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Episode 01: Explosion d’une mine d’or

Publié par le 7 juin 2014

A la mémoire de G.J. Arnaud, respectueusement

Explosion d’une mine d’or

 

Île de Mindanao, Philippines, 1982.

Elle avait tout détruit.
Jolie, la destruction. Parfaite. Complète.
Les charges de dynamite dont elle avait truffé la mine d’or avaient explosé comme il fallait. Toutes en même temps. Synchros. Au petit poil.

Le fracas avait été ENORME.
J’en avais été jeté au bas du hamac tendu entre deux palmiers où je prenais du repos. Des heures plus tard, mes oreilles en siffleraient encore – sale sirène !

Le bilan ?
Terrible.
Seize mineurs philippins se retrouvaient ensevelis sous des kilomètres cubes de terre, de roche, de matériel mécanique et de poutres de soutènement, qui avaient dû se briser comme des cure-dents.

Putain, Vanda, salope sans pitié !
Comment avais-tu pu nous faire ça ?

Parmi les types engloutis par cette montagne devenue une tombe géante, il y avait Rizal, le contremaître, notre copain, celui qui avait découvert le filon et fait appel à nous pour l’exploiter.
Il y avait Pirmin, ce gosse, un petit rigolo qui passait ses soirées à faire le pitre au réfectoire.
Isaiah et Pacifico, les artistes, ceux qui nous collaient les larmes à la gorge, l’un avec sa guitare naine, l’autre chantant d’une voix si haute que, les yeux clos, on aurait cru écouter une chanteuse d’opéra.
Et tant d’autres…
Jethro, le grand Datu, Rafiq, le vieux Honesto, Bayani…

Plus nos deux associés. Nos potes. Les seuls de la bande à s’être trouvés au fond lors du cataclysme.
Piero, l’Argentin. Un voleur si habile qu’il savait dépouiller n’importe quel quidam de sa montre et de son portefeuille en même temps. Piero, qui se plaignait sans arrêt, brandissant ses mains écorchées par le dur travail de la mine devant son visage :
— La puta de tu madre que te pariu, regardez-moi ça, les gars, ce sont des mains d’artistes que je sacrifie…
 Et aussi Maxwell, l’Angliche, l’ancien marin dur à la tâche, taciturne, qui n’avait pas dû prononcer plus de dix phrases depuis huit mois que nous exploitions la mine.
Des braves mecs. Des amis. Des frères d’aventure.
Puissent-ils reposer en paix au fond de leur piège de pierres !

Comment avais-tu pu faire ça, Vanda, garce maudite ?

Seuls six Philippins avaient survécu.
Ils se tenaient près du portique où on mettait à sécher les morceaux de gibier, dressé sur un promontoire de roches blanches qui reflétaient en orangé les flammes de l’incendie.
Tous les six. Ensembles. Regroupés. A l’écart de nous, les patrons blancs que la malchance venait de gifler. Les maudits Blancs qui venaient de perdre leurs seize frères de race dans ce piège de chaos minéral.
Il y avait Leilani, la cuisinière, cette petite femme maigre à l’énergie inépuisable qui plantait sa feuille à hacher les légumes devant le nez des types qui se hasardaient à lui adresser la moindre obscénité. Droite, le visage impassible, elle nous observait de loin, ses yeux noirs chargés d’un mélange de haine et de mépris.
Elle maintenait sa fille contre elle, ses mains serrées sur les épaules de la petite.
Flordeliza. L’oiseau de ce chantier. Notre mascotte, que tout le monde adorait.
Une vilaine brûlure lui gonflait le bras droit.
Elle nous regardait fixement avec la même expression que sa mère. Ne pleurait pas. Ne grimaçait pas. Seulement, un gémissement continu et aigu de chaton blessé sourdait de sa poitrine, qui venait parfois jusqu’à nos oreilles, par-dessus le ronflement de l’incendie.

Et puis Crisanto, le gras au ventre rond, le tire-au-flanc, le fainéant de l’équipe, que même Carlo avait renoncé à faire bosser convenablement.
Lui, c’était sa paresse qui l’avait sauvé. Et aussi sa gourmandise qui le poussait à fureter du côté de la cambuse de Leilani alors qu’il aurait dû être au fond, à travailler avec les copains.

