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Episode 29: L’Or et le sang

Publié par le 7 janvier 2014
Haig : Le secret des Monts Rouges
Episode 29
L’Or et le sang
 
 
La lampe allumée à l’intérieur du blockhaus dessinait la forme rectangulaire de la porte et celles, plus étroites de deux meurtrières derrière des filets de lianes pendantes.
On ne distinguait presque rien du reste. Une vague ombre massive, carrée, ébouriffée par endroits.
De jour, on pouvait passer devant ce bunker sans même le remarquer, tant il était recouvert par la végétation.
Devant s’étendait un espace nu, une clairière de latérite d’une trentaine de mètres de diamètre semée de maigres bouquets d’herbe. A l’époque, les japonais avaient défriché les alentours et sûrement épandu une de leurs saloperies chimiques défoliantes pour dégager les abords.
De l’intérieur nous parvenaient des coups sourds de pelle ou de pioche, ponctués des ahanements de celui qui la maniait.
 
On s’approcha.
Pas la peine de prendre trop de précautions : nos deux zigotos paraissaient trop pressés de mettre la main sur leur trésor pour surveiller leurs arrières et, de toute façon, la pluie battante masquait le peu de bruit de nos pas.
On se colla à la porte, chacun d’un côté.
Je jetai un œil à l’intérieur.
Une petite salle carrée. Une grosse lampe posée par terre. Le Bouddha d’or, à demi démailloté d’un tissu. La gemme de son front brillante dans l’obscurité comme une étoile sur un ciel de nuit.
Devant, à genoux, Valentin creusait à coups de pelle-bêche tandis que Pierrot, le petit gros, tirait du trou des petits paquets qu’il posait à côté de lui.
Sûrement les fameuses figurines de jade.
Les deux pieds nickelés avaient posé leurs M 16 contre le mur, pas très loin, mais pas non plus à immédiate portée de main.
Pas brillants, les lascars. Rouges. Ruisselants de sueur. Les bouches ouvertes sur leurs souffles courts.
Dans leurs treillis maculés de boue et déchirés par les ronces, ils avaient l’air de deux vieillards en panoplie de soldat.
Ce qu’ils étaient.
Deux vieux fous lancés dans le mauvais coup de trop.
 
Je dégainai mon 45, adressai un signe de tête à Marisol et bondis à l’intérieur.
– Stop !
Elle me suivit, son colt braqué à deux mains.
– On ne bouge plus, cabrones !
 
Ils s’immobilisèrent.
Sur leurs deux visages, je vis passer l’espace d’une seconde une expression de terreur indicible, aussitôt remplacée par une moue de soulagement.
Ce n’était que nous, semblèrent-ils se dire.
Seulement nous.
Et nous, on n’était pas le danger qu’ils redoutaient le plus.
 
Valentin laissa tomber la pelle-bêche dans le trou et leva les mains. Pierrot bondit sur ses pieds.
– A genoux, lui ordonna Marisol, mains sur la tête !
On pouvait coller beaucoup de qualificatifs à Pierre Bosset, dit Pierrot : menteur, voleur, traitre, vil… Mais on ne pouvait pas le taxer de lâcheté. A l’injonction de Marisol, son réflexe fut de se jeter en avant, droit sur elle, en beuglant :
– Va te faire enculer, salope !
Marisol tira. Droit dans la poitrine. Pierrot vola en arrière et s’écroula contre le mur. Elle s’avança, le pas décidé, se pencha sur lui et lui remit une deuxième balle en plein front.
Le deuxième coup de feu ne me parvint qu’assourdi. La première détonation, incroyablement sonore dans ce cube de béton, m’avait bouché les oreilles.
Marisol ramassa les deux M 16 et les jeta à l’extérieur, l’un après l’autre, en gratifiant à chaque passage Valentin d’un coup de pied dans les reins. Puis elle se retourna vers moi et m’apostropha :
– Wouille wé wenwuwé !
– Qu’est-ce que tu dis ?
Elle hurla :
– Fouille cet enculé !
Je m’exécutai.
Valentin tremblait, la respiration hachée, laissant échapper à chaque souffle un gémissement de chiot.
Il n’avait plus d’autre arme que sa machette. Je la sortis de sa gaine. Me relevai…
 
Et me retrouvai devant le trou noir du canon du colt que Marisol me braquait sur le visage.
 
Mon audition revint à ce moment-là.
Juste à temps pour l’entendre me dire :
– Je t’aime bien, Haig, alors je te laisse le choix. Soit tu jettes toutes tes armes à mes pieds et tu te fous à genoux, les mains sur la tête à côté de l’autre connard. Soit tu crèves dans trois secondes.
– Putain, Marisol…
– Une… Deux…
Je fis ce qu’elle m’ordonnait.
 
