D’après mon roman Les Guerriers Perdus, éditions Taurnada, 235 pages, 9,99 €.
INT Nuit, discothèque
Son : disco basique 1990, volume à fond, paroles à la con, basses au marteau-piqueur.
La caméra survole une foule indistincte et agitée balayée par des éclairs de lumière de couleur, étincelles de boule de tango, effets laser, tout ce qu’on veut.
Elle repère Haig dans son joli polo rose qui se fraye un passage entre les corps survoltés, un sourire un rien crispé aux lèvres, s’y attache, le suit jusqu’à la foule plus calme mais aussi dense qui cerne le comptoir. Derrière officient des types en combinaisons moulantes et des filles en soutifs, tous culturistes, qui ne cessent de jongler acrobatiquement avec les bouteilles et les verres. En retrait, dans la lumière blanche d’une veilleuse, un costaud blond à la coupe de cheveux militaire observe toute l’activité, le visage impassible.
Une serveuse interroge Haig du regard. Il crie sa commande qui se noie dans la musique.
INT Nuit, discothèque, comptoir
Haig a réussi à s’accouder devant un double scotch. Il observe l’assistance.
Subjectif sur des filles hystériques en groupe. Des types excités. Des vieux flanqués d’une minette. Des gigolos huilés dans le sillage de vieilles rombières…
Un type en pantalon et gilet de cuir, ultra bronzé et maquillé, s’accoude près de Haig et lui adresse la parole en lui caressant l’avant-bras. Haig se penche sur lui et crie à son oreille. On distingue les mots malgré la musique.
Haig :
J’attends un ami.
Le type se fend d’un sourire de madone et d’un geste insouciant, genre « t’en fais pas, ma poule », et s’éloigne sans insister. Dès qu’il a tourné le dos, Haig lève les yeux au ciel et soupire. Il s’envoie ce qui lui reste de scotch et quitte le comptoir, se fondant dans la foule.
INT Jour, discothèque, toilettes
Haig dans le couloir des toilettes hommes et femmes dont les portes ne cessent de s’ouvrir, des gens entrant ou sortant. Un peu plus loin dans le corridor se trouve une porte plus discrète, portant un écriteau « private ». Haig pousse cette porte.
INT Jour, discothèque, palier
Haig se trouve devant une autre porte, d’acier celle-là, à la serrure commandée par un digicode. Haig lève les yeux et découvre une caméra fixée au-dessus du chambranle. Dépité, il amorce un mouvement pour se barrer mais c’est trop tard : un duo de balèzes azéris fait irruption. Ils sont tous deux vêtus de costumes de couleur crème, impeccable, placides, sûrs d’eux, se payant même le luxe de vagues sourires ironiques.
Haig (anglais) :
Oh, j’ai dû me tromper.
Un des Azéris sort un mini appareil-photo de sa poche et flashe Haig. L’autre approuve :
Azéri :
C’est ça. Les toilettes, c’est l’autre porte. Celle où il y a un panneau « toilettes » dessus. Toilettes pour les hommes et toilettes pour les dames…
Haig n’insiste pas. Il se glisse entre les deux gorilles blonds, paraissant petit et minable en comparaison et sort.
INT Nuit, discothèque, couloir
Haig se mêle au va et vient devant la porte des toilettes hommes. Les Azéris le suivent du regard. Haig leur adresse un signe de tête, « j’obéis » et entre dans les toilettes.
INT Nuit, discothèque, toilettes
Haig se lave les mains. Il sort. Les Azéris ne sont plus dans le couloir. Alors que d’autres types prennent à droite, en direction de la grande salle, Haig se dirige à gauche, passe devant la porte du palier où il s’est fait choper et continue vers le fond du corridor.
INT Nuit, discothèque, couloir
Haig progresse prudemment le long de couloirs que martèlent les basses assourdies de la disco. Il dépasse des bureaux administratifs. De l’agitation et du bruit l’attirent vers un bout de couloir. Il s’avance et découvre les cuisines.
Plan sur l’enfilade des cuisines où s’agitent une foule de travailleurs cubains, hommes et femmes. Un nouvel exemplaire de colosse azéri en costard crème surveille toute l’activité. Il est en train de parler durement à un Cubain qui s’applique à sa tâche, tête baissée. Au moment où l’Azéri se retourne dans la direction de l’endroit où se tient Haig, celui-ci se replie dans le couloir et quitte les lieux en secouant la tête, dépité.
INT Nuit, discothèque, grande salle
Haig hésite un instant devant la foule qui se presse au comptoir, hausse les épaules et commence à se diriger vers la sortie. Un mouvement inhabituel lui attire l’œil sur la terrasse intérieure de la boîte, là où se trouve le restaurant. Il s’immobilise et observe.
Précédée et suivie d’une légion d’Azéris s’avance une somptueuse femme blonde, version ultra sophistiquée de la belle fille qu’on a déjà vue dans l’obscurité et en photo au prologue.
Vanda.
Bien que la musique continue de pilonner l’atmosphère, on sent parmi l’assistance une vague d’intérêt. Un grand nombre de visages se tournent vers cette reine blonde qui s’avance d’un pas altier vers une table. À proximité d’elle règne l’atmosphère attentive et servile qu’on réserve d’ordinaire aux princesses et aux stars. Un des Azéris tire la table pour lui faciliter le passage. Un autre lui présente sa chaise. Des serveuses cubaines se précipitent et s’immobilisent en attendant les ordres, têtes baissées et chevilles jointes. Aux tables voisines, chacune et chacun s’est figé.
Vanda s’assoit et jette un regard circulaire distant sur ce qui l’entoure.
