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Les Wallis de Kons 09

Publié par le 15 mai 2021

 

Que la fête commence !

 

14 juillet.
Fête nationale. Et schizophrénique.
Les républicains ont tapé dans l’armoire à vitamines, sont dopés à mort.
Bordel de merde on va voir ce qu’on va voir ici c’est la république merde on va le leur rappeler à ces indigènes la république bordel !
Mouais…
Tous finiront par écouter sagement la chorale des gamins chanter La Marseillaise car, rodomontades de Blancs exaltés n’empêchent, tant Wallisiens que Futuniens sont viscéralement attachés à leurs coutumes et à leurs rois.

Les quelques âmes lucides se bidonnent doucement en observant les quelques édifices d’état se pavoiser de flammes tricolores. La vraie fête nationale, on la renifle plutôt du côté du palais, où se prépare la cérémonie du Kava royal au cours de laquelle les officiels gaulois en cravate vont se mêler aux chefs coutumiers et au roi pour boire leur bolée de jus de racine de poivrier sauvage pilé, à l’ombre, protégés d’un cagnard présent mais pas trop méchant : c’est la saison la moins chaude de l’année.

Les tauliers des quelques guinguettes improvisées au centre de Mata’Utu ont prévu dans leur grande sagesse le rabiot de bière et de gnôle, sur l’air du « quand y en aura plus, y en aura encore ». Une poignée de jeunes marioles ont installé près du quai de transbordement, c’est à dire juste en face du palais du roi, une paillote qu’ils ont baptisée « Chez Francis » – hommage roublard à celle détruite avec un sens achevé du ridicule par les autorités française sur ordre du préfet Bonnet au bord d’une plage du sud d’Ajaccio.
Tout le monde rit de ce trait d’humour sauf, bien entendu, les gendarmes dont certains de leurs camarades de Corse ont donné par cette grande foirade ses lettres de noblesse à la paillote homonyme de la Cala d’Orzo…
Au menu du Chez-Francis wallisien : viande et poisson grillé. Au bar, bières en boîtes et boutanches de whisky. Aux gosiers, citoyens ! Il y aura même un orchestre avec batterie et guitare électrique, entendez-vous dans nos poussières d’empire, ambiance du tonnerre de Dieu garantie !

Pour les natifs des deux îles, bons philosophes, ce 14 représente un moment de détente. Du calme, citoyens. Mais pour la plupart de ces messieurs les fonctionnaires de métropole, mutés pour deux ans, quatre ou plus si affinités, il s’agit avant tout de célébrer (tambours !) la République. Les jacobins endurcis ont les neurones historiques et idéologiques qui tournent à plein régime à en risquer l’accident nucléaire.
– Il est tout de même inconcevable…
– Oh, vous savez…
– Inconcevable, dis-je, de cautionner ce mélange des genres !
C’est un chef de service qui attend mon approbation. Je souris poliment et tourne les talons, histoire d’échapper à une joute verbale que je sais par expérience stérile.
Ce qui est si inconcevable pour lui comme pour des tas d’autres, c’est la participation de son Excellence l’Administrateur du Territoire, préfet de métier, au Kava royal en présence du Lavelua, le roi de l’île depuis 1959 (et qui le restera pendant cinquante ans).
En gros, on ne mélange pas les torchons et les serviettes. Les rituels de la civilisation républicaine avec ceux des sauvages arriérés.
C’est oublier un peu vite que ni la monarchie élective d’Uvea (le nom vernaculaire de l’île de Wallis), ni les deux micro-monarchies de Futuna, ne représentent une quelconque menace, en ce début du XXIème siècle, pour l’orchestre politique jouant sa partition à Paris. Mieux, elles existent officiellement dans les textes de loi.
Mais les principes, ce sont les principes. Et les plus excités en seraient presque à monter une guillotine foraine.
Ajoutez à ça, pour corser le toutim, que la population est à 99 % catholique, pratiquante, même fervente, que le Monsignore archipélagique, un Wallisien pur beurre, est une autorité incontestée pour quinze mille âmes dévouées à Dieu tout puissant, et que les enseignants, cheptel qui forme le plus gros des fonctionnaires métropolitains sont pour la plupart des bouffeurs de curés pour qui cette puissance ecclésiastique est dure à avaler.
L’art est difficile et la critique facile. Je n’imagine pas un Wallisien laisser salir la royauté ou la religion sans réagir, disons, fermement. Aussi les piques lancées contre l’une au l’autre de ces institutions, piliers de la société traditionnelle, se lancent entre convaincus. Entendez : gens du même monde. Des critiques pas toujours injustifiées mais souvent exagérées, le syndrome de l’enfermement insulaire tapant dur dans certaines têtes.

Allons z’enfaaaaaants…
Les gamins des écoles chantent juste et bien. Les pirates du Régiment d’Infanterie de Marine du Pacifique défilent. Gueules de fer, corps d’acier. Troupe et sous-offs océaniens sont des durs-à-cuire, les officiers blancs ont l’air coriace.

