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Episode 30: Duel

Publié par le 10 janvier 2014
Haig : Le secret des Monts Rouges
Episode 30
Duel
 
 
Je finis de sortir du trou la totalité du trésor.
Trois bons kilos de joaillerie variée.
Trente figurines de jade. Des Anuman, le dieu-singe. Ganesh. Hari-Hara avec ses quatre bras. Des Naga à la corolle déployée. Garuda à tête de rapace. D’autres figures biscornues du panthéon khmer, la moindre valant au bas mot ses cinquante mille dollars.
Plus le Bouddha à la conque. Vingt cinq kilos d’or massif. Plus son bonbon en diamant bleuté enchâssé au milieu du front.
Un vrai pactole, l’ensemble. La fortune. Le jackpot.
Et l’autre conne cupide qui voulait tout garder pour elle !
J’essayai encore un coup :
– Valentin avait raison, tu sais. L’indien nous attend au coin du bois. Il va te découper vivante.
Marisol ramassa la machette du pauvre vieux et m’en brandit la lame devant la face.
– Question : tu crois que tu peux porter tout ça avec une oreille en moins ? Ou les deux ? Ou bien les oreilles et le nez ?
Je haussai les épaules.
– Moi aussi, je sais couper la viande, ajouta-t-elle. J’ai tenu des restaurants, tu t’en souviens ?
Là-dessus, elle éclata de rire.
Déplaisant, le rire. Un ricanement. Un cri de corneille qui résonna désagréablement dans la vieille enceinte de béton.
Cette fois, j’avais la réponse à la question que je me posais depuis que je l’avais acceptée à mon bord, il y avait une cinquantaine de siècles, à Sato-Do.
Elle était cinglée. Dérangée. Brindezingue.
Folle, tout simplement.
 
Je vidai les grands havresacs de Pierrot et Valentin. Fourrai le bouddha et les pierreries dans l’un, les jades dans l’autre. Chargeai les deux sacs sur mon dos, une sangle à chaque épaule.
Marisol tiqua :
– Tu ferais mieux d’en porter un devant et un derrière.
– Non. Je vais avoir besoin de voir mes pieds. Surtout dans la descente de l’à-pic.
Elle haussa les épaules.
– Comme tu veux, capitaine…
Je m’abstins de lui dire que je voulais conserver la possibilité de me débarrasser de ma charge en deux coups d’épaule.
Dans pas longtemps, quand ça commencerait à castagner, il me faudrait retrouver ma mobilité au plus vite.
Redman l’indien était là, quelque part, à guetter.
L’aube ne tarderait plus. Dans une trentaine de minutes, à tout casser, la lumière commencerait à poindre.
On lui avait déterré le trésor. Bien gentiment. Il n’avait plus qu’à le cueillir.
Jamais les conditions ne lui seraient plus favorables.
Il allait nous cogner.
Maintenant…
 
On sortit du bunker. Moi devant, Marisol me suivant à deux pas, un flingue braqué sur mon dos dans une main, la lampe dans l’autre.
Il y eut une vibration dans l’air. Quasi imperceptible. Légère, mais méchante. Un souffle de serpent.
L’impact d’un objet dans de la chair.
Marisol cria. Le faisceau de lumière de la lampe sauta.
Je n’avais pas perdu de temps à observer où la flèche l’avait touchée. J’avais déjà laissé tomber les sacs au sol et plongé dans l’obscurité.
Une nouvelle vibration. Un autre cri de lionne blessée.
Je rampai quelques mètres. Me redressai un peu et appelai de toutes mes forces :
– Kim ! Kiiiiiim !
 
C’était le moment. L’instant de vérité.
Si jamais le Cherokee avait chopé Kim, c’était foutu.
J’aurais encore causé la mort d’un jeune homme. Je n’aurais plus qu’à me mettre une balle dans la tête. A moins que Redman ne se charge de ma peau.
– Kim ! Maintenant, Kim !
Un long sifflement retentit au-dessus de moi, à une cinquantaine de mètres.
Le sifflet à roulette qu’utilisait Bang pour me guider sur la rivière. Kim soufflait dedans comme un jazzman en transes dans sa trompette !
Je me propulsai en avant et me mis à ramper en direction des sifflements aussi vite que je le pouvais.
 
