Laurent, surnommé Konstantin par ceux qui l’aiment bien et ceux qui le cherchent pour lui en mettre une, est un homme de plume d’une espèce aujourd’hui disparue : le journaliste régional déjanté.
De nos tristes jours, on ne dit plus « feuille de chou locale », on dit « PQR ». On ne parle plus de « reporter », mais de « stagiaire » payé en roupies. On prononce le mot « information » pour la galerie, mais par devers soi on pense « dépêches d’agence ». On se torche des « lecteurs », vu qu’on a des « annonceurs ».
Décimée, traquée par les gestionnaires, anéantie jusqu’au dernier, cette race de journaleux qui pouvaient vous réciter du Blaise Cendrars par cœur et descendre une bouteille de genièvre, causer d’homme à homme avec le maire, se taper sa fille, entrer chez le chef manouche du coin sans se faire bouffer par les cleps, interpeller le commandant militaire de la place, attendre les demi sels à leur sortie de la Maison d’Arrêt, se faire gâter gratis par la Mado derrière l’écluse, s’inviter à un chapon cocotte chez le notaire et être accueilli d’un godet de vieille prune dans les fermes du bout du chemin des brumes.
« Je n’dirai rien t’a la presse sur s’t’affaire-là !
– Oh, mais j’vous demande rien de rien, père Matthieu… »
Et puis, dans les aubes grisailleuses des provinces, vous taper à toute berzingue sur une vieille manuelle des feuillets flamboyants que l’imprimeur accepterait en bougonnant, « pourriez pas être à l’heure au moins une fois, non ? » et qui feraient plus tard dans la matinée les délices de trois lecteurs et demi.
Konstantin était né pour ça. Seulement, le con, c’était déjà trop tard.
Écoeuré par les lois qui régissent désormais les torchons publicitaires, il a fini par raccrocher les stylos.
On s’est connus à Phnom Penh, au Cambodge, au sein d’une belle petite aventure de presse, un mensuel qui s’appelait Le Mekong.
Je l’ai tanné des années pour qu’il accepte de se rasseoir à un clavier et nous cracher un peu de phrases. Pour nous. Seulement pour nous ; À l’œil et pour le plaisir.
Le voici donc dans les colonnes de votre blog préféré, potesses et poteaux, pour trois ou quatre petits épisodes revenus du bout du monde. Quelque chose comme Hunter S. Thompson au Courrier de Saint-Flour-sur-Pacifique.
Faites-lui bon accueil, y en aura plus si affinités…
Cinq jours et des moiteurs – 01
Un récit du Pacifique sud par Laurent Gourlez
Papeete, j’aime pas.
Mais là, j’y peux rien : c’est l’escale.
Tout est arrivé très vite. En une semaine j’avais décroché le boulot et assez d’argent pour prendre l’avion, me mettre au turbin et tenir un mois sur place. Le but : faire tourner une boîte qui allie imprimerie et édition d’un canard local. Comme c’était soit signer, soit crever de chômage dans mes friches industrielles du Nord, j’ai foncé.
Me voilà de retour en Pacifique sud, dans ce Triangle polynésien que je connais pour y avoir déjà bossé plusieurs années avec pertes et fracas, ou mes histoires se sont toujours très mal terminées : mauvais mélange de caractère et de circonstances.
Jour Un
Je descends du 747. Humidité de dingue et bientôt 30° à l’abri. J’ai cinq jours, cinq putain de jours entiers, à tuer à Tahiti. Sans compter les nuits.
Les gabelous sont relax, on est bien avant le 9/11, la came ne fait pas escale dans le coin, pas non plus de relous en transit traqués par Interpol ou les services français – les mecs savent qu’il n’y a rien à maquiller dans ce trou.
En zone sous douane, un orchestre pour touristes gratte les ukulele à en arracher les cordes. Une poubelle en plastique sert de contrebasse. Ça me déchire les tympans et l’encéphale. Je ne compte plus les clopes et les bières enfilées pour tuer le temps dans la bétaillère du ciel.
Seuls soulagements à ma gueule de bois, les couleurs toujours vives portées par les Tahitiens qui sont un enchantement pour l’œil, plus leur aspect bonhomme qui camoufle très bien leur atavisme guerrier.