Gros plan. Elle est magnifiquement coiffée et maquillée. D’un infime battement de cils, elle salue une personne qu’elle reconnaît dans l’obscurité. D’un imperceptible hochement de menton, elle approuve une proposition que lui rapporte un Azéri à l’oreille, tandis que son visage se tourne toujours plus en direction de la caméra.
Contrechamp sur le visage de Haig, paralysé.
Vanda regarde face caméra – en direction de Haig. On perçoit un léger froncement de sourcils. Une contrariété. Une interrogation.
Contrechamp sur l’emplacement où se tenait Haig : il a disparu.
CUT
INT nuit, arrière-salle de café
Toute la bande est réunie dans l’arrière-salle miteuse et enfumée d’un café cubain. Même Loum est là, une très jeune putain assise sur une de ses cuisses.
Carlo :
Donc, tu conclus ?…
Haig :
Que j’ai eu l’air d’un schmouck pendant une semaine pour rien. Que je suis passé pour une merde. Que c’est impossible. Ce n’est même pas une armée qu’il faudrait mais un bombardier.
De la main, il mime le geste d’un avion passant au-dessus de la boîte. Baltimore éclate de rire et mime à son tour le passage d’un avion, suivi d’une grosse explosion.
Baltimore :
Ah ah ah, boum !
Un long silence. Gros plans sur les visages sombres en terminant sur Carlo qui soupire de toute sa vaste poitrine/
Carlo :
On continue d’attendre. On patiente. On observe et on patiente. Le moment viendra.
Baltimore (crachant) :
Pazzo !
Carlo :
Ferme-la.
INT Nuit, salle de café
Le café est en train de fermer. Félix vient de sortir dans la rue. On comprend que les autres se sont dispersés. Carlo et Haig sont seuls un instant, avec la grosse patronne mulâtre fatiguée derrière son comptoir. Carlo retient Haig par le bras.
Carlo :
Tu l’as vue ?
Haig :
Oui.
Silence.
Haig :
C’est la plus belle femme que j’ai jamais vue.
Nouveau silence, au bout duquel Carlo hoche lentement la tête, visiblement la proie de sombres pensées. Il lâche le bras de Haig. Haig sort.
EXT Jour, Le Wendy’s, façade d’hôtel
Plan sur la discothèque en plein soleil, porte fermée, enseigne éteinte. La caméra passe sur la bande de verdure qui borde la plage – où des touristes des deux sexes se prélassent – longe la lignée d’hôtels qui ferme la petite place et se fixe sur l’un d’eux, un mince bâtiment de quatre étages précédé d’une terrasse fleurie : le « Little Chambord ».
INT Jour, chambre d’hôtel
Un groom noir fait visiter une chambre modeste mais pourvue d’un balcon à Haig et Félix. Celui-ci ouvre la baie vitrée et sort à l’air libre. Subjectif sur la façade du Wendy’s à une vingtaine de mètres.
Haig (au groom) :
Parfait, on la prend.
Montage Nuit / Jour, poste de guet
Musique. Suite de plans courts. Les membres de la bande prennent des tours de surveillance dans la chambre, seuls ou en binôme.
INT Nuit, chambre d’hôtel
Karzan et Haig assis devant la baie vitrée ouverte. Ils observent la foule massée à l’entrée du Wendy’s. Haig tient une paire de jumelles.
Karzan pousse un profond soupir, se lève et va s’écrouler sur le lit.
Haig :
Qu’est-ce qui t’arrive ?
Karzan soupire sans répondre, les deux bras croisés derrière la tête, les yeux au plafond. Avec ses cheveux blancs et les rides qui marquent son visage, il a l’air très fatigué et très vieux.
Haig :
Tu en as marre ?
Il se lève, attrape une bouteille de scotch entamée sur la télévision éteinte, boit une rasade, va s’appuyer de l’épaule au mur près du lit.
Karzan :
Je repense à Boogie.
Haig :
Cet enculé ? Il nous a laissé tomber…
Karzan :
Plus que ça. Il a t’a rigolé au nez. Il s’est foutu de nous. C’est pas vrai ?
Haig :
Ouais.
Karzan :
Je sais ce qu’il a pensé : qu’on est une bande de gamins attardés qui feraient mieux de rester sagement à la maison au lieu de se jeter sur le sentier de la guerre à cause d’un serment imbécile vieux de plusieurs années.
Haig :
Karzan…
Karzan :
Moi, je commence à penser qu’il avait peut-être raison.
Haig :
Déconne pas.
Karzan se redresse, assis sur le lit. Il accepte la bouteille qui lui tend Haig et s’enfile une bonne goulée.
Karzan :
Tu as vu qui on a en face ? Une bande organisée, avec des connections dans le monde entier et sûrement plus d’armes que nous, on n’en trouvera jamais.
Haig :
Ouais, je sais…
Karzan :
Et nous, qui on est ?
Haig :
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Karzan :
Carlo et Félix ? Un duo d’aventuriers aussi paumés l’un que l’autre dans cette époque … (Il boit)…Baltimore ? Un psychopathe obèse, une baleine ivre… Loum ? Un ancien boxeur abruti par les coups… (Il boit de nouveau)… Moi ? Un vieillard au poil blanc usé par les errances…
Haig :
T’as pas le moral, c’est tout.
Karzan :
Non. Ce n’est pas ça. Je suis en train de me dire que Boogie a raison : on est une bande de gamins cinglés, aveugles, sourds et imbéciles.
Haig :
Arrête, Karzan.
Karzan :
Fous-moi la paix, petit con. Tu ne vois pas qu’on n’est rien qu’une bande de guerriers perdus ?… (Il boit à longues gorgées, rote et ricane)… Une bande de guerriers perdus sur le chemin d’une putain de catastrophe !
(À suivre)
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