Position du lotus et sexe martien.
Atterrissage en douceur, rien de cassé !
Sur le tarmac, Pierrot est affairé avec le pilote du 737. Il m’aperçoit et me fait signe que je suis invité quand je le souhaite à manger chez lui. Bon à savoir. Au moins mon retour à Nulle-Part / Mer s’annonce-t-il sous de bons auspices, après cette escale calédonienne – des plus agitées, faut convenir.
Il n’y a personne pour m’accueillir, vu que je n’ai rien demandé à quiconque ni informé personne ou presque de mon départ. Parti en trombe, j’ai seulement prévenu Rodineau : départ immédiat, retour dans deux semaines, problème familial. Sympatoche, le mec ne m’a fait aucune difficulté.
Bref, en carafe le Kons !
Une voix me hèle dans le tohu-bohu de l’aérogare. Tête-d’Os. Je laisse venir à moi ce fléau ambulant car, lessivé, je n’ai aucune envie de fendre la foule compacte. Il me souhaite la bienvenue avec tape dans le dos pour marquer son plaisir de me revoir.
– Je t’invite à boire un coup en haut.
Je lui emboite le pas jusqu’au bar. C’est parti pour un rince-gueule, déjà oublieux de la beuverie avec Franck, laquelle n’a pourtant eu lieu que trois heures plus tôt.
On picole et on cause de la pluie et du beau temps.
Que s’est-il passé pendant mes quinze jours d’absence ? Rien d’important. Tant mieux.
Je peux faire confiance à Fano pour son rapport. En vrai chien de chasse, il a la truffe fraîche et les oreilles toujours bien dressées. Il est au courant de TOUT. La preuve, il sait déjà les détails de mon séjour sur le Caillou et chaque turbulence subie. Miracle du téléphone bambou, version océanienne.
Une règle d’or : ne jamais chercher à comprendre d’où vient la fuite ni qui est le vecteur, volontaire ou non, du ragot ou de la vérité surgie nue du lagon…
Selon lui, donc, je n’ai rien loupé et, plus important, rien foiré. J’avais prévu large en laissant à la rédaction un max d’articles en rab, prêts à être publiés, plus le bon soin à Rodineau de se démerder au clavier – heureux de savoir qu’il allait transpirer un peu. Sans compter l’excellent boulot de Franck, à même d’amortir le choc pour l’équipe, à quoi s’ajoutaient encore des papiers envoyés par une correspondante à Futuna. Je suis rassuré, si besoin était : la reprise s’annonce sans accroc.
On s’enquille l’escalier, direction le bar.
– Au final, tu t’es bien marré à Nouméa, hein ?
J’explique qu’il y a du pour et du contre, le contre tenant surtout au fait que je n’étais pas d’une joie béate à propos de la (triste) raison de mon départ. Le pour étant bien sûr l’accueil fraternel de Franck.
Le propos de Fano laisse transpirer une nostalgie certaine de Nouméa.
Je ne lui ai jamais posé la question, et ne la poserai jamais, de savoir pourquoi il avait atterri dans ce foutu archipel. La principale raison, le fait qu’il soit marié à une Wallisienne ne m’apparaît pas tout à fait suffisante à son enterrement sans espoir dans l’île. Mais bon…
On ne le demande jamais.
C’est le type de question à éviter sous peine de recevoir dans les dents l’invariable réponse :
– Et toi, hein, Ducon ? TOI ? Pourquoi qu’t’es là, hein ?
Donc, on reste dans le banal. Je raconte mon périple sans trop entrer dans les détails.
– Ah ouais t’es passé par là… Sympa… T’es allé dans ce coin, aussi ?… Pas mal, hein ?…
La conversation risque fort de virer au monotone le plus total, avec un Fano qu’atteint le coup de bourdon, souvenirs aidant, lorsque, arrivés en haut des escaliers, un papalagi (un Blanc, dans le dialecte local) se précipite sur nous, nous barrant l’accès au bar plein comme un oeuf, bruyant comme une salle de PMU à l’heure de l’apéro.
– SALUT GALOPIN !!!
