Grandissime scénario de film d’aventure et néanmoins d’exception par Thierry Poncet, adapté de son ô combien palpitant roman du même nom, paru aux remarquables et remarquées éditions Taurnada.
EXT Nuit, lande
Une belle lune bien blanche suspendue dans un ciel de velours bleu nuit. On entend le ressac et une respiration haletante.
Une falaise très déchiquetée au pied de laquelle la mer sombre se brise en éclats blancs. Toujours ce bruit de respiration difficile.
Banc-titre :
Bun’Mohr, Irlande, huit ans plus tard
Le plan s’élargit. On découvre une lande dont l’herbe luit faiblement sous la lune. Au loin, on distingue la forme sombre d’une maison. Une fenêtre dessine un carré jaune. Un chemin côtier sinueux longe le haut des falaises. Le long de celui-ci claudique une silhouette inquiétante, bossue et boiteuse, qui chemine le plus rapidement qu’elle peut en s’aidant d’une béquille à l’ancienne.
Gros plan sur le personnage : une tête de vieil homme ridé et édenté, coiffée d’un chapeau informe. C’est à cet individu inquiétant qu’appartient le souffle difficile, que viennent maintenant émailler des jurons en gaëlique.
Plan sur la maison au loin.
INT Nuit, maison
Une salle basse aux murs de pierres, évoquant tout sauf le confort. Quelques meubles massifs. Pour toute lumière celle d’une grosse lampe à essence et un feu dans une cheminée.
On est frappé par l’abondance de livres qui s’empilent absolument partout : des colonnes branlantes de bouquins de poche et de brochés et aussi des étagères de livres anciens de collection.
Assis devant un chevalet de musique, une guitare en travers des genoux, un jeune homme s’applique à chanter un air traditionnel irlandais, de genre à marins et à boire.
Il a les cheveux plutôt longs, une courte barbe, un gros bonnet de laine et un pull du même métal. Dans ce gaëlique baba cool, on reconnaît Haig, le garçon aux cheveux ras, benjamin de la bande de pirates des Philippines.
Ce n’est pas le roi des chanteurs. Il se plante, jure, s’interrompt, reprend… Pendant ce temps, la caméra fait le tour de la pièce qu’on découvre emplie d’objets venus de tous horizons : Bouddha, tête de mort mexicaine, parure de plumes, sarbacane, statuettes africaine et pré-colombienne… À quoi s’ajoutent des armes, fusils, épées, couteaux…
Sur la table, à proximité de Haig se trouvent une bouteille de bon whisky entamée, un verre et un pistolet.
EXT Nuit, lande
Le personnage inquiétant est arrivé à la maison. Il jette un œil par le carreau. On entend Haig qui chante. L’homme claudique jusqu’à la porte, frappe un grand coup de poing et entre sans attendre d’invitation.
INT Jour, maison
Le boiteux fait irruption dans la pièce. On s’aperçoit qu’il porte une jambe de bois grossière, tout droit sortie d’un film de pirates.
Haig a empoigné le flingue qui se trouvait sur la table et le braque sur son visiteur. Un geste réflexe : le baba n’est pas si cool que ça.
La conversation qui suit se déroule en anglais, mâtiné de fort accent irlandais pour l’unijambiste.
Celui-ci écarte les deux bras en roulant des yeux paniqués.
Haig (baissant son arme) :
Flint.
Flint :
Ne tire pas !
Haig pose le flingue. Flint baisse les bras et se rétablit sur sa vieille béquille de bois.
Flint :
Si c’est comme ça que t’accueilles les amis, m’étonne pas que t’en ais pas !
Haig (rangeant sa guitare) :
Les vieux fous qui débarquent sans prévenir, sûr qu’ils risquent de s’en prendre une.
Flint s’approche en claudiquant d’une chaise.
Flint :
Moi qui venais parce que j’ai d’l’information pour toi, d’la bonne information pour mon ami Haig…
Tout en causant, Flint s’assoit et louche exagérément vers la bouteille de scotch. Haig s’est levé. Il attrape un verre en rigolant et le fait claquer sur la table.
Haig :
Je t’écoute.
Flint remplit son verre à ras bord.
Flint :
D’la bonne information tout ce qui y a d’bonne information.
Haig :
Accouche, débris !
Flint prend le temps de s’enfiler une longue rasade et soupire d’aise.
Flint :
Ben y a comme ça deux gars qui demandent après toi au Mermaid.
Le visage de Haig se fige. Il bondit sur Flint et le saisit par les revers de son manteau.
Haig :
Quels types ?
Flint (apeuré) :
Eh ! Eh ! Eh ! J’sais pas, moi ! Y d’mandent après toi…
Haig :
Ils sont comment ?
Flint :
Oh y en a un c’t’un vrai géant, costaud comme pas un, avec les cheveux courts et une bon dieu de moustache noire.
