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Episode 12 : Casino indien

Publié par le 23 août 2014

Casino indien

 

Je collais au cul de mon brelan de branleurs sur le Freeway 95.

Je compris où ils se rendaient au bout d’une quarantaine de minutes, alors qu’on venait de dépasser Pompano Beach, quand apparurent au bord de la route des panneaux aussi vastes que criards qui proclamaient :

Prochaine sortie Seminole Coconut Creek Casino !

Mes trois lascars étaient partis pour un dimanche de flambe.
Effectivement, la Lincoln noire s’engagea bientôt sur la bretelle de sortie menant à la réserve indienne que bordaient d’autres panneaux.
Jackpots ! Craps ! Poker !…

Les casinos sont interdits aux U.S.A.
Les autorise seul l’état du Nevada, où se trouvent Reno et surtout le fameux Las Vegas.
A la fin des années 80, des hommes de lois rusés ont fait remarquer que les réserves concédées aux tribus indiennes à la fin des grands massacres, ces bouts de terrains pourris désertiques ou marécageux, n’appartenaient pas légalement au territoire des Etats-Unis. Et que, donc, rien n’empêchait d’y implanter des salles de jeux.
Et ce fut la révolution.
Les Amérindiens qui survivaient péniblement dans leurs parcs depuis la fin du XIXème siècle, le plus souvent sans emplois, clochards, alcooliques et junkies, se transformèrent d’un coup de baguette magique en business men prospères pour les uns et en serveurs, croupiers et larbins divers pour les autres.

Les Séminoles sont les indiens de Floride.
Après trois guerres que la glorieuse armée américaine n’a pas réussi à gagner, il en restait deux cents.
On leur fila un bout de marais pire qu’insalubre d’une vingtaine de kilomètres carrés, joliment nommé Coconut Creek, dans une zone jadis isolée, mais depuis longtemps cernée de tous côtés par la gigantesque ville continue qui court le long de la côte de Floride.
En 1989, soit un an avant que nous ne venions à Miami, quatre des plus malins d’entre eux avaient ouvert le Seminole Coconut Creek Casino et s’étaient mis à faire du lard.
Gros, le lard. Juteux. A compter en millions de dollars par an.

La Lincoln des trois branleurs passa les bornes du Coconut Creek Park – Welcome ! Fun & Games ! Open 7/7 & 24/24 !

Je suivis.
On déboucha sur une immense aire de parking à deux mille places, étalée sous le soleil écrasant du milieu de journée.
Ils se garèrent.
Je.

D’énormes bus peinturlurés comme des affiches de westerns des fifties embarquaient les candidats au massacre du portefeuille pour le casino proprement dit, à deux ou trois miles de là.
Je laissai les Philippins grimper dedans, me dirigeai vers une rangée de phone-booths et appelai Carlo.

– Seminole Coconut Creek Casino, annonçai-je quand il décrocha.
Il y eut un long silence.
— Carlo ? fis-je.
— Où es-tu ?
— Sur le parking.
Un soupir, puis :
— Bon… On va voir si on peut tenter quelque chose.

Je passai les quatre-vingt-dix minutes suivantes à rôtir et à espérer qu’un dieu fasse apparaître une bière et une cigarette.
Enfin, je vis s’amener un pick-up truck blanc à gros pneus qui se rangea à côté de la rangée de téléphones.
A son bord, Carlo et Karsan, qui faisait le chauffeur.

Je les rejoignis.
— Les autres ? demandai-je.
— On a laissé Félix et Loum à Fort Lauderdale. Ils vont louer une voiture. On a besoin de trois véhicules.
— Baltimore ?
Carlo fronça les sourcils, mécontent.
— Introuvable. J’ai laissé un message au Haïtien, au cas où…
— Je ne l’aime pas, ce Haïtien, intervint Karsan. Il a une gueule de traître. Je suis sûr qu’il parle l’anglais mieux qu’il ne le dit !
— Le plan ?
— On attend qu’ils sortent. On les suit. Si on trouve un bon moment, on les serre à trois voitures et on les force à stopper. Après, on improvise…
J’éprouvai un serrement de cœur. « On improvise », ça voulait dire qu’on les tuait sur place ou bien qu’on les emmenait ailleurs pour le même résultat.
— Qu’est-ce que je fais ?
Il me tendit une fine liasse de billets.
— Tu vas au casino. Tu les surveilles. Tu joues, tu bois des coups, tu fais le touriste.
— D’accord.
— Ne t’en approche pas trop, Il y a peu de chances qu’ils te reconnaissent avec l’allure de cave que tu t’es faite, mais on ne sait jamais. Il y en a peut-être un qui est surdoué de la mémoire.
Karzan rigola :
— Un surdoué, tu parles ! Ces cons-là, ils sont plus nuls les uns que les autres !
— Toutes les demi-heures, tu nous appelles sur un des téléphones, poursuivit Carlo. Deux sonneries si rien ne bouge. Cinq sonneries quand ils se préparent à sortir. Trois sonneries si tu as quelque chose à nous dire.
— Okay.
— Tu es armé ?
— Un 38.
— Laisse-le moi. Ils ont peut-être des portiques, là-bas. Pas la peine de prendre le risque qu’un vigile le trouve.