Le cri jaillit d’un corps massif, exprimé d’une voix de stentor. Il me secoue comme une gifle appuyée à l’instant même où je sens poindre une massive gueule de bois. Parole, il me faut produire un effort surhumain pour ne pas hurler un « FERMEZ VOS GUEULES ! » des familles. L’envie m’en passe aussitôt car Fano m’a chopé par la nuque et propulsé vers une table, tout en lançant à l’inconnu dans notre sillage :
– Ah, il ne manquait plus que toi ! Viens avec nous autres…
Aïe. Aïe. Aïe…
C’est reparti comme en 40.
J’ai à peine mis les pieds sur l’île que je suis déjà embringué à descendre des bières !
Heureusement, l’inconnu est chaleureux : la moustache vercingétorienne, le coffre solide et l’oeil malicieux.
Nous nous engageons tous trois avec vaillance dans un combat bref mais intense pour repousser tout risque de déshydratation. Le danger est assez vite écarté, en même temps que la conversation se fluidifie. Le courant passe bien. Très bien, même.
En homme du monde, Fano a fait les présentations. Bruno est ancré au bled pour avoir épousé un femme du coin. Comme je l’ai mentionné plus haut : rien que du banal. Mais je tique un peu quand j’apprend qu’il est professeur de sport. Hmmmm, je pressens que l’oiseau a un passé agité. Cependant je ne cherche pas à gratter le vernis, sachant d’expérience que celui-ci s’écaillera tôt ou tard.
Laisse venir, Kons, laisse venir. Tu sauras tout, ou presque…
Dans ce milieu îlien, chacun se retrouve à un moment ou à un autre à poils face à tous les autres. Nul besoin de consulter un quelconque « Who’s who des frappadingues », de poser des questions, demander ceci ou cela, car il se produit toujours un éclair qui nous apprend tout du personnage.
Très urbain, Bruno nous invite à déjeuner le lendemain midi, dimanche.
– Tu viens avec ta femme, Fano.
– J’sais pas si elle viendra, mais moi j’y serai à coup sûr.
– Toi pareil, m’enjoint-il.
– Moi, je suis seul.
Bruno rigole :
– Eh ben tu en loues une. Ou bien tu en achètes une. Mais dans le second cas, ne te trompe pas sur la marchandise car tu l’auras sur le râble pour un bail. Maquignon, ça ne s’improvise pas. Allez, salut la jeunesse !
Bruno se lève et tourne les talons.
Sentant la tournure que va prendre la journée du lendemain, j’annonce la dernière tournée à Fano et je joue l’esquive avant qu’il ne remette la sienne en le priant de me déposer à la rédaction du journal.
Il y consent de bonne grâce.
Seul au canard, dans la salle climatisée, je fais le point rapidement. Consulte les deux numéros parus en mon absence. Rien de notable. Regarde les fax. RAS. La boîte mail. RAS…
Avant d’être happé par l’ennui et de glisser dans le cafard, je récupère la clé de la bagnole posée en évidence sur mon bureau (Merci Rodineau) et rentre chez moi.
Une douche froide me remet les idées en place. Bière, clope, l’esprit est en ordre de marche.
Rien à bouffer. Okay, je m’habille et ressors, sentant que je vais partir en vrille si je reste seul.
Superette. Des Blanches flanquées de leurs mecs s’offusquent à voix haute de ne pas trouver de yaourts. Apparemment, c’est le scandale du siècle.
– En l’an 2000, tout de même…
Plus loin dans les rayons, des Wallisiens remplissent à ras-bord leurs paniers de victuailles et de bières. Un truc est en préparation quelque part. Histoire de ne pas être en reste, je fais moi aussi le plein pour l’invitation du lendemain.
– On va les soigner, espère…
Arrivé à l’heure dite chez mon hôte, je suis d’abord soufflé par la beauté du coin. Une maison blanche toute simple mais entourée d’un jardin immense et luxuriant. Bruno m’accueille. On s’assoit sur la terrasse devant ce morceau de paradis.
– Alors, bonhomme, tu ne t’es pas perdu ?
Voix métallique, avec du sourire dedans.
