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Episode 22: Salut la MALT

Publié par le 13 décembre 2013

 

Salut la MALT

 

Bozo était revenu un peu après l’aube, la démarche vacillante et les yeux en couilles d’hirondelles.
Kim et les fils de Sopak avaient terminé le déchargement de la Marie-Barjo. La cale était presque vide.
On était parés.

Enfermé dans la timonerie, j’examinai le fusil que j’avais acheté à Santiag le voyou.
Un Horstal 27. Fabrication américaine. 7,65.
Il était entièrement revêtu d’une coque de matériau composite ultra-léger. Vert, le plastique. Tout en formes ergonomiques, en vagues et en creux. Un flingue qui avait l’air, au choix, d’un jouet ou de l’arme d’un méchant de science-fiction.
La lunette de visée était dotée d’un intensificateur de lumière qui permettait de distinguer ses cibles même dans la nuit la plus obscure, nimbées dans une bizarre lumière verte.
Un bijou de mort. Le dernier cri dans l’art du sniper.
Il était arrivé au Cambodge dans les bagages d’un contingent australien des Nations-Unies. Seul le dieu des voleurs savait comment il s’était retrouvé dans l’antre d’un maquereau, au cœur des grandes forêts du nord cambodgien… Sans doute qu’au fond d’une caserne de Sidney ou d’Alice Springs, un militaire payait encore pour la faute de s’être laissé dérober son flinguot.

J’aperçus deux des fils de Sopak qui montaient à bord d’une grosse barque chargée de futs à essence vides. Kim était avec eux. Ils s’éloignaient du bord pour rejoindre une zone où l’eau n’était pas une nappe de mazout et de sciure et remplir les futs.
On s’en servirait pour lester la péniche, que son fond arrondi rendait difficile à diriger à vide.
D’habitude, c’était Bang qui se chargeait de cette corvée.
Je hélai Kim.
— Qu’est-ce que tu fous ? Où est Bang ?
— Il va pas bien, me cria-t-il en retour.
— Quoi ?
— C’est son chien, il va crever…

Je gagnai la cagna de Bang, à l’avant, dans l’ancienne cale du treuil. Le trouvai assis au milieu de son hamac, son chien comme un bout de chiffon jaune en travers de ses énormes cuisses.
— Ça va, Bang ?
— Very good, cap’tain.
Je serrai son bras. Ma main était loin de faire le tour de son biceps.
— Et ton chien ?
Ses yeux noirs durcirent. Ses lèvres se plièrent dans une grimace de gamin prêt à éclater en sanglots.
Un gamin de 100 kilos à la tête de pirate oriental.
— Non, fit-il. Lui chien, c’est no good.
— Il est malade ? Tu as besoin de médicaments pour lui ?
Bang soupira et secoua lentement la tête.
— No cap’tain. Lui dog c’est trop vieux. Too old. Lui bientôt c’est dead…

On largua les amarres en milieu de matinée.
Moins d’une demi-heure plus tard, on contourna la passe de sortie. Un éperon qui coupait le courant. Avantage : la végétation qui le couvrait encore masquait dés ce moment le cauchemar de boue que nous venions de quitter.
Salut, MALT City !
Après l’éperon, la Lon-Stung se tordait en cinq courbes serrées.
A la sortie de la quatrième, je confiai la barre à Kim et appelai Marisol.
— Viens me rejoindre sur le pont, s’il te plait !
Quand le bateau pointa à la sortie de la cinquième courbe, ils surgirent devant nous, au loin. Trois pains de sucre aux pointes tronquées, dont le sommet semblait porter la dalle des nuages.
Je tendis le doigt dans leur direction.
— Terre en vue, passagère !
Elle regardait, les bras croisés sur sa poitrine, les cheveux fous dansant dans le vent de notre course.
— Ce sont… ?
— Oui, Marisol, ce sont les Monts-Rouges.

On navigua quelques jours, peinards.
La rivière était étroite, serrée entre ses hautes rives. L’onde, claire, d’un vert laiteux, s’écoulait placidement. De loin en loin, un torrent d’eau blanche tranchait la forêt. Des millions d’oiseaux menaient sarabande de l’aube à la nuit.

