D’après mon roman Les Guerriers Perdus, éditions Taurnada, 235 pages, 9,99 €.
EXT Jour, vallée, citadelle
Panoramique aérien de la citadelle : une forteresse médiévale perchée au sommet d’un pic ; une muraille en carré, dépouillée de toute meurtrière, aveugle, surmontée d’un donjon intérieur coiffé d’un dôme mauresque ; le tout d’une pierre grise se confondant avec la roche qui la supporte ; seul élément qui vient rompre toute cette grisaille austère, un portail en ogive que ferment des vantaux de métal neuf.
Elle surplombe une vallée aux pentes parsemées de nappes de sapins presque noirs, tranchée en son fond par un torrent aux jaillissements blancs.
La caméra glisse sur le flanc de la vallée opposé à la citadelle. On découvre à mi-pente les silhouettes de deux hommes tapis derrière trois mamelons de pierre moussue. À sa veste en laine de mouton, on reconnaît Kristo.
EXT Jour, flanc de vallée
Plan rapproché sur les deux hommes. Haig observe à travers le gros objectif de son appareil photo. Derrière lui, accroupi, Kristo. Plans sur ses besaces posées au sol, puis sur le havresac bricolé de Haig, avec, posé en travers de celui-ci, le fusil Baïkal. La caméra s’attarde un peu plus long que nécessaire sur ce dernier.
Kristo (frappant l’épaule de Haig) :
Heug ?
Il désigne la citadelle, haussant les sourcils, interrogatif. Haig baisse les jumelles, acquiesce. Kristo replie ses bras contre son large torse, hochant la tête et souriant avec satisfaction. Haig lui sourit en retour et se remet à observer.
EXT Jour, vues de l’objectif
La citadelle. S’en échappe une piste caillouteuse qui descend en s’enroulant autour du piton et rejoint, en bas, un village d’une petite vingtaine de maisons flanquant le torrent.
Les maisons. Laides, les baraques. Rudimentaires. Comme partout ailleurs dans le pays, des murs de parpaings et des toits de tôles. Plus loin, commençant à s’étendre à gauche du hameau et s’élevant un peu sur les contreforts du pic de la citadelle, une nappe d’une cinquantaine de bunkers, absurdes bulbes de ciment rouillé.
Le cœur du village. Il y a cinq ou six hommes qui déambulent. Ce ne sont que des silhouettes, mais on remarque qu’ils portent tous une arme à la bretelle.
On entend un bruit de moteur. Les jumelles remontent vers la citadelle dont le portail de métal s’est ouvert. Apparaît un gros 4×4 noir aux vitres opaques – une bagnole de mafia incongrue dans de décor sauvage.
La voiture dévale la piste jusqu’en bas, franchit le village et disparaît sur une route perdue sous un bois de pins.
Haig (voix off, pour lui-même) :
C’est une route, ça ?
Les jumelles parcourent le village d’une extrémité à l’autre. On découvre effectivement les tronçons d’une route caillouteuse qui traverse tout le hameau, longe le pied du pic de la citadelle, puis les bunkers, et file le long de la rivière avant de disparaître entre les deux falaises d’une vallée escarpée.
Haig (voix off, pour lui-même) :
Ouais, une route… et plutôt praticable…
EXT Jour, flanc de vallée, derrière les rochers
Haig (laissant retomber les jumelles) :
Pas si isolée que ça, ta citadelle, Vanda…
Il se tourne vers Kristo. Ses yeux s’écarquillent de surprise. Plan sur l’endroit ou devrait se trouver le géant : personne.
Haig fouille les alentours du regard. Personne. Son regard se pose sur ses affaires : les besaces de Kristo ont disparu. A également disparu le fusil Baïkal.
Haig :
Putain, mon fusil !
Au premier éclair de colère succède un sourire. Haig secoue la tête, amusé, puis éclate de rire.
Haig :
Vaya con dios, amigo.
CUT
EXT Jour, flanc de vallée, derrière les rochers
Plan sur le havresac en toile de tente ouvert. Les mains de Haig en sortent un livre. On aperçoit, posés dans l’herbe le boîtier photo et le téléobjectif achetés à Tirana ainsi que le pistolet Tokarev et une boîte de balles.
Plan sur le livre que Haig pose à côté : il s’agit d’un guide illustré en italien sur la faune et la flore des Balkans.