Formalités expédiées, direction la capitale, Papeete, dernière escale avant de filer d’un saut de puce vers le vrai, le définitif, l’authentique trou du cul du monde, ma véritable destination. Je nomme l’archipel de Wallis-et-Futuna dont je ne sais rien à ce moment, presque rien. Sauf que par un de ces foutus accidents de l’histoire, il y survit 15.000 marioles de race polynésienne qui sont français et que ce doit être un sacré cirque. C’est planté à trois mille bornes de la Polynésie française, et à un jet de pierre des Tonga. Fidji non plus n’est pas loin. Longueur de bras, grosso modo.
Les loulous de ce coin du monde ne sont pas des enfants de chœur. Je les ai vus à l’œuvre à plusieurs reprises. Première approche début des années 80 : régiment d’infanterie de marine à Fréjus, la Mecque de la coloniale, le paradis des fléaux en tout genre. Gaulois, Pondichériens, Antillais, Africains naturalisés et les Polynésiens. Tous ultra violents mais les Polynésiens tenaient le haut du pavé – ex aequo avec une brochette de Ch’tis totalement barrés. Cause très con, triviale, basse du front. Bagarres. Foyer du soldat cassé, retapé, recassé. Sang. Tornades. Enfer. « Les gars n’allez pas seuls au foyer groupe de cinq hommes minimum et courez vite en cas de pétard. A la douche pas moins d’un peloton encadré par un sous-off ou caporal-chef. Vu ? ».
Des années plus tard j’ai vu une équipe polynésienne de criquet d’idiome anglo-saxon frappée d’amok ou d’hooliganisme avancé, c’est selon, lors d’un match à Oxford où ils étaient conviés pour une rencontre « amicale ».
Par la suite, j’aurai le loisir d’observer tout ce beau monde trois longues années durant à Tahiti avec, pour couronner le tout, la reprise des essais nucléaires
Un sommet, cette histoire : 1995. Chirac relance les essais nucléaires en Polynésie : « [sa] décision est irrévocable ». Jacquouille fait péter des bombinettes à Mururoa et ça passe mal très mal dans tout le Pacifique.
Entre enculés il n’y a pas de doublure et à toute action il y une réaction.
Grosse baston en Polynésie. Aéroport incendié, centre-ville en feu et corps à corps de gendarmes mobiles contre indépendantistes et anti-nucléaires. Entendu d’un gendarme mobile, le type même du cogneur stipendié : « La vache je n’aurais pas cru à un pareil déchaînement de violence. »
Ben si mec ! On t’a pas prévenu que les gars d’en face sont câblés différemment ?
Le Polynésien, qu’il soit Maori de Nouvelle-Zélande, Tongien, Hawaïen, Tahitien ou Wallisien, Samoan, Pascuan, etc., a une réputation de force physique hors du commun, de courage avéré et de violence intrinsèque solidement établie. Attention : en dehors de ces hautes qualités que nombre d’hommes de ce bas monde leur envient, ils peuvent être joyeux, accueillants, travailleurs de confiance… Et aussi habiles, très habiles artisans.
Résumons : les mecs sont des durs.
Des vrais de vrais, à la redresse, des irréductibles, des guedins.
Insensibles à la douleur, en plus. Un médecin torché m’a bégayé autour d’un whisky dans une boîte de nuit : « Fran-franchement je n-n-n’sais pas comment ils sont faits ; ça restera un m-m-mystère pour moi».
Me voilà donc de retour chez eux, à peine sorti de mes brumes françaises mêlées de poussière de charbon, à peine craché du grand oiseau de métal, et trop conscient de la galère dans laquelle je me jette.
Je partage une banquette dans un bus local appelé truck. C’est un camion dix tonnes aménagé de bois et de tôle aux couleurs chaudes avec dedans l’échantillon classique. Une majorité de femmes obèses que des robes à fleurs allègent, visages impassibles, fermés, verrouillés sur leur épuisement secret. Autour d’elles, leurs gosses en nombre appréciable, vifs comme des singes, qui restent cois tout en s’arrangeant pour faire les marioles. Plus l’inévitable mec dangereux blindé à la pakalolo (ganja locale) et à l’alcool qui semble avoir l’esprit ailleurs.
Je trouve ça bien. Fort bien. Vu sa gueule grêlée, sa carrure et ses tatouages de taulard, qu’il m’oublie.
Je descends en plein centre-ville. Gaz de combustion des moteurs, bruit de circulation et climat tropical m’agressent tant physiquement que psychiquement.
