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Episode 28: Calvaire

Publié par le 3 janvier 2014
Haig : Le secret des Monts Rouges
Episode 28
Calvaire
 
 
Pierrot et Valentin partirent à l’aube.
Equipés, les gusses. Treillis neufs. Sacs à dos. Chacun un M 16 à l’épaule.
Avec leurs casquettes à doubles visières sur leurs têtes de vieux shnocks, ils avaient l’air de retraités en partance pour un safari.
 
Je leur laissai six heures d’avance.
Le temps pour eux d’arriver au bunker, là-haut. Selon mes prévisions, ils creuseraient dés leur arrivée, impatients de mettre la main sur le trésor. Je ne pensais pas qu’ils se hasarderaient de nuit dans la forêt.
Sachant qu’il était dans le coin. Lui. L’autre.
Ma meilleure chance, c’était de leur tomber dessus à ce moment-là.
Et après… Que le bon dieu des salopards protège les plus méritants !
 
On se mit en route vers midi, alors qu’un soleil rond et jaune comme une médaille faisait bouillir l’air chargé d’humidité.
J’avais ma Kalachnikov et mon Tokarev.
Marisol était en combinaison grise, bandana de même couleur sur les cheveux. Joli petit soldat. Elle portait son colt à la ceinture. A l’épaule, une Kalachnikov chinoise à crosse de métal, celle dont se servait Bozo. Je n’avais trouvé aucune excuse pour m’y opposer.
 
On commença à grimper le long d’un arroyo qui dévalait du mont central, sinuant entre deux hauts murs d’arbres aux troncs mouchetés de grandes orchidées rouges.
La plupart du temps, on pouvait marcher sur les berges. Un sol fait de boue et de feuilles pourries, mou sous les pieds, qui exhalait à chaque pas une féroce odeur de putréfaction.
Parfois, la végétation nous serrait de si près qu’on se retrouvait obligés de marcher dans le ruisseau, de l’eau jusqu’aux genoux.
 
On était en route depuis deux heures environ quand on tomba nez à nez avec deux chasseurs qui se matérialisèrent soudain devant nous, comme nés de la végétation.
Noirs, les types. Peau sombre, cheveux d’huile, yeux de charbon. Seulement vêtus de grands pagnes noirs que serraient des larges ceintures de toile. Chaussés de vieilles sandales à semelles en pneus.
Le plus vieux portait un fusil de chasse au double canon scié, cartouchière en travers de la poitrine. L’autre avait une arbalète rudimentaire en bois.
Derrière eux se tenait une jeune femme également nue jusqu’à la taille, chargée d’une hotte d’osier dont la sangle lui barrait le front.
Des habitants du village de paillotes, près du lac.
Je leur adressai un signe amical de la main. Ils restèrent impassibles. Visages fermés. Regards morts.
Presque hostiles.
Ces types connaissaient bien leur coin de forêt. Ils savaient qu’il s’y passait des choses pas catholiques. Et ça ne leur plaisait qu’à moitié.
Le temps de faire trois pas devant eux et ils avaient disparu, avalés par la forêt.
 
Vers 14 H 00, on quitta le bord de l’arroyo pour s’engager dans une fine sente qui se tordait entre arbres et taillis, grimpant par paliers irréguliers.
Il faisait très sombre sous les grands arbres que doublait le plus souvent une couverture moins haute de palmiers en désordre. La puanteur de décomposition qui régnait là-dessous prenait à la gorge. La chaleur était celle, immobile, d’un fond de cale. L’air solide, au goût de boue chauffée, pesait sur la poitrine, rendant chaque pas plus pénible que le précédent.
Les oiseaux se tenaient peinards, muets dans leurs nids d’altitude. Les singes étaient invisibles, terrés dans des soins d’ombre. Les seuls animaux en éveil, en ces heures de métal, étaient les insectes.
Des millions. Des milliards d’insectes.
De toutes les formes. Pour tous les goûts.
Nuées de minuscules choses zonzonnantes qui piquaient comme autant d’épingles. Bancs de guêpes, certaines jaunes et noires, d’autres rouges vermillon, qui vrombissaient autour de leurs nids gros comme des citrouilles. Cohortes de scarabées, hannetons et autres gros balourds carapaçonnés au vol anarchique. Colonnes de fourmis qui enveloppaient les troncs des arbres sous des couvertures ondulantes comme des souffles de monstres.
J’avais concocté un onguent de tabac de cigare amolli au whisky qui nous faisait un masque de boue mais qui tenait éloignée de nous la plupart des bestioles piquantes.
 