Haig visse le téléobjectif sur le boîtier photo et se passe la courroie autour du cou, laissant pendre l’appareil sur sa poitrine. Il glisse le Tokarev dans sa ceinture, contre sa colonne vertébrale et fourre la boîte de balles dans sa poche. Il enfourne le bouquin dans sa poche arrière, referme son havresac et se le met au dos.
Il fait quelques pas, s’éloignant du groupe de rochers, puis il se ravise et revient à leur couvert. Il s’agenouille, creuse brièvement la terre et fourre dans le trou le Tokarev et les balles. Il recouvre le tout de pierres et se redresse.
CUT
EXT Jour, entrée du village
Haig s’avance dans le village, l’appareil photo sur la poitrine.
Contrechamp : vue du village. De près, il est aussi sordide et triste qu’il le paraissait vu d’en haut : une jonchée de masures plus ou moins alignées des deux côtés de la maigre route qui le traverse. La citadelle qui le surplombe, très haut. La rivière tumultueuse, bouillonnante autour de blocs rocheux. Un trio de femmes vêtues de noir, chaussées de gros brodequins, des fichus de couleurs vives noués sur la tête, s’affairent dans un champ rocailleux. Plus haut, un troupeau de chèvres maigres cherche sa pitance parmi les cailloux gris. En bas, dans un enclos un peu plus verdoyant que le reste, brait un âne solitaire.
La caméra revient à la route centrale, où on découvre un groupe d’une demi-douzaine d’hommes qui descendent vers Haig d’un pas lent, les épaules bien droites, les dos redressés en attitude de défi, les visages fermés. Le premier sentiment qui se dégage du groupe est l’hostilité.
Haig lève les deux mains, signe universel de demande de non-agression.
Haig :
Si jë (salut) !
Les hommes continuent de s’approcher sans répondre. Celui qui est
visiblement le chef, précédant la bande d’un pas, arrive devant Haig.
Un type plutôt petit, mais trapu comme un bélier, au visage farouche barré de deux épaisses moustaches noires en crocs. Il porte un large sarouel et une veste de cuir. Aux pieds, des chaussures aux pointes relevées à la turque. Sur la tête, un fez rouge planté de travers.
Derrière lui, dans le groupe, certains portent aussi des sarouels et des fez turcs, un habillement ancestral auquel se mêlent des éléments militaires. Ici un baudrier à munitions. Là une paire de bottes de combat. Là encore une casquette à visière…
Le chef dégage le fusil qu’il porte à l’épaule, en glisse la crosse dans la saignée de son coude, arme la culasse. La caméra s’attarde sur le F.M, un M 16 américain neuf. Une arme surprenante, anachronique, dans les mains de cette espèce de bandit des montagnes,
Derrière, ses hommes l’imitent dans un concert de claquements de métal. Tous ont des fusils-mitrailleurs d’aspect neufs, noirs et luisants de graisse…
Haig observe les alentours. Contrechamp : la caméra montre un gros générateur électrique derrière un pan de maison, puis des câbles électriques qui courent au pied des baraques, des lampes neuves pendant au-dessus des seuils et des paraboles de télévision vissées au bord des toits.
Un peu plus loin derrière le troupeau de brigands, d’un préau de ciment surgit un pick-up de marque japonaise flambant neuf qui s’éloigne en cahotant sur la route. Il y a des femmes en noir et en fichus de couleur et des enfants serrés dans le hayon.
Le chef (interrogatif et inamical) :
Phrase en albanais. On comprend : « Que diable viens-tu foutre par ici, étranger ? »
Haig montre son Leïca. Le petit livre de photos d’animaux. se désigne plusieurs fois, doigt pointé sur sa poitrine.
Le chef prend le livre, l’examine un instant puis le passe à un de ses hommes. Les autres s’approchent, curieux, échangeant des commentaires. Le bouquin passe de main en main. Un des hommes vient tâter et soupeser le téléobjectif sur la poitrine de Haig.
Les hommes s’éloignent de quelques pas et parlent entre eux. Le chef tire de la poche de sa veste de cuir un téléphone cellulaire. Comme il n’appuie que sur un bouton pour lancer son appel, on comprend qu’il s’agit d’un numéro enregistré.
Quand ça décroche à l’autre bout, le chef se lance dans une diatribe sur le ton d’un militaire rendant compte à une autorité. Une oreille attentive reconnaît la langue russe. On comprend le mot « photo », répété plusieurs fois.
