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Episode 13 : Brelan de morts

Publié par le 30 août 2014

 

Brelan de morts

 

Sur le parking du Seminole Coconut Creek Casino, les sirènes des véhicules de police et des pompiers hurlèrent longtemps à la mort.

La tribu des guerriers indiens de la sécurité renforcée par une escouade de flics de Fort Lauderdale nous retinrent à l’intérieur du casino. Le temps, imaginai-je sans peine, que les gars du fire-squad éteignent le feu et que ces messieurs les poulardins sécurisent le site de l’explosion dans les règles.

Je dis « imaginai-je », car les policiers, pas plus que les vigiles ne nous délivrèrent d’informations sur ce qui s’était passé. Aux questions que certains leur lancèrent, ils répondirent par des « stay calm ! » sans appel.
— C’est un accident ?
— Une bombe ?
— Stay calm, please.
— Une bagarre de trafiquants de drogues ?
— Est-ce qu’il y a du danger ?
— Restez calme, tout est sous contrôle.
Une très grosse dame en chemisier vert fluorescent et pantalon corsaire orange glapissait :
— Mais ma voiture est peut-être en train de brûler, là-bas. Oh, par Jésus-Christ, qu’est-ce que je vais faire ?
— Stay calm.

Il y eut quelques clients cubains pour protester et lancer des jurons en espagnol.
De loin cependant, à bonne distance des matraques.
Mais les Américains sont des gens dociles, bien dressés par leurs forces de l’ordre – lesquelles se révèlent souvent, il faut bien le dire, sévères et volontiers brutales.
Assez rapidement, la foule massée devant le hall d’entrée se désagrégea.

La plupart des gens s’entassèrent dans les divers restaurants pour faire ce que font les Amerloques en cas de temps mort ou d’émotion imprévue : engloutir de la bouffe.

Les plus pragmatiques se remirent à jouer.
Du côté des jackpots, les crépitements, coups de trompettes et bips repartirent.
Les tables de craps et de black jack se remplirent, devant des croupiers qui n’avaient d’ailleurs pas quitté leur poste un seul instant.

Seuls quelques groupes épars dans la salle, majoritairement masculins, continuaient à discuter.
Un vieux type costaud aux cheveux blancs rasés, visiblement un ancien militaire, pérorait au centre d’un cercle d’auditeurs attentifs, affirmant qu’il avait reconnu le bruit caractéristique d’une explosion de roquette.
Une autre grande andouille à casquette de base-ball affirmait que la Floride devenait dangereuse, contaminée qu’elle était par les dealers de drogues et appelait haut et fort à un nettoyage d’urgence.
— On doit défendre nos enfants ! On est en Amérique, pour l’amour de dieu !…
Dans un autre groupe, la discussion avait glissé des dégâts possibles sur les voitures aux mérites comparés des polices d’assurance.

Moi, je m’avalai un double bourbon à l’un des bars, histoire de me relaxer. Puis je m’installai à une table de black jack pour me distraire de mon angoisse.
En vain.
Préoccupé par le sort de mes copains, impatient de savoir ce qui s’était passé, je jouai machinalement, sans même y penser.
A croire que c’était une bonne méthode. Pendant les deux heures que dura notre confinement, je me fis près de cinq cents dollars.

Ils nous lâchèrent au crépuscule, non sans une dernière vérification des papiers d’identité.
Le badge au revers de la veste d’uniforme du flic qui me contrôla indiquait : Cavenaugh.
— Vous êtes français ?
— D’origine irlandaise, précisai-je.
Il sourit en me rendant mon passeport.
— Bon séjour en Floride, sir !

Sur le parking, je découvris la carcasse calcinée de la Lincoln des trois branleurs, à l’intérieur d’un quadrilatère de bandes de plastique jaune, entourée de voitures de flics aux gyrophares en action.
Aucune trace de Carlo ni des copains.
Je n’étais pas trop inquiet. Connaissant les réflexes et la capacité d’action des uns et des autres, j’étais sûr que, quoiqu’il se fût passé sur ce foutu parking, ils avaient réussi à s’en tirer.

Et je ne me trompais pas.
De retour à Miami et dans notre hôtel pouilleux de Little Havana, je retrouvai Karzan qui me raconta toute l’affaire.

— On était sur le parking. Loum et Félix nous ont rejoints. Ils avaient loué une Ford Fairlane grise. Carlo m’a demandé de piquer des plaques d’immatriculation et de les échanger avec la Ford parce qu’il prévoyait du suif. Le pick-up, c’était pas la peine. Baltimore l’avait fait voler par ses potes cubains…

L’attente s’était prolongée, comme je le savais, ponctuée toutes les demi-heures par mes coups de fil.