Pendant un moment, on déballa des statuettes de jade et des bijoux qu’on tirait du trou. Valentin reprenait du poil de la bête. De temps en temps, il jetait un œil vers le corps de son pote Pierrot et son regard flambait de haine.
Soudain, il apostropha Marisol :
– Dis-donc, poupée, c’est quoi, à la fin, ton plan ?
Elle se tenait appuyée au mur du bunker, jambes croisées, son colt dans une main, mon 45 dans l’autre, nonchalamment dirigés sur nous.
Décontractée, la fille. Belle, dans son genre. Avec un petit air dédaigneux. L’air de la fieffée garce qu’elle était.
Muy facil… Vous allez finir de sortir le trésor, emballer tout ça du mieux que vous pourrez, charger le tout sur vos belles épaules viriles, et vous me servirez de porteurs pour redescendre à la rivière. Si vous travaillez bien, peut-être que la « poupée » vous laissera en vie…
Valentin se redressa, un très beau dieu éléphant Ganesh en jade à la main.
– T’es cinglée ! cracha-t-il. Là, dehors, il y a Redman. Il va te tuer. Te découper en morceaux. Ecorcher ta jolie peau et se branler dedans…
Elle haussa les épaules.
– Pff… Des conneries, tout ça.
– Tu ne comprends pas. Redman va surgir de nulle part pour tomber sur toi et tu seras morte avant d’avoir compris ce qui t’arrive.
– Garde tes histoires d’ogre pour les gamins que tu baises à Bangkok, vieux maricon.
– Réfléchis un peu, bécasse. Après toi, on y passera tous les deux si on n’a rien pour se défendre. Notre seule chance à tous les trois, c’est de s’unir. File nous des armes.
Elle ricana.
– A trois, insista-t-il, on garde une chance. Regarde un peu, bon dieu !…
Il désigna le Ganesh qu’il tenait en main. Le bouddha placide qui luisait doucement dans son coin. Les autres pièces inestimables répandues sur le sol.
– Il y a assez pour nous rendre riches tous les trois…
Je jugeai qu’il était temps d’avancer quelques billes.
– On te laissera la plus grosse part. Pas vrai, Valentin ?
– Banco, fit-il. La moitié pour toi, l’autre moitié pour nous.
Marisol se décolla du mur, les mains raffermies sur les flingues.
– Madre de dios, et on dit que les femmes sont bavardes ! Fermez vos grandes gueules. Et Continuez à creuser où je vous en colle une dans la tête, là, maintenant !
On se remit à l’ouvrage.
 
Au bout d’un moment, je demandai :
– Qui c’est, ce Redman ?
– Un fou. Un indien Cherokee. Il a fait six ans ici. Vietnam. Cambodge. Laos. Dans les forces spéciales. Sur tous les coups dégueulasses… C’est un colosse, le mec. Deux mètres de haut. Une gueule de diable…
– Je vous ai dit de la fermer ! cria Marisol.
Valentin ferma un instant les yeux d’exaspération et décida de l’ignorer.
– A la fin de la guerre, il cherchait du pognon pour déserter l’armée. Carlo l’a embauché pour l’accompagner jusqu’ici. Résultat, l’indien a tué le pilote d’hélicoptère à leur retour à Phnom Penh et après, il a essayé de choper Carlo. C’est à cause de Redman que Carlo a tout abandonné ici. Il est allé se planquer à Djakarta.
– La ferme !…
– L’Indien, après, il a tué je sais pas combien de filles dans un pays d’Amérique du sud. Ils l’ont mis en taule pendant vingt ans. Et puis ces cons-là l’ont relâché, et voilà, le mec est revenu…
– Puta di mierda, tais-toi !
– Il a tué un paquet de monde en remontant la Lon Stung. Tous les gens du coin en causent. Les piroguiers qui nous ont emmenés, ils en avaient une frousse bleue.
Je me redressai.
– Tu sais que c’est vrai, Marisol. Tu as vu les corps à la pagode. Tous ces décapités. Ces morts par flèches…
– Tu ne vas t’y mettre, toi aussi ?
– C’est lui qui a égorgé ton père, à Phnom Penh…
Valentin ricana.
– Qu’est-ce que tu racontes ? C’est pas la fille de Carlo. C’était juste sa pute !
Marisol fit un pas en avant. La détonation fit comme un coup de canon. La tête de Valentin explosa. Je fus recouvert de matière cervicale, de bout d’os et de sang.
Plié en deux, les oreilles sifflantes, je dégueulai comme un gosse sur un manège qui va trop vite.
Quand je me relevai, une éternité plus tard, Marisol me braquait de nouveau.
– On va faire les choses comme je dis, oui ou non ?
Je me frottai le visage, essuyant les abats de ce pauvre Valentin et la bile qui avait jailli de mon être. Hochai tristement la tête. Me remis à creuser.
 
(A suivre)
 

 

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