La forêt s’épaississait de plus en plus.
Les sentes que nous suivions nous entraînaient au cœur de taillis géants hérissés d’épines et de feuilles coupantes qui déchiraient nos chemises.
Bientôt, nous fûmes tous deux couverts de griffures et d’écorchures sanguinolentes.
Saleté de forêt.
 
En milieu d’après-midi, on s’arrêta près d’une source qui jaillissait d’un rocher moussu entièrement recouvert par le lacis géant des racines d’un fromager.
Sur le sol traînaient des boites de corned-beef écrasées à coups de talon, des papiers d’emballages de barres chocolatées et un flacon vide de répulsif à moustiques.
Les deux affreux avaient pique-niqué là.
On fit de même.
Frugal, le repas. Des boulettes de riz à la sauce de poisson arrosées de thé froid.
Après nous être restaurés, on s’adossa au rocher et on se laissa aller à une sorte de torpeur.
Agitée, la sieste. Des périodes de somnolence les yeux ouverts. Des chutes dans le sommeil de quelques instants. Et des réveils en sursaut, causés par la peur des insectes venimeux et des serpents.
Quand les oiseaux reprirent leur concert, on se releva.
D’un paquet d’opium pris dans les réserves de Bozo, je confectionnai deux boulettes qu’on avala avec une gorgée de thé.
– Ça va nous speeder ? demanda Marisol.
– Non, ça va nous aider à penser à autre chose.
 
La pente s’était encore accentuée. On avait l’impression de gravir un de ces sentiers à mules des montagnes. De ceux qui tirent sur les mollets à les faire éclater. Qui coupent le souffle à faire regretter de fumer autant de cigares et de joints.
La lumière baissait à toute vitesse.
Un moment plus tôt, on croyait avancer dans l’obscurité. Un moment plus tard, on commençait à réaliser ce qu’était vraiment la nuit noire.
Noire.
On progressait maintenant au milieu de fantasmagories en bouquets de palmes noires hérissées d’épines, des monstres végétaux aux tentacules griffues, des rideaux de lianes qu’il fallait écarter à la machette.
 
Bientôt, le sentier ne fut plus qu’une paroi quasiment verticale au sol recouvert d’un mélange glissant d’humus et de boue. Une sorte d’escalier.
Malcommode, L’escalier. Avec en guise de marches des roches nues, pointues, hérissées comme des dents de fauves. Et des racines entremêlées en treilles épaisses.
Au-dessus de nous, une végétation basse. En majorité des palmiers. Plus, de loin en loin, des grands fromagers qui s’accrochaient de leurs racines en pattes de dragons aux aspérités du roc.
C’est là que la pluie vint nous compliquer encore la vie.
Une première gifle de gouttes qui claqua sur les feuilles, puis ce fut parti pour une de ces averses de mousson, de celles qui commencent fort et ne s’arrêtent plus jamais.
 
L’ascension devint un calvaire.
On progressait dans un cauchemar noyé de flotte.
Le toit de feuillage ne nous protégea pas plus de dix minutes. Des cascades nous déferlaient dessus des moindres bouquets de palmes. Les racines sur lesquelles nous prenions appui étaient devenues glissantes, comme recouvertes de graisse. Des pièges pour nos pieds qui dérapaient. Pour nos mains qui cherchaient à se raccrocher.
Sur les rares plates-formes, le sol de boue et de végétation pourrie fuyait sous nos pas.
A plusieurs reprises, l’un comme l’autre, on chuta de plusieurs mètres, en se cognant douloureusement sur tout ce qui dépassait, branches et roches, avec au cœur l’angoisse d’être happé par la nuit hostile qui s’étendait en dessous de nous.
Seul le venin de l’opium qui serpentait dans nos veines, annihilant nos sensations, nous permettait de continuer, inlassablement, mètre après mètre, pas après pas.
 
Enfin, nous fûmes en haut.
Vivants. Entiers.
Après une dernière acrobatie le long d’un surplomb de roche crayeuse, on déboucha sur un terrain presque plat.
Le sommet. Un entablement. Une sorte de plateau qui couronnait le mont.
On se remit en route.
Après une dizaine de minutes, je tendis le bras devant moi.
– Regarde, Marisol, on y est.
A une cinquantaine de mètres, derrière la treille de la végétation, un halo de lumière jaune.
– C’est le blockhaus. Nos petits copains doivent être en train de creuser…
Pour toute réponse, elle dégaina son colt et arma le chien.
– Tant mieux, souffla-t-elle, la voix rauque et essoufflée, on va leur faire la surprise, à ces hijos de puta !
 
(A suivre)

 

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