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Episode 11 : Branleurs en branle

Publié par le 16 août 2014

Branleurs en branle

 

Tandis que Baltimore rassemblait le matériel, véhicules, armes et explosifs, on tâchait de maintenir une surveillance constante sur Vanda, sa discothèque à Miami Beach et sa villa de Coral Gables.

Pour la boîte de nuit, on louait une chambre dans un hôtel situé en face, le Chambord, avec vue imprenable sur la longue façade grise, couleur aluminium, et l’enseigne de néon rose qui la barrait comme une signature : « Wendy’s ».

Pour la villa, on poireautait aux alentours dans une voiture de location.
La corvée, quoi.
Des heures d’attente à regarder des murs.
Ça ne servait pas à grand-chose, mais Carlo tenait à ce qu’on restât à l’affût. On ne savait jamais : il pouvait se produire un changement dans les habitudes de Vanda.
Une rupture de sa routine.
Un incident.
Un coup de bol.
Une opportunité pour nous de la dessouder vite fait bien fait avant l’embuscade que nous préparions.

Je m’étais procuré une édition de poche de « Adventures Of Huckeleberry Finn, Tom Sawyer’s comrade », que je n’avais lu qu’une fois étant gosse, et jamais dans sa version originale.
La prose éblouissante de Mark Twain, les péripéties du voyage de Huck et de l’esclave Jim le long du Mississipi me faisaient trouver le temps moins long.

Parce que c’était moi qui étais plus spécialement chargé de cette bon dieu de surveillance.
De nous six, j’étais celui qui avait le plus changé de gueule depuis l’aventure de la mine d’or aux Philippines.
J’allais alors sur mes dix-neuf balais. Huit ans plus tard, j’étais le moins susceptible d’être reconnu par Vanda.

Pour réduire encore le risque, je m’étais rasé le crâne et, sur un conseil de Félix, laissé pousser une petite moustache.
Une paire de lunettes rectangulaires à grosse monture.
Un trio de polos de couleurs pastel.
Pantalon de tergal à plis, mocassins dockside.
Attifé comme ça, j’avais l’air d’un employé de bureau en vacances, plus ou moins puceau, à la recherche d’une aventure friponne, voire d’une expérience gay – un modèle de touristes très largement représenté sur Ocean Drive et ses environs.

C’est ainsi que, grimé en abruti moyen, je m’étais enhardi à entrer dans le Wendy’s.

Une discothèque. Vous connaissez ?
La musique à fond. Plutôt pas mal. De la new wave, comme on disait à l’époque. Simply Red. The Cure. Culture Club. Des longs morceaux hyper dansants de Prince…
Des stroboscopes. Des lumières qui pètaient. L’obscurité ailleurs.
Des gogos girls quasi à poils qui dansaient sur des stèles en acier brossé.
Des filles hystériques. Des types excités. Des vieux flanqués d’une minette. Des gigolos culturistes dans le sillage de vieilles rombières…

J’avais vu les trois Philippins. Ceux qui nous avaient trahis pour Vanda. Les complices du crime. Ceux que Carlo avait surnommé le « brelan de branleurs ».
A vrai dire, je ne me souvenais pas très bien de leurs têtes. Trois types plutôt petits, le cheveu noir corbeau. L’un des trois un peu plus gras que les deux autres.
Vêtus de costards noirs, avec chemises blanches et nœuds papillons, ils faisaient office à la fois de maîtres d’hôtels, surveillant la chiourme des serveuses, et d’agents de sécurité aux alentours du comptoir, attentifs à désamorcer dans l’œuf les conflits qui naissent toujours dans ces zones à partir d’une certaine heure et d’un certain degré d’alcool.

Et j’avais vu Vanda.

Vanda.

Elle était attablée dans le coin « diner » de la boîte, là où on servait aux affamés des salades cocktails à la con et des hamburgers à l’ananas.
Avec elle, il y avait deux de ses gorilles russes d’Azerbaïdjan et un vieux type très gros aux doigts couverts de bagues qui avait l’air de tout, sauf d’un honnête homme.

Ses cheveux blonds méchés de noir étaient ébouriffés dans un désordre qui avait dû coûter des heures à ses coiffeurs.
Des pommettes hautes. Circonflexes. Tartares. Sauvages.
Au-dessus, des yeux immenses, d’un bleu pur d’océan.
Un nez droit et pointu.
Une bouche large. Gourmande. Vorace. Aux dents solides de cannibale. Revêtues d’un rouge sanglant à cent dollars le gramme.

Elle portait une robe en chiffon de soie grise pailletée d’argent. Des fines bretelles aux épaules. Les pointes des seins qui surgissaient en haut. Les longues cuisses qui s’en échappaient en bas.

Belle.
A en trembler.