J’ai dit que je n’aimais pas Papeete ?
Erreur : Papeete est une ville que j’exècre. Je la vois sale. Elle m’est une horreur pour les oreilles. Elle pue dans mes narines et sa violence contenue mais palpable m’écorche l’âme.
Je déambule dans les rues poussiéreuses inondées de soleil dont l’air est rendu épais par l’humidité Un coup d’ombre, un coup de lumière. Je ne sais où me jeter. Ma seule consolation est le théâtre de la vie qui me donne à voir une société dans son ensemble restée joyeuse en apparence.
Il est midi. Je décide d’aller jeter mon ennui au « Jack-no-go » un rade coincé entre les différents commerces d’une galerie marchande.
Décor sans surprise de bistrot. On pourrait être n’importe où s’il n’y avait les photos classiques de lagon et de pseudos vahinés presque nues aux murs.
Le taulier est un demi-chinois fort sympathique. Il me remet :
– Konstantin, ça fait un bout !
Tête carrée, sourire qui tranche la face. Expansif comme un Marseillais de Pagnol, le gars est en réalité sérieux comme un Prussien en affaires. Un impitoyable.
Je bois une bière pas trop fraîche. Il m’en remet une et s’invite à ma table.
– J’offre !
– Merci.
– Je m’asseois.
– Bien sûr…
Il veut savoir ce que j’ai fait ces derniers mois. Je lui raconte. Il a ce haussement de sourcils que les Polynésiens pour dire mille choses comme bonjour, au revoir, je ne sais pas, la vache, ou ta gueule !
Je lui raconte brièvement les derniers mois passés, un tissu d’histoires qui ne sont pas racontables à tout le monde. Il n’en peut plus de rire.
– Aiiiii, Kontantin !…
Il me donne une tape sur l’épaule et se lève pour aller servir un jeune couple. Autour, le brouhaha s’amplifie, annonçant l’heure de l’apéro.
Dans un état second, décalage horaire oblige, je vois passer l’échantillon classique de la population de l’archipel. Un Tahitien écrase son clope de son pied nu. Des Blanches pressées qui ne se gênent pas pour bousculer un vieux chinois voûté dont l’esprit doit être bien loin. Je remarque que de sa poche de pantalon dépasse un journal imprimé d’idéogrammes chinois. Voilà un gars qui lit les nouvelles d’un pays qu’il n’a sûrement jamais vu et qu’il ne verra probablement jamais, gardant l’espoir intime que ses enfants ou petits-enfants lui racontent leurs impressions du voyage au pays des ancêtres.
Dans le Pacifique, il est possible de vivre vingt ans sur une île tout en pouvant y passer inaperçu, se faire oublier de ses habitants. Si un quidam se barre six mois à Dunkerque et qu’il retourne au Sud, ses relations croiront dur comme fer qu’il était au calme chez lui dans une vallée de l’intérieur où parti se perdre sur une île du coin aux Tuamotu à Takapoto, aux Marquises à Hiva-Oa voire aux Australes pour y faire le coprah ou se faire sucer par une vacancière – ou par sa femme car les vacancières sont rares.
D’où je suis, observateur vacillant sur sa chaise, poing fermé sur la bière, je note que la pression entre autochtones et blancs semble un peu retombée, par rapport à ce dont je me souviens. La fin des essais nucléaires, sûrement. Mais attention : ce n’est pas le beau fixe. En gros : tu viens chez nous c’est bien. Tu barres c’est mieux.
Soyons clairs : les mecs en ont marre des Blancs. Ils aiment leur pognon mais pas trop – Bonne chose, signe que tout n’est pas à vendre…
Un truc me vrille la tête. Pas de la peur mais de l’interrogation. Du questionnement. De l’existentiel À quelle sauce vais-je être bouffé ?
Je tourne et retourne le problème dans tous les sens : Wallis. Capitale Mata Utu. Sacré programme. Trois pelés et un tondu. Durée de mon séjour : indéterminée. Jusqu’à ce que le bonhomme soit usé à la corde, j’imagine…
Je connais pas mal de parties du monde, le luxe des grandes cités européennes comme les bas-fonds d’Asie. L’ennui de la province française, aussi. J’ai toujours tiré mon épingle du jeu question argent et femmes. Pas toujours glorieux mais je retombais sur mes pattes. Mais là, j’imagine le topo et bloque.