Le chef :
Da… Da… Da… (Oui… Oui… Oui…)
Ayant raccroché, il fait signe à Haig de s’asseoir sur un banc de pierre accolé au mur de la plus proche des maisons. Haig obéit.
Toute la bande l’entoure, les fusils armés dans les saignées des coudes, les visages fermés.
CUT
EXT Jour, village
Un 4×4 de luxe aux vitres teintées déboule à fond la caisse et stoppe devant Haig et ses gardiens. Le chauffeur se livre à un spectaculaire dérapage qui arrose de boue les alentours.
De l’engin descendent trois types vêtus de treillis noirs si semblables qu’ils semblent être des uniformes. Costauds, les types. Des colosses élevés à l’entraînement militaire, la salle de musculation et les stéroïdes. Un chauve. Les deux autres aux cheveux blonds coupés si ras qu’ils semblent avoir envie de l’être. Des gros flingues modernes dans des holsters de ceinture. Des talkies-walkies. Des gros bijoux en or un peu partout…
Plan sur les villageois. Leur attitude a changé. De bandits des montagnes, ils sont devenus des larbins déférents : les M 16 retournent sur les épaules ou bien pointent au sol ; certains s’éloignent de quelques pas ; les têtes se baissent.
Le nouvel arrivant chauve se plante devant Haig, poings sur les hanches, pattes écartées. Les deux autres restent un peu en retrait, éloignés l’un de l’autre d’environ trois mètres, de façon à former un triangle qui bloquerait toute tentative de fuite.
Le chauve :
Italiano ? Deutsch ? English ?
Haig:
I’m French, but I can speak english.
Le chauve (en anglais sous-titré) :
C’est une sorte de propriété privée, ici. Qu’est-ce que tu viens y faire ?
Haig (idem) :
De quel droit me posez-vous cette question ?
Le chauve :
Du droit que je veux te poser des questions. Du droit que tu es seul. Du droit que ça nous amuserait de te faire mal, mes collègues et moi.
Haig (l’innocent cédant devant tant d’adversité) :
Je suis photographe animalier. La zone a été isolée pendant longtemps. Il y a pas mal d’espèces peu connues qui y vivent. Pour certaines, même, c’est le dernier endroit d’Europe où on peut les observer.
Le chauve :
Voyez-vous ça… Quoi, par exemple ?
Haig :
Il y a un gypaète barbu. C’est une sorte de rapace qui construit ses nids dans les hauteurs. Peut-être des ours. Mais le gros lot, ce serait un lynx, un fauve qui ne vit pratiquement plus que dans cette partie des Alpes…
Haig feuillette rapidement le guide en italien et montre une photo au chauve, lequel se tourne vers les villageois et les apostrophe en russe.
Ils viennent regarder la photo. Le chef hoche la tête. D’autres approuvent, avec des exclamations.
Les villageois :
Da !… Da !…
L’un d’eux lève le bras, désignant les montagnes vers l’Ouest.
Le chauve s’empare de l’appareil photo, l’examine et le rejette brutalement sur les genoux de Haig.
Le chauve :
Tu as des papiers ?
Haig :
J’ai eu un accident avec mon side-car. Il est tombé dans un précipice. Je m’en suis tiré indemne de justesse. L’appareil photo en est sorti intact par miracle. Tout le reste a disparu, sauf quelques boîtes de conserve qui m’ont permis de tenir jusqu’ici…
Le chauve (éclatant d’un grand rire) :
Ouaf, ouaf !… En side-car dans les montagnes !… Ouaf, ouaf !…
(Il lance une remarque à ses deux sbires qui, à leur tour se mettent à ricaner). Ouaf, ouaf, ouaf !…
EXT Jour, village
Le chauve a décroché un talkie-walkie de sa ceinture. Il parle un avec un autre type en russe, tout en jetant des regards vers le haut et la citadelle.
Il éteint son talkie-walkie, va vers Haig et s’accroupit devant lui, visage contre visage, yeux dans les yeux.
Le chauve :
Tu loges chez Merkur… (Il désigne du pouce le chef des villageois) Tu ne sors que le jour. Tu ne t’approches pas du château. On te laisse une semaine. Juste pour te prouver qu’on est gentils. Et puis tu disparais. On est d’accord ?
Haig :
Okay.
Le chauve observe un moment Haig en silence, peu aimable, et enfin pose une main bien lourde sur son épaule.
Le chauve :
Bon séjour parmi nous… photographe.
Il se relève en ricanant.
(À suivre)
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