Et puis il y avait nous. Les sept.
Sept, plantés devant la montagne morte.
Sept aventuriers. Sept durs de durs, pourtant horrifiés.
Sept qui sentions nos couilles s’étrécir à la pensée que seule la chance nous avait laissés à la surface au moment où ces bon dieu de kilos de dynamite avaient fait s’écrouler le monde.
Sept millionnaires la veille, redevenus clochards en éclair. En trois secondes de catastrophe. En un instant d’enfer…

Devant nous, la montagne effondrée. Des centaines d’arbres brisés. Des orages de poussière qui n’en finissaient pas de retomber. Des ruissellements de graviers qui se faisaient entendre ça et là, échos déclinants de l’explosion.
Et derrière nous, le baraquement en feu.
L’incendie.
L’énorme maison de bois au toit de palmes, bâtie de nos mains, qui servait à la fois de dortoir, de réfectoire, d’entrepôt et de bureau était en flammes.
Putain, Vanda…
Sévères, les flammes. Rouges Brasier. Hautes. Plantées dans le ciel du crépuscule comme des dents dans une toile bleue.
Bon dieu, Vanda, toi la belle aux cheveux blonds comme des ruisseaux de miel. Toi et tes grands yeux bleus, couleur d’océan au point du jour. Toi toujours prête à déconner et rire. Toi qui chantais des mélopées russes en travaillant. Toi dont le beau visage slave irradiait l’innocence. La camaraderie. L’amitié.
Tu nous avais bien caché ton jeu.
Mentir ? Le verbe n’était pas assez fort. Tu nous avais baisés, oui, et dans les grandes largeurs !

Inutile de se demander ce qu’étaient devenus les cinquante et quelques kilos de pépites d’or brut qui étaient dans la cantine en fer au fond du bureau, pas vrai ?
Pas la peine non plus de s’interroger sur le sort des soixante mille dollars enfermés dans le vieux coffre de fonte que Rizal nous avait rapporté de Butuan, pas vrai ?
On en connaissait tous la combinaison, pas vrai ?
V.K.140655.
Tes propres initiales et ta date de naissance, que Carlo avait choisies en disant que ça nous porterait chance !

Voilà, immonde salope voleuse et meurtrière, on en était là.
Sept abrutis plantés devant la catastrophe.
Une belle brochette de pigeons assommés par la brutalité et la soudaineté de leur déchéance.

Carlo, notre chef, l’ancien légionnaire d’origine obscure, cette espèce de fauve colossal au poil noir et à la moustache agressive.
C’était lui le plus touché, tu ne penses pas, Vanda ?
Lui dont tu partageais le lit ? Ce mâle superbe dont tu te prétendais la femelle ? Lui que tu couvrais d’attentions, de baisers, de câlineries ?
Carlo était un homme trop dur pour montrer du sentiment, mais on savait tous, à certains de ses regards, que son cœur de macho avait éprouvé plus que de la tendresse pour toi.

Félix, son bras droit. Son copain. Son doublon. Un petit taureau au torse large, aussi blond que Carlo était brun, mais qui arborait la même moustache virile. Les mêmes bottes mexicaines. Le même blouson de cuir porté à même la peau.

Le gros Baltimore, le juif américain, flanqué du vieux Karzan, le Kurde, avec tous les deux les cheveux roussis et des marques de brûlures aux bras et au visage. Ces deux-là, c’était par miracle qu’ils avaient pu sortir du bâtiment en feu.

Loum, le Thaï, l’ancien champion de boxe, notre chef de sécurité, une grande brute à la petite tête et aux bras démesurément longs, sa face d’habitude inexpressive déformée par une grimace de gamin sur le point de chialer.

Boogie, le Français de Bordeaux, notre mécano, avec ses longs cheveux gras de gouape qui lui tombaient sur la face et son éternelle salopette maculée de cambouis.

Et enfin moi, Haig, le gamin, qui venait d’avoir dix-neuf ans, le benjamin de cette bande de briscards.

Carlo fit un pas en avant et se tourna vers nous, jambes écartées, pieds plantés au sol, poings sur les hanches, comme l’ancien sous-officier de troupe de combat qu’il était.
— Les gars, on va prêter un serment…
Il inspira profondément, gonflant son vaste poitrail, fit encore une fois du regard le tour de ce gigantesque bordel, et termina :
— Jurons de retrouver cette pute, même si ça doit prendre un an, deux ans, dix ans… Promettons de la retrouver et de lui faire payer ça.

On jura.
Tous.

(A suivre)

 

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