En fin d’après-midi, quand j’avais fait sonner les cinq coups du branle-bas de combat, la bande s’était préparée.
Carlo et Karzan dans le pick-up, Karzan au volant, Carlo son flingue sur les genoux.
Loum et Félix dans la Ford grise, moteur tournant.

— On a vu les Philippins descendre du bus, mais pas toi…
— Je sais. J’ai fait une connerie. Je ne voulais pas les coller de trop près. J’ai voulu attendre la navette suivante, mais justement, à ce moment-là, il y a eu une perturbation dans le trafic. Je me suis retrouvé à poireauter…
— Ouais. Ça a énervé Carlo. Il a râlé après toi : bon dieu, qu’est-ce qu’il fait, le gamin… Pendant ce temps-là, les trois gusses montaient dans leur bagnole. La Lincoln noire. Ils avaient l’air cool. Détendus. Le petit gros avait dû gagner parce qu’il rigolait et il envoyait des vannes aux deux autres, comme un type qui s’est rempli les poches…
Je confirmai :
— Il a touché au craps. Tu aurais vu ces mecs miser… Des vrais putains de millionnaires !
— Ils étaient dans leur voiture. On les a entendus allumer le moteur. Carlo a fait signe à Félix qu’on y allait sans t’attendre. A deux voitures, ce serait moins facile de les coincer, mais tant pis. Il m’a dit de démarrer. Et c’est à ce moment-là que ça s’est passé…

« Ça ».
Je n’y étais pas, bien-sûr. Mais avec le témoignage de Karsan, plus ce que m’ont raconté les autres par la suite, je suis aisément capable de reconstituer la scène.
« Ça ».
Cette dinguerie.

Les Philippins sont donc dans leur Lincoln, prêts à regagner leur bercail, tout contents de s’être éclatés et, au moins pour l’un d’entre eux, d’avoir gagné du fric.
Mes quatre potes les guettent depuis leurs bagnoles respectives aux moteurs ronflants, bien décidés à les coincer quelque part et leur faire leur fête…

C’est alors que déboule sur le parking une grosse moto Harley Davidson qui file se ranger juste devant la Lincoln.
Au guidon, un type d’allure jeune, mince, la face masquée par un bandana rouge. Il porte un de ces blousons de cuir sans manches qu’affectionnent les bikers. Brodée dessus, une tête de diable rouge entourée des mots « Havana Diablos Motorcycle Club ».

A l’arrière de la bécane, un autre type.
En jeans, bottes et blouson, celui-là.
Façon James Dean.
Un James Dean de quasiment cent cinquante kilos, à la crinière noire frisée et l’énorme barbe en bataille, tous ces poils entourant un visage de psychopathe.
A côté de Karsan, Carlo laisse échapper un de ses rares jurons.
— Baltimore ! Putain de bordel, qu’est-ce qu’il fait ?

Baltimore saute de la moto.
Gagne la Lincoln.
Frappe à la vitre du chauffeur.

Celui-ci sourit.
— Sourit ? demandai-je à Karsan.
— Ouais. Il sourit et il abaisse aussitôt sa vitre.

Baltimore se penche à la portière. Lui et le chauffeur échangent quelques mots.
Dans la main gauche de Baltimore est apparu un flingue. Dans la droite un cylindre noir de la taille d’une boîte de bière.
Il jette le cylindre dans la voiture et tire une balle dans la tête du Philippin.
Le sang gicle sur le pare-brise.
Baltimore regagne la moto.
Le biker cubain a tiré un sac plastique de sous son blouson. Il en renverse le contenu par terre : des petits paquets blancs qui se répandent sur le bitume.
Pas difficile de deviner que c’est de la dope.

Baltimore remonte sur le siège arrière. La moto file vers la sortie du parking.

Dans la Lincoln, on distingue des gestes de panique des deux survivants. Celui qui se trouve derrière, le gros, parvient même à ouvrir sa portière.
Mais c’est trop tard.
Parce que l’objet en forme de boîte de bière, c’est une bombe incendiaire.

Il y a une longue gerbe d’étincelles blanches, comme un feu d’artifice.
Un BANG ! à vous décrocher les tympans.
La Lincoln fait un bond d’un mètre en l’air.
Quand elle retombe, tout l’habitacle est envahi de flammes. Un brasier au sein duquel on distingue à peine les silhouettes des deux gars en train de cramer vifs.

Carlo jette à Karsan :
— Démarre !
Dans la Ford grise, Félix a eu le même réflexe.
Toute la bande quitte aussitôt le parking.

– Et Baltimore, qu’est-ce qu’il a dit ? m’enquis-je.
Karsan haussa les épaules.
— Rien. On n’a pas rattrapé la moto et on n’a pas de nouvelles depuis.
— C’est cinglé…
— Comme tu dis.
— Carlo ?
— Pas content. A mon avis, quand Baltimore va pointer son nez, ça va chier des bulles…

(A suivre)

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