Je pris le numéro d’un des phone-booths, puis grimpai dans une navette.
En me demandant si j’avais bien fait de déclencher ce bigntz.
Mais je vous l’ai dit, non ?
J’avais juré.

Le bâtiment du casino était une fausse hacienda à tours carrées flanqué d’un bassin à jets d’eau.
L’intérieur…
Que vous dire ?
Moquettes de couleurs à écorcher les yeux. Miroirs. Moulures en toc imitation Renaissance…
Le mauvais goût américain est proverbial. Nulle part il ne s’exprime mieux que dans les casinos, ces temples du vrai dieu yankee : le dollar.

Dans le hall, les photos géantes des quatre fondateurs, l’air infiniment satisfait.

Postés dans tous les coins, des vigiles indiens à longs cheveux noirs libres, nattés ou en queue de cheval, sanglés dans d’impeccables uniformes bleus.
A leur taille des ceintures de flic garnies de flingues, de matraques, de bombes à gaz et de sticks électriques à bestiaux. Bref, tout ce qui pouvait dissuader chacune et chacun de dérober le moindre cent à la fière nation séminole.

Au centre de la salle principale, un îlot de jackpots de deux cents machines dont montait un cliquetis mécanique digne d’une usine. Autour, subtilement alternées, des tables de craps et de black jack. Derrière, une salle de poker fermée et une autre salle où l’on pouvait parier sur les courses des cinq hippodromes de Miami.
Au-dessus, le long de deux terrasses en surplomb, des comptoirs de bars brillant de mille feux, un steak-house, plusieurs fast-food, une pizzéria et un hors-d’œuvre à volonté où on pouvait, moyennant une somme forfaitaire, ingurgiter autant de saloperies insipides qu’on pouvait.
Le tout, comme le proclamaient les enseignes, au cas où on en aurait douté, ouvert sept jours sur sept vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Je repérai sans peine nos cibles.
L’un était à une table de black jack, les deux autres au craps.
Ils misaient gros, lâchant les jetons avec indifférence. Preuve que Vanda savait mettre le paquet pour acheter les fidélités.
Ils jouaient avec cette ferveur et cette concentration propres aux Asiatiques.
Fiévreux.
Glapissant à tous les bons coups.
Gémissant aux mauvais.
Indifférents à tout le reste.
J’aurais pu aller taper sur l’épaule de l’un d’eux et lui dire :
— Hello, c’est moi, Haig. Tu te souviens, la mine d’or ?
Le type m’aurait simplement fait :
— Uh, uh… Comment ça va ?
Et se serait replongé dans sa partie.

L’après-midi s’étira.
Je buvais des coups dans les bars.
Je m’étais procuré de la monnaie dans un de ses gros gobelets de plastique. Autant pour me donner une contenance que pour tuer le temps, je jouais sur les machines à sous en compagnie de messieurs-dames obèses, de types à la dérive et de veuves en train de claquer la pension du cher disparu.

Des machines, il y en avait pour toutes les mises, de cinq cents à cent dollars le coup, et pour tous les goûts.
Les Diamond-jackpots classiques, avec leurs trois rouleaux à grappes de fruits et diamants.
Les Paradise à cinq rouleaux, à probabilité moindre mais à énormes gains si jamais…
Les Monopoly Big Event électroniques à thèmes : lettres, chiffres, Egypte ancienne, Star War, n’importe quoi…
Les Wizard of Oz, avec Dorothy, Tin-man, le lion, l’épouvantail et les as de pique qui vous font tout perdre…

Toutes les trente minutes, comme convenu, j’allais téléphoner.
Je changeai souvent d’appareil pour éviter d’attirer l’attention dans cet endroit bourré de caméras de surveillance.
C’était facile. Il y en avait à côté de tous les bars, dans le hall et dans les trois salles de chiottes, aussi immenses les unes que les autres, toutes baignées de cette écœurante odeur de merde citronnée.
Après avoir raccroché, je soupirais en prenant l’air exaspéré du type qui cherche obstinément à joindre quelqu’un et n’y parvient pas.

Vers cinq heures, enfin, alors que le vacarme des jackpots commençait à me donner la migraine, les Philippins se dirigèrent vers la sortie.

Je les suivis. Tandis qu’ils grimpaient dans une navette, je balançai les cinq sonneries d’alerte depuis un téléphone du hall.

J’attendis le bus suivant.

Pour une raison ou pour une autre, il tarda à venir.
Les grosses personnes vêtues de couleurs voyantes et coiffées de casquettes de base-ball au milieu desquels je patientais commençaient à râler et donner des signes d’impatience.

C’est à ce moment-là que retentit une explosion qui fit vibrer le sol.
Et qu’aussitôt après, là-bas, sur le parking, s’élevèrent de hautes flammes surmontées d’une colonne de fumée noire.

Des cris lointains.

Les vigiles se mirent à courir en beuglant tandis que leurs talkies-walkies s’affolaient.

Autour de moi, ça s’était mis à gueuler.
— Oh my god !
— Jezzzzzus Christ !
— What’s the hell ?
— Qu’est ce qui se passe ?

Moi non plus, je ne savais pas ce qui se passait.
Ce que je savais, c’était que, d’une manière ou d’une autre, mes potes et moi, on y était mêlés.

Et une rigole de sueur glacée se frayait un chemin jusqu’à la raie de mes fesses.

(A suivre)

 

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