J’avais maintenu les tours de garde.
Belle, la zone. Paradisiaque. Apparemment paisible.
Mais dangereuse.
Creusée de mille arroyos, déchiquetée, difficile d’accès, marécageuse, elle était le refuge des derniers Khmers rouges.
Ceux qui avaient refusé de se rendre.
Qui ne savaient rien faire d’autre que guerroyer.
Ceux qui erreraient jusqu’à la mort.

– Bozo, expliquais-je patiemment, ça ne sert à rien de monter la garde si tu es complètement défoncé…
— Bof, tu penses toujours aux embrouilles, capitaine mes c…
— Quoi ?
— Euh… non, rien…

Vigilance ne voulait pas dire paranoïa. La plupart des types errants ne représentaient pas une réelle menace pour la Marie-Barjo. Les bandes ne comptaient en général qu’une demi-douzaine d’individus mal nourris, mal vêtus et mal armés.
Certes, ils étaient bardés de vieux flingues et de Kalachnikovs, mais l’approvisionnement en munitions était un problème constant pour eux.
Il nous était même arrivé d’en croiser, un jour. Un groupe de cinq qui bivouaquaient dans une crique d’arroyo.
On ne s’est pas salués.
Ils ont gardé des visages hostiles pendant qu’on longeait leur campement, mais aucun n’a pris la peine du moindre geste agressif.
Pourquoi gâcher des bonnes balles à 50 cents la pièce sur un petit cargo de tôle épaisse, à l’équipage ostensiblement pourvu d’armes modernes et de chargeurs, susceptible de riposter et de faire très mal ?

– Bozo, putain, si quelqu’un s’approche de nous dans la nuit, comment tu veux l’entendre qi tu as le casque du walkman sur les oreilles ?
— Ça y est, tu penses encore au pire, cap’taine soupir…

En dehors des tours de garde, c’était à peu près quartier libre.
La cale était vide, l’argent dans la caisse.
Le port d’arrivée, chez mon copain Poun le Chinois fou, était proche. On pouvait se détendre et recommencer à rigoler.

Le deuxième matin, le soleil apparut.
Ciel blanc. Lumineux. A faire plisser les yeux.
Pour la première fois depuis des semaines, non seulement il ne pleuvait pas, mais il n’allait pas pleuvoir.
— Tu es sûr ? s’enquit Marisol.
— Seguro, mademoiselle. Pas une goutte de flotte à l’horizon.
— Alors, tout le monde à poil !
— Quoi ?
— J’en ai marre de passer mon temps avec des types qui puent le bouc. Passez-moi vos vêtements…
Elle harcela Bozo et Kim jusqu’à ce qu’ils lui tendent des cordes en travers du pont. Nos pantalons et nos chemises plus une corde complète de fringues de fille claquèrent bientôt au vent.
La Marie-Barjo n’était plus une péniche de contrebande, elle était devenue un yacht de plaisanciers.

J’écoutais de la musique dans le carré, tranquille, quand Kim, que j’avais placé à la barre, m’appela :
— Haig ?
— Quoi, merde ?
— Euh… On a un problème devant, je crois.
Je montai.
Et oui, on avait un problème.
A quelques 150 mètres de nous, un grand arbre mort barrait la rivière sur toute sa largeur, le tronc à une pincée de centimètres de la surface.
— Qu’est-ce qu’il fout là, celui-là ? maugréai-je.
Kim avait ralenti.
— Continues tout droit, très lentement. On va s’y amarrer.
Je criai à Bang, dont la grosse tête venait de surgir de la cale, de préparer une amarre et me retournai vers Kim.
— Quand on arrive dessus, tu coupes le moteur.
— Okay.
— Et tu prends ton arme.
— Euh… Okay.
J’attrapai mon AK 47. Chargeur engagé. Armé.
Sur le pont, je chopai Bozo :
— Branle-bas, vieux, allez, dépêche !
— Qu’est-ce que…
— Tes armes, bordel !
Il fonça vers le carré.

Bang était prêt, à la proue, filin en pogne.
On arriva sur le tronc. Un peu vite. Kim, nerveux, rata son coup.
On rentra dedans. Un choc qui ébranla toute la carcasse.
Bang vacilla, retrouva son équilibre et jeta l’amarre autour d’une grosse branche.
Kim arrêta le moteur. Le silence tomba sur la jungle.

 

(A suivre)

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