taille adulte est d’environ soixante centimètres. Ce sont des vipères arboricoles dotées d’un venin puissant. Les jeunes ont tendance à être plus près du sol. Les adultes peuvent se cacher dans les toitures des maisons, notamment celles qui sont abandonnées. Mais leur vrai biotope, c’est la jungle.

Encore et toujours, Mel m’a suivi de jour comme de nuit, montrant un réel intérêt à dégoter ces petits bijoux de la nature.
Le parc de Cahuita en dégueule, paraît-il. Après en avoir fait deux fois le tour, on a vite compris qu’on verrait plus de cul à faire bronzette sur la plage que de faune sauvage dans ce parc. On y a crapahuté sur vingt-quatre bornes en deux jours, que ce soit sur les bords de mer, en forêt, en rivière ou encore dans les marécages, et c’est bon, terminé. J’en ai ma dose des escapades pour connard en claquettes.

On est repartis dans la jungle. Et devine quoi ? On les a trouvés !
Ce matin alors qu’on fouinait dans une zone où nous avions déjà délogé un boa constrictor, un jeune mec c’est pointé en vélo et nous a demandé si c’était nous qui cherchions des serpents.
C’est peu surprenant : depuis que nous sommes arrivés ici, les ticos nous voient de jour comme de nuit avec nos crochets à la main. Les guides, ces racketteurs qu’on a pas arrêtés d’envoyer chier ont très largement contribué à notre réputation de chercheurs de reptiles. Pilier de bar oblige…

Rodrigo Je-ne-sais plus-comment habite une casa en tôles sur le bord de la rivière Suarez. Il nous dit que c’est infesté de fers-de-lances chez lui. Il nous propose de le suivre jusque là.
Quand on arrive sur place, je ne suis pas surpris : des bananiers à perte de vue. Comme dans la majorité des bleds hors de la ville, il est impossible de voir où s’arrête la jungle et où commencent les habitations, les deux univers étant plus serrés qu’une paire de couilles dans un calbard.
Les bananeraies sont des nids à saloperies. Le sucre des bananes attire bon nombres d’insectes. Les insectes se font bouffer par les lézards. Les lézards se font bouffer par les serpents.
Ça me rappelle cette histoire de deux français décédés de morsures à la gorge au nord du Queensland en Australie, dans des conditions similaires.

Il nous est impossible d’avancer dans ce bourbier sans machette.
Marcher à l’aveugle ici ou poser sa main où il ne faut pas c’est creuser sa tombe, car les jeunes bocaracas ne sont pas plus gros qu’un crayon mais aussi venimeux que les adultes.
Ma plus grosse crainte au delà de me prendre une toile d’araignée en pleine tronche c’est que l’un d’entre eux me tombe sur la tête entre deux coups de machette.
En plus des fers-de-lances dans les hautes herbes, il y a des serpents corail près de la rivières. Si on y ajoute les araignées à l’affût entre les arbres, je peux aisément dire que trouver cette bestiole ça se mérite.

Le premier que nous avons trouvé était prêt d’une sorte d’ancien lavoir qui avec le temps est devenue une plage privée pour les caïmans. On s’est posés le temps de fumer une clope et il était là, juste sous notre nez. Silencieux, presque invisible, enroulé sur une branche au dessus de la rivière. On aurait dit une pépite d’or trônant dans la verdure.

Rodrigo nous propose de revenir le voir à la tombée de la nuit. Proposition que, connaissant les mœurs nocturnes des reptiles, nous acceptons sans hésiter une seconde.

Faut savoir un truc avec la jungle. La journée, c’est quelque chose à vivre, mais la nuit, quoi qu’on en dise, c’est la chose la plus terrifiante qui soit.
Ça demande beaucoup de sang froid. Le noir est absolu, les bruits sont partout. Tout bouge autour de vous mais rien ou presque n’est visible. On vous observe à chacun de vos pas. Même les sauterelles sont plus proches du kangourou que de l’insecte. Pour peu qu’un crabe ou un crapaud vous saute sur le pied et je vous promets que vous changez de froc.

Mais rien au monde n’est plus existant que cet instant. Rien n’est plus scintillant que le ciel étoilé. La maîtrise de l’émotion et la peur naturelle des éléments qui vous entourent, l’obligation de tenir l’œil vif et aiguisé, sont des sentiments indescriptibles. Et quand enfin, vous trouvez ce que vous êtes venu chercher, que ce soit au dessus de votre tête ou sous votre pied, un sentiment d’existence vous envahit.
À travers la peur, c’est vous que vous trouverez.
C’est ça, vivre la jungle la nuit.

On déloge deux bocaracas adultes dans une maison abandonnée.
Rodrigo aura gagné un billet pour sa petite famille. Il ne nous demandera rien bien sûr. C’est pas comme ces vautours de guides pour touristes. Non, il sera même touché voire gêné par notre geste. C’est bien le minimum que l’on pouvait faire quand on sait que ce môme de vingt-trois ans bosse pour quatre cents euros par mois. Il aura bien mérité sa soirée.
– Vaya con dios, amigos !
– Pura vida…

Sur le chemin de l’hôtel.
– Tu as eu peur ce soir, minou ?
– Je t’avoue, j’étais pas à l’aise.
– …
– Non, en fait j’ai vraiment eu peur.
– Ouais, ça fait toujours un peu bizarre. Se dire que nous avons marché où des animaux potentiellement mortels nous ont observés. Et que nous, bah, on ne les voit pas toujours.
– Oui, c’est…
– Indescriptible ?
– Oui, enfin j’ai pas les mots…
– Dis-toi que tu est chanceuse. Tu vis quelques choses de… de pas commun.
– J’ai eu peur mais ce sentiment de marcher malgré la peur c’est…
– C’est grand ma puce et je suis fière de toi. Je ne connais pas beaucoup de parigote qui l’aurait fait.
– C’est sûr …
– Allez, avoue que tu kiffes.
– Je SURkiffe tu veux dire !
– Tu m’aime toujours ?
– Oh oui je t’aime !!!

(À suivre)


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