Derrière moi s’éleva un nouveau cri de Marisol, aussitôt couvert par la voix de l’homme.
– Hey, toi, Petit-rat-qui-court-dans-les-bois !
Puissante, la voix. Celle du diable lui-même. Qui se tenait juste au-dessus de moi. La voix d’un géant qui n’avait plus qu’à se baisser pour m’attraper et me briser les reins.
Tout mon être se figea. Je restai une poignée de secondes aussi paralysé qu’un rongeur surpris dans un grenier.
– Je tiens la femme ! Tu m’entends ? Redman a attrapé la femme !
Je réalisai mon illusion. Il était derrière moi. Loin. A trente mètres, voire plus. Mais comme elle me semblait étrange, cette voix ! Elle paraissait surgir de la gueule d’une caverne maudite, comme un grondement d’ours, pour se répandre aux alentours, mouvante, insaisissable…
– Redman va tuer la femme et après ce sera toi, Petit-rat !
Je me secouai. Me redressai. Soufflai fort.
Echappai à ce bizarre hypnotisme.
Ce n’était pas le moment de délirer !
Kim continuait à s’époumoner dans son sifflet, un peu au-dessus de moi. Près.
Je repris ma reptation, sur les genoux et les mains.
Derrière, il y eut un immonde bruit de hache. Un coup d’estoc. Du métal sur une matière faible. Marisol poussa un hurlement de terreur et de souffrance.
Un cri qui me tordit le cœur.
– Je lui coupe le bras, petit-rat, rigola l’autre salopard. A toi aussi je vais couper les bras tout à l’heure !
Je me relevai tout à fait et me mis à courir.
 
Je ne me souviens plus très bien de cette course à travers la nuit noire. Je sais que les lianes s’enroulaient sur mes jambes, essayant de me faire chuter. Que les buissons me poignardaient de leurs épines. Que les branches me cognaient le torse et la face de leurs coudes noueux, cherchant à m’assommer.
Qu’enfin Kim fut devant moi, au pied d’un ensemble de roches blanches dressées comme des doigts.
Je ne voyais que ses yeux brillants dans le noir.
Il me tendait une forme sombre.
Mes mains se refermèrent sur la coque de plastique lisse et froide du fusil Horstal à système de visée nocturne.
 
Calé contre un rocher, j’épaulai et collai mon œil à la lunette.
A travers l’amplificateur de lumière, le monde était vert et gris, les formes étonnamment nettes, modernes, irréelles. C’était comme se trouver soudain plongé dans un écran de radar.
Je balayai l’espace. Les arbres et les lianes filèrent en zébrures fluorescentes. Je repérai du mouvement. Du pouce, j’appuyai sur la commande du zoom. Les silhouettes grandirent.
Et enfin, il fut là, au centre de ma lunette.
Un fantôme vert. Une ombre monumentale aux tâches noires à la place des yeux. Un gouffre noir pour la bouche qui hurlait encore des cris que je n’entendais plus.
Il avait le bras levé, vert, prolongé d’une machette à longue lame courbe, verte.
Au bout de l’autre bras, il portait un minuscule pantin vert à la longue chevelure verte. Le bras qui tenait la machette s’abattit. De la gorge de Marisol giclèrent des longues flammes de liquide vert. La silhouette de géant jeta le pantin au sol. Se mit à marcher dans ma direction.
J’appuyai sur la détente. Le Horstal n’eut même pas un frémissement. La détonation ne fit pas plus de bruit qu’une bouteille qu’on débouche.
Je tirai. Tirai encore. Et encore.
La masse de chair verte s’immobilisa un instant, les deux bras levés, dans une pose de grizzly. Et s’écroula en arrière.
 
Quand on rejoignit les corps, la lumière du jour se répandait, grisâtre, sous le couvert. La pluie avait repris. Les oiseaux restaient silencieux, chassés par les coups de feu de cette nuit, nos cris et tout ce ramdam,
Marisol gisait sur le côté, un bras arrondi au-dessus de la tête, dans une position qui aurait pu la faire croire endormie. Sauf que son autre bras reposait à deux mètres de là, sa main chargée de bagues blanche sur l’humus brun. Sauf que son cou était ouvert sur une plaie béante, dégouttant de sang que nettoyait la pluie.
Marisol. Celle qui se croyait plus maligne que le reste du monde…
L’Indien reposait sur le dos, bras en croix, immense gisant de guerrier sauvage.
Ses cheveux couleur d’argent dessinaient un grand cercle autour de sa tête.
La pluie mélangeait les couleurs de guerre dont il s’était grimé le visage.
Il portait une vieille veste de treillis U.S., avec une barre de décoration sur la poitrine. Des amulettes et ses plaques d’identité autour du cou.
A la ceinture, il avait une douzaine de bandes de peaux et de cheveux. Plus ce qui paraissait bien être une tête de très petite fille en état de décomposition avancée.
« Un blanc, mais différent », m’avaient-ils tous dit.
Redman. L’homme rouge.
 
Kim s’était laissé tomber le cul par terre, des larmes striant de coulées claires la boue qui maculait son visage.
Epuisé, le gamin.
Toutes ces heures à crapahuter, avec aux tripes la peur de se faire avoir par ce cinglé géant…
– On va se reposer un moment, dis-je. Puis on tâchera d’enterrer proprement tous ces gens… Et après, on rentre à la maison.
 
(A suivre)

 

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