Les cérémonies achevées, je me retrouve au fameux « Chez Francis ».
Ouf !
Soulagement.
Bien que le rituel coutumier soit par définition immuable, il semble être d’un intérêt toujours renouvelé pour les Wallisiens aux rares distractions.
Au bar et aux tables de la paillote, un vent de folie embrouille la gueule de tout le monde, la bière coule à flot, la musique est à fond et les rires francs, ça change de l’ordinaire.
– Kons, ça baigne ? me demande une connaissance.
– Ouais, merci. De même pour toi, j’espère…
Je m’éclipse un moment à la rédaction du journal pour décharger les photos, opérer un premier tri parmi ce qui sera publiable, prendre un peu d’avance, taper quelques légendes, un texte ou deux à chaud, puis je plie les gaules et retourne Chez Francis, où ça ne désemplit pas ni ne s’assagit, histoire de manger un morceau.
Rapidement, je décide de rentrer chez moi.
Marre du bruit.
Fatigué.
Des heures à rallonge, celles passées à observer la cérémonie coutumière, interminable, avec ces dizaines de cochons morts qui n’en pouvaient plus de ce purgatoire.
Je me sauve, coude à la fenêtre ouverte, douceur de la fin du jour, cigarette au bec.

Ce 14 juillet passé, j’en ai vu, des fiestas.
Assister aux cérémonies du cru, c’est une bonne partie du boulot de localier.
Fêtes religieuses qui, pour certaines, se fondent avec les fêtes coutumières.
Fêtes de district ou de village.
Consécration d’une chapelle ou d’une église sortie de terre.
Communions solennelles.
Sans oublier tout ce que l’on trouve comme occasions dans le calendrier, Pâques, victoires militaires et autres Toussaint, il y en a pour tous les goûts…

Pour les Wallisiens comme pour les Futuniens, c’est un rythme de vie séculaire. On est bien loin de l’exubérance tahitienne et de la sensualité exhibée, comme aux fêtes de juillet, le fameux Heiva – devenu; business oblige, un argument de vente touristique. Si à Tahiti la vahiné est exhibée, symbole indépassable de la sensualité tropicale, ici, les femmes, qu’elles soient mariées ou célibataires, chantent et dansent assises, et seuls les bras sont nus.
Ce sont les hommes qui dansent. Debout. Mastards. Des parades guerrières. Exit Noureev et Le Lac Des Cygnes. C’est viril.

Les débordements ne sont pas tolérés, car tout est empreint de sacralité. Par exemple, à table, même s’il faut manger beaucoup, il est mal vu de forcer sur l’alcool.
Invité à déjeuner lors d’une fête de village dans le district sud, j’ai vu un participant devenir… disons… remuant. Vite calmé puis éconduit, il aura par la suite comme punition l’obligation de nettoyer les abords du village.
Voilà qui me rappelle qu’à Tahiti, le maire de la petite ville de Mahina avait tenté de rétablir la tradition de la punition coutumière. Le gars était surnommé « Le Sheriff » car il avait équipé sa police municipale de voitures frappées d’une étoile bleue surmontée d’un « Sheriff » en grosses lettres. Les flics, en plus de l’uniforme taillé sur mesure, arboraient un stetson à étoile et certains montaient des motos américaines. Loin de s’arrêter là, le type était allé jusqu’à habiller les punis de tenues rayées, façon Dalton, histoire de bien leur faire comprendre qui était le patron, et surtout qu’ils feraient mieux d’arrêter les conneries, avant que le Haut-commissariat mettent un terme à cette ancestrale pratique accommodée sauce western.
À Wallis, lucides sur ce point, les autorités ont fermé les yeux sur certaines brutalités honnies en Europe mais bien ancrées sur l’archipel. C’est qu’elles n’ont pas grand chose sous la main pour clamer le rebelle d’un jour. Les gendarmes ne sont qu’une poignée et ils ont interdiction de porter à la ceinture leur arme de service. De toutes façons, même plusieurs argousins armés de matraques (qu’ils n’ont pas !) ne feraient guère le poids face à cent cinquante kilos de muscles frappés d’amok.
On laisse d’autant plus la bride sur le cou aux punitions coutumières qu’aucune association de défense des droits de l’homme n’oserait y fourrer son nez.
Un administrateur plus sensible que les autres a tout de même exigé, il y a quelques décennies, qu’on mît un terme à la flagellation à la queue de raie. Le hooligan du moment était attaché par les bras à une poutre de la maison avant d’être frappé. De quoi rester couché une bonne semaine sur le flanc, a minima, avec comme souvenir des cicatrices à vie. La queue de raie, côté abrasif, ça n’a rien à envier à l’arête d’une brique !