Je pense à la solitude. Et ressasse le constat tiré de l’expérience : plus le bled est petit moins on baise. Les mâles sont aux aguets. Ils scrutent. Les femmes serrent les miches. La lippe est serrée. Forte tension sexuelle. Tout le monde fait gaffe.
Le Pacifique version Hollywood, les vahinés, la bagatelle, etc… c’est du foutre en barre. C’est comme Paname pour un blanc-bec. Depuis la fin du turf, c’est la bite sous le bras pour tout homme fraîchement arrivé.
Je chasse les mouches de mon esprit et décide de changer de crèmerie, d’aller boire une bière dans un rade que je connais sur la zone industrielle à Fare-Ute.
Pas eu le temps de changer en Francs pacifique le peu de dollars que j’ai en poche. J’en lâche cinq. No problem : un Chinois ne dit jamais non à un paiement en dollars.
Fare-Ute. Base marine. Et repère à voileux. Demi-putes, bières pas chères et à coup sûr des mecs de connaissance avec lesquels boire sec. Faut tuer le temps. C’est un art !
Ce coin est baigné de l’odeur de l’huile de coco, le coprah, c’est une zone presque industrio-portuaire à l’européenne. C’est laid mais le soleil est là, la France est loin et les gars qui y bossent ont fait vœux de liberté. Ne pas leur casser les burnes et les eaux seront calmes.
Terrasse. Je croise le regard curieux de Polynésiens que je connais de vue. Que vient-il encore foutre ici doivent-ils se dire ? Des types et des Blancs à nuques rouges bossent sur quelque petit chantier naval du coin. Pas des enfants de cœurs. Rugueux mais honnêtes, ces gars n’apparaissent jamais en centre-ville. Ils ont leurs tanières au fond desquelles je fus parfois invité. Parmi eux, certains pirates à haute culture, tous plus ou moins en cavale.
Un Marquisien avec qui je boxais passe. Gueule de Comanche, pommette gauche tatouée. Docker. Bon comme le pain dur comme le roc. Une posture de seigneur.
– Oh Konstantin, t’est perdu ou revenu ?
Les alcools de l’avion plus les bières à jeun, je suis plus qu’à moitié torché. Je fais bonne figure.
– Escale, vais à Wallis !
Il s’exclame :
– Tu vas chez les ploucs ?
– Ben ouais.
– T’as perdu ton boulot pour y aller faire le con là-bas ou tu veux crever ?
– Je pose les valoches. On se revoit plus tard lui dis-je.
Le mec s’éloigne, pas froissé. Il a pigé ma situation.
Après quelques coups bus, retour au centre-ville. Mon alcoolémie commence à être sérieuse. Une journée presque tuée. Je fais un trait sur le manche de mon couteau psychologique.
Assis à une terrasse de café face au port de commerce je reluque les filles. Le taux d’humidité augmente mon désir sexuel. Je suis moite comme dans un lit avec une femme. Mon sexe gonfle.
Le plus surprenant dans le Pacifique est la lenteur de la mise feu pour tout. Mais une fois le feu pris, tout devient possible. Déjà, je barre dingue. Je continue à picoler et imagine chacune de ces filles désirables dans mon lit. Mon baromètre à libido explose. La fin du sevrage approche à grand pas, je le sens.
Je suis dans une sous-préfecture du bout du monde. Tous se connaissent, se haïront, s’aimeront se tueront, se réconcilieront. Il n’y a pas de choix possible. C’est ça ou partir. Si l’on reste, tôt ou tard on revoit ceux qu’on voulait éviter. C’est inéluctable.
À quelques mètres de ma table passent les bagnoles. La densité du trafic me fait oublier la musique de fond lancée du bar vers les tables du trottoir ainsi que les parfums toujours très prononcés des Polynésiennes pour cacher toute odeur de sueur.
Je me retrouve dans un bistrot au décor de chaîne d’hôtel internationale. Les Polynésiens y sont absents. S’y trouvent de rares Chinois. Des « Demis » et des Blancs occupent l’espace. S’y pointe la notabilité locale sûre d’elle-même qui parle biznès autour d’une table ronde en formica.
Je connais cette engeance, m’en suis toujours tenu à l’écart et reste toujours surpris que depuis Gauguin et ses constats rien, absolument rien, n’ait bougé. Inertie immense du Pacifique.