Autour d’elle régnait cette atmosphère spéciale de respect, d’admiration érotique, de servitude consentie, qui n’est accordée qu’aux stars de cinéma et aux reines.

Les serveuses minijuppées s’approchaient de sa table tête baissée. Les gardes azéris la couvaient du regard, non comme des hommes de main, mais comme des amoureux.
Même le gros maffieux vulgaire qui lui faisait face essayait de faire preuve d’élégance.

Quand Carlo me demanda, l’air faussement indifférent :
— Comment elle était ?
Je répondis :
— C’est la femme la plus magnifique que j’ai jamais vue.
Une sorte de détresse passa dans ses yeux et il hocha la tête.
Lent, le hochement. Long. Silencieux.
Je n’ajoutai rien.

Le matin du dimanche suivant, je me trouvais dans la chambre du Chambord.

Un pur hasard.

Le Wendy’s avait fermé un peu avant l’aube. La berline de Vanda en était sortie, suivie d’un gros 4×4 plein d’Azéris. Rien de spécial à signaler.
Félix, qui m’avait tenu compagnie une partie de la nuit, s’était cassé pour rejoindre Carlo à Little Havana. Moi, j’avais exprimé le souhait de rester au Chambord.
Profiter un peu du confort de la chambre.
Me la couler douce un brin, loin du capharnaüm de notre hôtel, des beuglements de Baltimore et des piaillements des ladyboys.
Félix avait haussé les épaules.
— Pas de problème, fils.
Il m’avait jeté les clés de notre voiture, une petite japonaise fournie par Baltimore.
— Garde la Subaru, je vais prendre un taxi.
— C’est cool, merci.
Un hochement de menton et puis :
— Haig.
— Félix.

J’avais dormi une pincée d’heures, puis je m’étais installé dans un transat sur le balcon, en short, torse et pieds nus sous le soleil éclatant de Floride.
Bouquin en main, je me délectais de la rencontre de Huckleberry du prétendu duc de Bridgewater et de l’encore plus prétendu Louis le dix-septième, « fils de Looy le Seizième et de Marry Antonette », quand un mouvement devant le Wendy’s attira mon attention.

Un des Philippins venait de sortir. Le plus gras. En tenue décontractée, jean et chemisette.
Bientôt, la porte du garage se souleva, laissant le passage à une grosse Lincoln noire, avec les deux autres Philippins à bord.
Le gros vérifia la fermeture de la porte métallique puis, à son tour, monta dans la Lincoln qui commença à s’éloigner le long de l’avenue.

Pris d’une impulsion, je bondis sur mes pieds, fourrai mon flingue dans mon short, un petit 38 à barillet et canon court (Baltimore boutique).
Attrapai d’une main ma chemise.
Mon sac.
Raflai de l’autre mes chaussures sur le tapis et fonçai hors de la chambre.

Dans le couloir à miroirs et dorures, je dédaignai les ascenseurs pour dévaler quatre à quatre l’escalier puant le détergent citronné.

Je déboulai dans le lobby, toujours presque à poil, comme un amant surpris par un mari.
Le traversai en courant, ébahissant le réceptionniste efféminé derrière son desk – qui m’avait déjà fait de l’œil – et un troupeau de vieillards en tenue de golf qui sirotaient des cocktails.

Une minute plus tard, je débouchai du parking dans l’avenue, au volant de la Subaru.

Heureusement, Ocean drive est toujours encombré par hordes de frimeurs en décapotable ou en Harley-Davidson. Des types qui prennent bien leur temps pour se montrer et reluquer les filles qui défilent en bikini.
Coincée dans la circulation, la Lincoln des Philippins n’était encore qu’à une centaine de mètres.

Je la vis bifurquer dans une des transversales en direction de Miami.
Bientôt, on fut dans le downtown.
On remonta Fleet street et on s’engagea sur le Freeway 95 vers le nord.

A la première station-service, les Philippins s’arrêtèrent pour prendre de l’essence.
Je me garai devant la boutique et, la chemise enfilée mais toujours pieds nus, je cavalai jusqu’à la rangée des téléphones à pièces et composai le numéro de l’appartement de Carlo.

C’est Félix qui répondit.
— Le brelan des branleurs a quitté la boîte, expliquai-je. Ils sont en voiture. On est à une station d’essence sur le Freeway, direction nord. Je ne sais pas où ils vont mais je leur colle au derrière…
J’entendis Félix transmettre mes informations à Carlo, puis la voix de celui-ci.
— Continue à les suivre. Quand ils arrivent à destination, si jamais ils arrivent quelque-part, préviens-moi. Je reste près du téléphone.
— Comme si c’était fait, chef !

Je raccrochai.
De retour à la voiture, je vérifiai le barillet de mon 38.
Puis, comme un des Philippins s’achetait un soda dans la boutique, je pris le temps d’enfiler mes chaussures.

(A suivre)

 

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