– Pas du tout. Tiens, c’est pour ta femme, ce bouquet. J’ai pas trouvé la gnôle que tu mérites, mais je sais que tu me pardonneras…
L’épouse de Bruno est wallisienne. Je me lève à sa venue.
– Bonjour madame.
– Bonjour Kons.
Elle respire la gentillesse et la tranquillité. Tout soudain, je me rends compte que c’est la première fois depuis longtemps que je rencontre une personne équilibrée et sobre.
Bruno :
– Assieds-toi, nom de dieu ! Tu aimes la tortue ?
– Jamais goûté.
– Tu vas t’y entraîner les papilles. Remarque, ça n’a rien de terrible. C’est juste histoire de pisser au cul du monde entier parce que c’est interdit. Fano va se pointer avec sa femme et une amie. N’attendons pas…
Il lance de la zique et m’offre un Bourgogne blanc.
– Trinquons.
– Santé !
Le Bourgogne est bu quand Fano et son épouse arrivent. Ils sont suivis de peu par l’autre invitée, Henriette, une Guyanaise qui bosse pour l’une des administrations d’état.
Je crois.
Si j’ai bien compris.
Parce que, tandis que se déroule le repas pantagruélique, émaillé d’anecdotes sur le bled, comme toujours plus dingues les unes que les autres, je suis pris d’une violente pulsion sexuelle pour la dame qui présente les immenses avantages d’être célibataire, intelligente et pas bégueule.
Ma vue est trouble. Je ne vois plus qu’un Kâma-Sûtra en kaléidoscope. C’est du LSD sans LSD, avec en bouche le goût du vin.
– Du pinard de précision ! comme le qualifie Fano.
J’écoute d’une oreille plus que distraite la conversation, tout à mes fantasmes sexuels avec Henriette. Qui d’ailleurs me jette parfois un oeil sinon lubrique, du moins pas désintéressé.
J’avale de la tortue. Je bascule le rouge de Bruno. Je me tiens coi. Je soupèse en pensée une poitrine que j’espère ferme. Je plonge et replonge en pleine science-fiction de la fesse.
Tout y passe, de la position du lotus au taureau martien.
Oeillades de la salope. Pardon: de la belle.
Fonce, Kons, lâche-pas le morcif !
Ce repas dominical tranquille et joyeux prend soudain un tour inattendu quand un pigeon vert passe sur le bord de la terrasse. Fano se fige illico. Il n’est plus que tension. Ce grand fada est à l’arrêt, tel un braque.
– J’irai bien faire un coup de chasse !
Il repose avec une lenteur inhabituelle son verre pour donner du poids à son propos. Lequel me tire de mon imaginaire pornographique et capte l’attention de Bruno, qui se lève et renchérit :
– C’est une bonne idée que tu as là. Je vais chercher mon douze.
– Moi aussi, rétorque Fano.
N’ayant pas d’arme, je me propose de faire le porte-gibecière et, comme un seul homme, on fait cul-sec er on quitte la table, laissant les trois femmes médusées.
Armes vérifiées. Cartouches bien au chaud dans les poches. Bières entassées dans un sac à dos. Direction le nord de l’île, « pour taper du pigeon ».
Fano exige de monter sur le toit du pick-up avec son superposé. Bruno est au volant. Je tiens son semi-auto entre les jambes et je sens les emmerdes arriver vitesse grand V. L’affaire pue le fait-divers à plein nez avec, au choix, l’accident de bagnole ou le drame de la chasse. Au-dessus de nous, Fano gueule :
– Surtout freine pas, Bruno !
La route en plein tronche, c’est duraille.
– Te bile pas, s’égosille le pilote.
Et moi, j’ai la sale impression de faire gaffe pour trois, seul individu lucide de la troupe.
J’ai tourné la page érotique du repas à cause de cette appréhension qui me monte, trouillard que je suis !… Les Walllisiens que nous croisons sont hilares de découvrir un pareil équipage… Les voir gueuler en fermant le poing pouce en haut tempère un peu mon appréhension de tomber sur des gendarmes… Ou des personnes qui me prennent au sérieux – il y en a !
Sur la route qui donne accès au polygone de tir aux pigeons. Pleine descente. 20 km/h au compteur. Coup de feu. BANG !