Je les observe avec cette fois un regard curieux mais détaché. Curieux de leur comportement dans l’espace. Pantalon pli rasoir, chemise blanche ou tahitienne, grosse montre, pompes de luxe ; parfois la voix monte pour annoncer une affaire réussie puis redescend aussitôt comme à confesse pour annoncer le montant engourdi ou dire de nom de la victime.
La nuit tombe vite sous les tropiques et tout ce beau monde s’en va chez lui au verre fini, chacun son tour. Une fois levé de la table, la lenteur du déplacement pose son homme, celui qui a réussi. Ma femme attend, ma maîtresse aussi, mes clients idem. Quant aux fournisseurs n’en parlons pas.
Parmi cette faune, certains finiront en taule, d’autres avec le bracelet électronique, quelques-uns seront sur la paille. Pour les meilleurs d’entre eux ce sera fortune faite avec accès au pouvoir politique local sur plusieurs générations.
Business as usual.
Je descends en pression, tape moins dans le verre, la brise de mer me vivifie.
Une silhouette passe sur la jetée, je scanne. C’est LA femme. Je me lève, traverse la rue en courant, vais lui toucher l’épaule. Raph’ se retourne, froide comme la glace. Je reste interdit une fraction de seconde. Elle est l’exact opposé de la féminité de l’endroit avec ses taches de rousseur sur la face, ses cheveux de feu et sa peau orangée, ses yeux clairs toujours dans le vague. Elle et moi c’est un amour contrarié. L’amour contrarié de ma vie. Tout amour est contrarié, doit être contrarié. Sinon de quoi les Dieux s’amuseraient-ils ?
– Konstantin.
Pas d’émotion dans sa voix. J’essaie de ne pas tituber d’avant en arrière mais c’est dur.
– À ce qu’on dit tu vas à Wallis !
– Les nouvelles vont vite.
– Non ! Les morts vont vite !
Je reste perplexe, ne saisis rien de son propos et ne comprendrait plus tard car la complexité de la psyché de Raph’ me fut toujours une véritable torture. Mystère féminin absolu.
Ma fougue d’homme demi-fou dans l’instant me projette dans une pensée sexuelle intégrale.
Amore. Chair. Fluides. Souffles. Sang. Tout ce que je veux.
Seule envie : foncer au travers de sa rousseur intime.
De nouveaux verres d’alcool me passent entre les poings. Du dur, cette fois. Raph’ et moi on va je ne sais pas où. Nous discutons jusque tard, puis elle s’offre sans détour.
Deux corps vigoureux en pleine communion charnelle, ivres, entre inconscience et exultation : paradis furtif.
– Tu pars demain ?
– Non j’ai encore quelques jours à passer ici. Jusqu’à samedi.
Un vol par semaine pour plouc-ville seulement. De la mine tu vas au trou.
– T’es con, reste ici !
Son propos n’est pas une invitation à rester dans sa vie. Elle l’a déjà refusé. Et plusieurs fois. Mon instinct m’affirme que mon passage dans ses draps n’était qu’une offrande à un misérable. Beau geste mais je fais mon deuil de Raph’. De tout espoir de paix avec elle.
Je comprendrais des années plus tard qu’elle avait peur non de moi, non de l’amour mais du vide.
En elle, le vide.
Schizophrénie post traumatique.
Raph’… La vie est un combat. Je le sais. Je le vois. Je le sens. Je le vis. Contre moi d’abord puis contre la terre entière. Il existe des îlots de paix, des rencontres improbables, des amitiés cultivées et enrichies, des amours dont tout homme gardera le souvenir jusqu’à son dernier souffle dans son lit, assassiné au bord d’une route, ou au moment où la balle entrera dans sa tête, ou perdu seul dans le froid.
Je me tais.
Par pulsion destructrice je veux fuir ce havre de volupté et de tranquillité alors que sa main touche mon visage.
Je suis capable de la manipuler pour rester un jour, un mois, dix ans, car je sais que tout fini par craquer un jour. Alors à quoi bon ?
Je tiens mon amour dans mes bras pour la dernière fois.
Je l’embrasse.
Amour partagé, concubinage, mariage ainsi que nombre d’obligations, devoirs et constructions morales ne sont que contrôle social, destruction totale.
Soumission.
Je fuis. Je sors.
Le soleil d’un nouveau matin m’épingle dur contre la façade de l’immeuble. Selon toute apparence, j’ai déjà tué un jour.
(À suivre…)
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