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Saint-Meurtre-sur-Loue 32

Publié par le 4 octobre 2025


Luna enfonce sèchement la lame du
grand couteau dans le flanc droit de Florette, à hauteur du diaphragme, sur le bord supérieur de la bouée que forme l’abdomen comprimé par les ficelles.
Elle tranche, obtient une entaille de la longueur d’une main.
Lâchant l‘ustensile maculé de sang qui tombe et rebondit sur le carrelage avec un bruit grêle de clochette, elle plonge sa serre gantée à l’intérieur de la plaie.
Arrrrrrgh !… Aaaaaargh !…
Les hurlements de Florette dont le corps s’est soudain tendu, roide contre le pilier, petits poings gras serrés, tête levée, ameuteraient le village entier s’ils n’étaient contenus par le bouchon de chiffon et de ruban adhésif.

La griffe noire maintenant luisante de fluides extrait d’une seule traction la masse du foie. Elle sort de son logement avec un humide bruit de succion ourlé de vibrations de pet.
C’est un bloc de chair rose sombre, presque mauve, mate, parcouru de filets de sang et zébré de filaments graisseux jaunes.
Les doigts crispés par en dessous dans cette masse tremblotante, prenant bien soin de ne pas écraser la poche verte de la vésicule biliaire, Luna exécute un quart de tour sur elle-même et se penche, dos courbé, pour couper les trois veines hépatiques tendues comme des câbles de traction, d’un coup précis du désosseur en travers de chacune.
Puis c’est la veine cave, environ trois fois plus large, qui, tranchée, crache un jet de sang épais avant de se rétracter et de disparaître à nouveau dans les entrailles.

Tout en œuvrant, elle marmonne entre ses dents :
Voilà… Parfait… Voilàààà… Et voilà !
Triomphante, elle se redresse et brandit haut le foie de Florette. Il mesure environ trente centimètres de long. Sa surface est boursouflée de mamelons luisants, gorgés de graisse, que séparent les vallées profondes des sillons diaphragmatiques.
Eh ben dis donc, remarque-t-elle, tu t’es gavée, toi ! On pourrait presque se faire un foie gras. Seulement, il faudrait le faire bouillir et tout et tout. Ce serait trop long. Tu serais crevée avant qu’on ait fini !

Tout en parlant, elle s’est dirigée vers le fourneau. Elle contrôle l’intérieur de la poêle, se penche, hume le fumet des oignons, émet un léger claquement de langue insatisfait et écarte la poêle du feu.
C’est déjà prêt de cramer. Merde, ce serait dommage…

Ayant gagné le billot de boucher, elle laisse tomber le foie au fond de la vallée creusée par un long usage. À l’aide de la courte lame extrêmement pointue du désosseur, elle détache la vésicule, la tenant délicatement entre le pouce et l’index. Ensuite, à tout petits coups précautionneux, elle agit de même avec les conduit biliaire qu’elle finit par ôter de la masse, avec le fascia, la matière translucide qui enveloppe tout l’organe.
Voillààààà…

Elle jette ces déchets à terre, puis
se saisit sur la barre magnétique d’un autre grand couteau, un « santoku » à large lame de machette. S’en sert pour séparer du bloc de chair violette le petit lobe gauche qu’elle laisse tomber à terre avec la même négligence.
Paaaarfait !
Enfin, d’un geste de boucher expérimenté, la main bien à plat, elle découpe horizontalement une bonne tranche du lobe droit et va immédiatement la déposer dans la poêle, qu’elle replace sur la flamme.

La viande commence à grésiller doucement.

Le parfum des oignons s’entrelace à l’odeur métallique de sang frais qui baigne la cuisine.
À celle de la sueur d’innommable trouille que la peau de Florette a expulsé par litres.
À l’affreuse, immonde, indéfinissable senteur du crime, de la douleur et du mal absolu que seuls savent reconnaître ceux qui sont passés par l’indicible.

Jfais pas trop cuire, hein ? C’est meilleur quand c’est encore rosé, je trouve…
La créature se tourne vers sa victime pour quêter son approbation, d’une cuisinière à l’autre, comme qui dirait entre collègues, et elle s’aperçoit que celle-ci a perdu connaissance.
Florette a les yeux fermés au milieu des trous de la culotte affriolante. Le corps est avachi dans ses liens. L’entaille ouverte à son flanc droit crache par à-coups des jets de sang rouge clair, de l’exacte couleur du vernis de ses ongles de doigts et d’orteils.
Luna grommelle :
Ah non, pas de ça, hein !
Sa voix grave, soudain emprise de colère, semble un grondement de fauve.

Elle court à l’évier, emplit rapidement une bassine qu’elle trouve sur l’égouttoir, revient à la suppliciée et lui balance sans ménagements le contenu à la tête.
Les yeux de Florette s’ouvrent brusquement, un instant hagards, puis, la réalité de l’enfer dans laquelle elle est plongée s’imposant à sa conscience, la terreur et la douleur reviennent envahir ses prunelles.
Reste avec nous, connasse !
Luna lui balance un sourire et lui souffle, comme en confidence :
Tu ne vas quand même pas rater le meilleur

Quand elle juge la chair cuite à son goût, la criminelle va se munir d’un couvert et d’une assiette qu’elle pose au bord du fourneau. Elle ferme le gaz, verse le contenu de la poêle dans l’assiette, arrange la garniture d’oignons et d’ail à sa convenance.
Maintenant, voyons voir à voir !

Elle découpe un morceau du foie, le porte à sa bouche.

Elle mâche, avec des petits grognements de satisfaction. L’action de ses maxillaires fait aller d’avant en arrière sa cagoule en haut de son front. Ses joues se déforment alternativement, un côté après l’autre, comme poussées par un cube de guimauve de foire dégusté par un gamin gourmand.

Hmmm… Hmmmm…

Elle avale.

Alors, se tournant vers Florette qui en train d’agoniser contre son pilier, les paupières quasiment fermées sur un regard déjà dans l’autre monde, un regard qui n’est plus qu’un trait, plus qu’une imperceptible rayure de lumière, Luna lève sa fourchette d’un geste docte et, sur le ton à la fois patient et lassé, scandé, d’un maître d’école répétant une éternelle leçon mal comprise à un cancre de sa classe, elle récite :
Il était une fois ! Dans la ville de Foix ! Une marchande de foie !…

Elle découpe un bout de chair, l’enfourne, mâche, déglutit.
Qui vendait du foie ! Dans la ville de Foix ! Qui se disait ma foi !…

Elle va ainsi jusqu’au bout de la comptine.
Puis, comme il reste encore dans l’assiette une bonne moitié de son ignoble festin, elle recommence au début.

Il était une fois une marchande de foie…

(À suivre)

 

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