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Episode 27 : Le piège

Publié par le 6 décembre 2014

 

On prit dans le coffre des casques de chantier munis d’une lampe frontale.
– Tiens, il faut protéger ta précieuse petite tête de schmuck, dit Baltimore en me tendant le mien.
Lui et Volodia, celui des jumeaux qui portait une longue mèche sur le front, s’armèrent en outre de fusils-mitrailleurs M 16.
Vassili se remit au volant. Il remontait à la citadelle pour nous ouvrir la fameuse porte.

Avant, il échangea un baiser sur la bouche avec son frère, spectacle qui arracha un gloussement d’aise à Baltimore.

Je sais encore qu’on se coiffa des casques, lampes allumées. Et que Baltimore s’effaça devant moi, à l’entrée de la mine, pour me céder le passage avec une courbette grotesque.
– Après toi, monsieur le fuckin’ associé de circonstances…

Après, plus rien…

Le choc de l’explosion a tué ma mémoire de ce qui l’a précédée.
Pfuit, disparue.
Comme mon souffle éteindrait la flamme de la chandelle qui grésille devant moi, plantée sur le goulot d’un vieux jéroboam de whisky.

Oui. Même aujourd’hui, assis à ma table de travail, dans la demi- obscurité de ma maison d’Irlande que fouette une pluie de novembre, j’ai beau me creuser la cervelle, je ne retrouve dans ses replis que de rares images.
Eparses, les images. Brèves. Sans lien les unes avec les autres.

De longs boyaux, épouvantablement étroits, où on doit marcher courbé, les épaules frottant les parois, se cognant sans arrêt les têtes, heureusement casquées.
On se croirait dans le terrier d’un rongeur géant.
Une termitière.

Les parois suintent. De l’eau d’infiltration. Parfois, on marche dans une gadoue collante, pâte de poussière et de flotte. Je me souviens qu’à une fourche de corridors, on entendait un ruissellement lointain.

La claustrophobie me gagne. Lors d’une pause dans une salle au plafond vaguement sphérique, Volodia, les joues et les coudes maculés d’une sorte de suie, rejette sa mèche en arrière avec une mimique féminine. Son geste déclenche en moi une flambée de rage inexplicable. Une envie de meurtre. De dégainer mon flingue et de les descendre tous les deux. Pif, paf, une balle dans chacune de leurs faces. Au même instant, le canon du fusil de Baltimore s’enfonce dans mes reins et ce diable me souffle à l’oreille.
– Tu ne vas pas craquer maintenant, petit-Haig, on a encore un long chemin à faire…

A un dénivelé entre deux boyaux se trouve une longue échelle d’aluminium. Neuve. Brillante. Je m’en étonne. Baltimore rigole.
– C’est Vanda. Elle s’est aménagée une sortie de secours, en cas de pépin, la kurva. C’est elle qui m’a montré ce souterrain. C’est drôle, non ? Allez, grimpe ; petit-Haig !

Et puis il y a cet éclat phosphorescent qui attire mon regard. Sur la paroi est vissé un boitier de plastique. Un cylindre blanc. Au milieu, une lentille convexe.

Un détecteur de présence !

Volodia, qui marche en tête, vient de passer devant.
En un éclair je comprends.
La terreur me balaye.

Je me jette en arrière.

Bouscule Baltimore.

Hurle : « piège ! piège ! piège !… »

Il y a l’explosion.
Brutale.
Sèche.
Une claque.
Un pétard qu’on aurait déclenché à l’intérieur de mon oreille.

Un déluge de roches m’emporte. Des pierres aux bords aigus. Coupants. Qui me déchirent. Une douleur fulgurante dans mon bras gauche. Une autre à la cheville droite.

Puis tout mouvement cesse.

Je suis mort.

Mort.

Mort…

Quand je repris conscience, j’étais dans un sarcophage de pierre. Du poids de roche sur tout mon corps. Du gravier dans ma bouche. Pareil dans mes narines.

Je haussai l’épaule gauche. Ce qui eût pour effet d’allumer une flamme de douleur dans mon bras. Je hurlai à travers le tampon de cailloux et de poussière qui m’emplissait la bouche.
Haussai l’autre épaule.
A ma grande surprise, ce que je prenais pour une gangue de pierre céda.
Un ruissellement de caillasses et j’eus la tête libre.
Je me tortillai, m’arrachant de nouvelles lancées de souffrance dans le bras et à la cheville, et me dégageai facilement du linceul minéral qui me recouvrait.

J’étais dans une alvéole d’environ trois mètres de circonférence, un bon mètre de haut.
Un creux de survie, aménagé dans l’écroulement général consécutif à l’explosion.
Un miracle.

A côté de moi gisait la dépouille de Volodia, le torse écrasé par un gros bloc de roche. Du sang lui avait coulé de la bouche et des oreilles.
Sec, le sang. Preuve que mon évanouissement avait duré un moment.

Son casque traînait sur le sol, lampe frontale allumée. La mienne était cassée.

Pas de trace de Baltimore. Sans doute son cadavre reposait-il quelque part sous les gravats.