Toutes ces fêtes sont pour moi synonyme d’ennui, avec le pompon décerné aux cérémonies du Kava royal, honneur parfois réservé aux visiteurs de marque, histoire de les achever, sans pouvoir y couper, à l’issue d’un voyage long et triste, comme en témoigne en général la mine déconfite des officiels à la sortie de l’avion.
Exemple : la visite d’un ministre de l’Outre-mer.
Les commandos de la morale débarquent du 737, tout ce beau monde accueilli par l’Administrateur en tenue blanche tropicale. Tous ont envie d’en finir au plus vite, comme ne le montrent pas les sourires qui fendent les faces.
Pour le haut-fonctionnaire en poste, c’est une corvée.
Pour les Parisiens, c’est un purgatoire.
– Mais qu’est-ce qu’on fout chez ces ploucs ?  se demandent-ils.
D’autant plus qu’ils en savent autant sur le bled que je m’y connais en astrophysique. Le néant absolu. Et, pour couronner le tout, à Wallis, pas d’hôtel cinq-étoiles climatisés, pas de cocktail à enquiller, et surtout pas de putes de luxe à tringler la nuit.
De leur côté, les chefs coutumiers ne voient dans cette arrivée de Blancs pas dessalés qu’une aubaine, celle de gratter un peu de pognon à l’État nourricier.
Et c’est parti pour la farce.
Discours officiel en plein air, comme par hasard au moment le plus chaud de la journée. En costume-cravate, le vaillant ministre donne les gages qu’il se doit de donner, explique, promet, passe la brosse à reluire, cet archipel qui… cette terre de France que…
Il se liquéfie à vue d’oeil.
Il se décompose encore plus quand il lui faut boire le kava.
Il fond littéralement en regardant les danses.
Il n’en peut plus !
Ses acolytes ne lui sont pas d’un grand secours moral, n’encaissant pas mieux, et l’arrivée des moustiques n’arrange rien.

Trois petits tours et puis s’en vont. Et c’est tant mieux pour tout le monde. La plaisanterie a assez duré. Personne n’est dupe du manège auquel chacun a vaillamment participé, et tout est bien qui finit bien.
Comme le Territoire est le seul avec Saint-Pierre-et-Miquelon à ne pas avoir de contentieux colonial avec la métropole, les esprits restent calmes. Le fric continuera à tomber pour être dépensé avec plus ou moins de bonheur, selon les besoins du moment et surtout selon les appétits du genre nombreux et du genre aiguisés.

J’assisterai pourtant une fois à une fête wallisienne foutraque, au syncrétisme très particulier.
– J’t’invite à une sauterie demain soir ! m’annonce Tête-d’os, tout joyeux.
Je l’ai croisé par hasard un midi au sud de l’île, alors qu’il bossait dans un jardin près de « l’arbre à couilles ».
– Ah ouais, c’est quoi le plan ?
– Tu verras, c’est sympa, c’est une communion.
– Tu te fous de ma gueule ?
– Nan !… Y aura à boire à plus soif, à bouffer à en crever, ça te plaira tu peux être sûr !

Bon.

J’y vais par politesse, arrive tard, alors que la nuit tombe.
Musique wallisienne à tout péter. Gueulantes. Rires. C’est la grosse fête.
– Oh, Kons, viens par ici !
Visiblement, j’étais attendu. Un Wallisien me fait signe de m’assoir à ses côtés. Je vois des têtes connues. D’autres moins. Une grande claque me frappe le dos.
Tête-d’os.
– T’as fini par venir quand même, me dit-il, rigolard.
Je suis pris au piège d’un Kava familial qui clôt une journée commencée par la messe de communion. Un mec me tend une bolée faite d’un demi-coco. Cul-sec, comme il se doit. Putain de merde, je manque de m’étrangler ! Je viens de boire l’équivalent d’un plein verre de Ricard.
Tête-d’os se fend la gueule. Les Wallisiens qui nous entourent encore plus. Un type me tend déjà une autre bolée. Je ne peux pas refuser, sous peine d’insulter l’hospitalité de mes hôtes.
Rebelote.
Oh, ce piège !
Fumiers !
Enfin, ils me lâchent la grappe. Ouf !
Tête-d’os prend le relais et engloutit une bolée. Je comprend pourquoi les mecs me semblent pas nets, leurs yeux trop brillants, leurs gestes ralentis. À la place du kava, ces dingues ont rempli un tanoa (un bol de bois géant à plusieurs pieds) d’une bonne vingtaine de litres de Ricard, avec quelques bouteilles de menthe pour faire bon poids.
Loin de faire le beau, je joue au mec fatigué, histoire d’avoir une excuse pour me casser rapidos, certain que le vent va bientôt tourner. Après avoir avalé cul-sec deux ou trois autres coups offerts, aussi bien tassés que le premier, c’est avec de grandes difficultés que je repars chez moi.

Quelques jours après, Tête d’os me racontera que mon instinct ne m’a pas trompé et que je suis parti juste avant la bagarre générale, avec comme clou de la soirée une baston en voiture entre le conducteur et son passager, tous deux étant les meilleurs amis du monde. Le premier, qui raccompagnait l’autre chez lui, s’est pris une droite et a répliqué aussi sec, lâchant le volant.
Pas de mort, mais un oeil énucléé et un bras cassé tout de même…

(À suivre)

 

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