– J’l’ai eu nom de dieu !
En un éclair de seconde, Bruno rétrograde, parfaite souplesse, laisse filer doux le 4×4. Fano, vrai singe, saute sur le bas-côté pour récupérer le volatile.
Chanceux, le mec. D’avoir touché l’oiseau, et d’une. Et de deux, d’avoir Bruno au volant. N’importe qui d’autre aurait freiné brutalement et l’aurait envoyé ad patres ou aux soins intensifs. Miracle du jour !
Pendant une heure, on traîne en vain dans le coin. Peine perdue.
– Y se sont passés le mot, les enculés !
Fano est en colère contre les pigeons. Veines du cou gonflées. Voix rauque.
– Fumiers ! Tout ça pour ça !…
Bruno a une solution de rechange sous la main.
– On attend le passage des roussettes pour pas rentrer bredouilles !
Et nous voilà en embuscade, torturés par les moustiques, buvant les bières que Fano ne cesse de sortir du sac, le regard haut dans le ciel, le jour déclinant.
La quinzaine de cartouches emportée apportera dans la gibecière une poignée de chauve-souris candidates au suicide. Comment Bruno et Fano ont-ils pu avoir le fusil heureux avec le manque de visibilité, les attaques incessantes des insectes, l’excitation de la tuerie et le séchage de trois packs de bières ?
Incompréhensible.
Tous les honneurs reviendront à Bruno qui fera tomber à ses pieds une roussette et gueulera alors de joie :
– Le coup du roi, nom de d’là !
Retour sportif. Avec arrêts techniques chez des connaissances de mes deux compères, jusque là inconnues de moi.
On n’est pas de retour chez Bruno avant l’heure du dîner. Bien sonnée. Je jette un oeil ici et là : Henriette a disparu. Dur constat, je suis le roi des imbéciles. Enterré, le Kâma-Sûtra.
Bruno nous impose de rester manger. Flairant le piège, je précise qu’une dure journée m’attend le lendemain et que je ne m’attarderai pas.
– Pas de problèmes, mon gars !
Et il commence à servir un blanc glacé que nous engloutissons illico sous les regards identiquement sévères des deux épouses.
Fano me rend un fier service. Il demande, l’air de rien, où est donc passée Henriette.
– Elle est retournée chez elle.
– Elle n’a pas d’ivrogne à ramener, elle !
La femme de Fano donne le ton. Les choses sont claires.
– Elle a même oublié son châle…
Je demande discrètement à Bruno où vit Henriette.
– Fais-moi un crobar, s’il te plaît!
Il s’exécute avec un sourire, sans rien demander. Discret, le gars. J’apprécie.
J’enfourne le repas, j’embrasse les dames, je serre les pognes des potes… et je chope le foulard.
– Je lui rapporte tout de suite.
– Mais c’est à l’autre bout de l’île, s’exclame l’épouse de Bruno.
– Pas grave !
Je fonce, grisé par l’excitation.
Foutu kaléidoscope !
Musique à fond, clope au bec, boîte de bière entre les cuisses.
J’arrive malgré la nuit à destination, un coin paumé.
Toc toc toc.
La porte s’ouvre.
– Entre, je t’attendais…
(À suivre)
C’est sur cette treizième chronique que Laurent Gourlez, mon pote, alias Konstantin, dit Kons, achève cette deuxième volée de souvenirs – après son escale à Tahiti dans Cinq Jours Et Des Moiteurs, série déjantée toujours disponible sur ce blog.
Eh ouais, désolés. On n’en saura pas plus pour l’instant sur Henriette la belle Guyanaise. Kons a des soucis en tête, des problèmes à régler, des petits ennuis de santé et d’autres déboires qui ne regardent que sa pomme. Il nous reviendra vite. Cet hiver, sans doute. Ou un peu plus tard. Qui sait ?…
Nous, potesses et poteaux, on se prend une semaine de rien-foutre, histoire de ménager une transition, et on attaquera une petite série estivale bien tranquille, intitulée Un Été Avec Bixby.
Bixby ?
Késaco, Bixby ?
C’est qui, Bixby ?
Ben… Vous verrez !
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