Je fis rapidement le bilan de la situation.
J’avais les deux os de l’avant-bras gauche cassés. Ma main pendait, inerte. Des jets de douleur en sourdaient, me lançant jusque dans le cou. J’avais je ne savais quoi à la cheville droite, enflée, gorgée de sang violet.
Je disposai encore d’une certaine réserve d’air dans mon trou. Mais je ne me faisais pas d’illusion : il n’y en avait pas pour des siècles.

Je me saisis d’une pierre coincé dans l’amoncellement qui me bloquait le passage.
Tirai.
Elle vînt facilement.
Je la posai sur le côté et, gémissant, criant parfois, le corps parcouru de douleurs, l’âme déchirée par la peur, je me mis à creuser.

Ce fut là un des moments les plus pénibles de ma vie.
Heureusement, l’amas de roche et de terre qui me bloquait le passage était plutôt meuble. Une sorte de gravier qui recelait parfois une pierre plus grosse que je parvenais toujours à dégager et repousser derrière moi.
Mais je ne pouvais me servir que de ma main droite. Elle fut bientôt déchirée au bout des doigts et au tranchant, dont je me servais comme d’une pelle, et me gratifiait de nouvelles souffrances à chaque contact.

Je suppliai le destin de ne pas avoir placé devant ma route quelque gros bloc rocheux que je serais incapable de déplacer.

Suppliai de ne pas être emmuré.
Piégé à mort dans ces entrailles de montagne.
Condamné à crever d’épuisement et d’asphyxie.

A tout instant, je maudissais la malignité de Vanda, qui avait encore su nous attirer, ce con de Baltimore et moi, dans un de ses pièges.

Me maudissais, moi, d’avoir cru pouvoir m’attaquer seul à cette diablesse !

Enfin, une dernière pluie de terre et de gravier me dévoila le couloir de mine.
Ce n’était pas encore l’air libre, mais j’échappais au piège de pierre. J’en pleurai de soulagement.

Surmontant ma répugnance, je m’enfilai de nouveau dans le boyau que je venais de creuser, retournai au cadavre de Volodia et lui prit son fusil-mitrailleur.
Je pris aussi mon casque qui gisait là, lampe brisée.
Puis, étant ressorti, m’en servant comme d’un seau, je rebouchai l’ouverture du mieux que je pouvais

Mon instinct me disait que Vanda allait envoyer des hommes constater l’efficacité du piège. Peut-être même étaient-ils déjà en route. Il valait mieux qu’elle me croit enseveli le plus longtemps possible…

Je me traînai ensuite vers la sortie de ce bon dieu de souterrain, tirant ma patte inutilisable derrière moi, heurtant à tout moment ma main gauche inerte sur la pierre.
Tous les quatre ou cinq mètres, je m’arrêtais, moitié pour reprendre mon souffle, moitié pour guetter d’éventuels bruits de pas, des sons de voix, des éclats de lumière.
A nouveau je suppliai la chance qui m’avait permis de survivre à l’explosion, puis de sortir de l’alvéole où j’étais piégé, de m’accorder encore sa faveur.

Arrivé à l’échelle d’aluminium, je commis l’erreur de m’appuyer sur mon pied droit. La cheville céda. Je glissai tout au long de l’engin, jusqu’en bas, où je me cognai durement la tête sur le sol, me déchirant le front.
Le sang m’inonda les yeux.
Je déchirai un pan de ma chemise, déjà en lambeaux. Me confectionnai un pansement de fortune. Repris ma reptation.

Une éternité et quelque plus tard, je débouchai à l’extérieur.

Il n’y avait personne.

Les sbires de Vanda avaient sûrement décidé d’attendre le jour pour venir constater les dégâts.
Tant mieux pour moi…
Je restai un moment allongé sur le dos, contemplant les étoiles et un mince croissant de lune accroché au-dessus de moi, aspirant l’air à grandes goulées délicieuses.

Puis je m’exhortai au courage, me redressai, me mis debout.

Il fallait marcher.

Je DEVAIS pouvoir marcher !

M’arrachant un râle de douleur à chaque fois que j’appuyai mon pied blessé sur le sol, je fis un pas. Puis un autre. Un autre encore…

Bientôt, je parvins à la route.
Un pas. Encore un autre…
Vers l’ouest. Vers Sköhder. Tournant le dos à cette foutue citadelle.

Un pas. Un autre pas…

Me mordant les lèvres.

Fuyant ce satané coin du monde qui avait failli avoir ma peau.
Et qui le pouvait encore.

L’aube me trouva tapi dans un bosquet de pins, au bord de la route, tremblant d’épuisement et de douleurs accumulées, luttant à chaque seconde pour ne pas m’évanouir.

Enfin, vers neuf heures, je l’entendis.
Un ronronnement grave et irrégulier de moteur mal réglé.
C’était le bus de la liaison Kosovo-Skhodër qui s’amenait.

Alors je plaçai le fusil en équilibre dans la saignée de mon bras gauche cassé. Pris les derniers billets qui me restaient au fond des poches.
Et j’allai me planter au milieu de la route, la main droit levée, les billets en éventail, bien visibles.

(A suivre)

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