Haig se détend un peu.
Haig :
L’autre ?
Flint :
Ben c’est comme qui dirait pareil, costaud comme un taureau mais plus petit et puis blond…
Haig se fige. Instant d’immobilité.
Flint :
Sûr qu’si j’vais pensé qu’ça te dérangerait, j’serais pas venu…
Pendant qu’il soliloque, Haig attrape son blouson sur une chaise, l’enfile et sort. Pendant ce temps, le vieux Flint continue à bavasser.
Flint :
C’est ces deux gars-là, y s’boivent leur viski au Mermaid. J’leur fais la conversation, la politesse, quoi ! Et pis y m’disent comme ça si je connais un gars qui s’appelle Haig et pis alors y m’disent va l’chercher qu’on veut l’voir de toute urgence, alors moi si j’avais su qu’ça te dérangerait, tu penses bien que…
Ayant constaté que Haig a quitté la maison, il prend la bouteille de whisky, lit l’étiquette, approuve ce qu’il y lit d’une grimace gourmande et remplit son verre à ras bord.
EXT Nuit, lande
Haig marche d’un pas vif le long du chemin côtier. Quelques plans de paysage, de lune et d’océan, sur la musique que chantait Haig tout à l’heure, mais bien exécutée, cette fois.
Plan sur le chemin en descente et les lumières d’un petit port de pêche en bas.
EXT Nuit, Bun’Mohr
Haig longe le port. Chalutiers amarrés, bateaux en cours de réparation, désordre habituel de filets et de caisses. Un patron pêcheur à la trogne irlandaise, casquette vissée sur la caboche et pipe en bouche, au milieu de son équipage d’Africains immigrés qui s’affairent, salue Haig au passage.
Le pêcheur :
Salut, l’grand voyageur ! Pas encore reparti ?
Haig :
Salut, O’Toole !
On aperçoit des restaurants et des boutiques de souvenirs. Bien que typique et encore en activité, Bun’Mohr présente l’aspect propret et un peu artificiel des endroits favorisés par les touristes.
Plan sur la façade du pub et sur son enseigne, une sirène à la nudité cachée par son abondante chevelure rousse : le Redhead Mermaid.
Haig pousse la porte.
INT Nuit, pub
Boiseries, cuir lustré, cuivre : un pub au décor classique, dont se dégage une impression de prospérité. Des touristes à l’allure aisée, certains avec gamins, sont assis aux tables, de même qu’un duo de vieux pêcheurs qui jouent aux dames. Quelques buveurs au comptoir et, parmi eux, accoudés devant des verres de scotch dans des attitudes très jumelles, Carlo et Félix. Malgré quelques signes de vieillissement, poils gris ici et là, ils n’ont pas changé. Ils sont vêtus pareillement de blousons de cuir, de jeans et de bottes de cowboys, le tout ayant un aspect neuf et luxueux.
Tous deux regardent Haig s’approcher, impassibles. Haig n’est pas plus expansif. En comparaison des deux autres, dans leurs atours de voyous de luxe, il a l’air un peu minable – blouson râpé et vieilles baskets.
Haig :
Carlo.
Carlo :
Haig.
Haig :
Félix.
Félix :
Haig.
Le patron pose sur le comptoir un verre de whisky, qu’on devine la consommation habituelle de Haig. Les trois hommes boivent en silence.
Plans sur leurs trois paires d’yeux qui se jaugent mutuellement. On doit se demander s’ils vont se jeter à la gorge les uns des autres ou bien s’embrasser. Finalement, ils boivent de concert, sans trinquer.
Carlo :
Il a fait vite, ton chasseur de baleines.
Haig :
Flint ? Il vous a fait le coup ?
Carlo et Félix fixent Haig en silence. Ça dure.
Haig (expliquant) :
Sa jambe, il se l’est faite bouffer par une machine dans une conserverie où il bossait, à Belfast. Il touche une bonne pension, il pourrait s’habiller autrement que comme un clodo. Il pourrait avoir une bonne prothèse en plastique. Mais il préfère son espèce de pilon de bois. Son trip, c’est de raconter aux touristes que c’est un cachalot qui lui a bouffé la jambe, des fois au large de Terre Neuve, des fois dans le Pacifique nord. Comme ça, il se fait payer des verres…
Carlo :
Alors oui. Il nous a fait le coup…
Haig :
Depuis son accident, les gens du coin ont pris l’habitude de l’appeler Flint. C’est une connerie, mais c’est comme ça…
Nouvel air interrogatif des deux autres, immobiles. Même silence qui dure.
Haig :
Celui qui s’est fait arracher la jambe par un cachalot, dans Moby Dick, c’est le capitaine Achab. Flint, c’est le capitaine des pirates dans L’Île Au Trésor, de Stevenson. Et encore, il est mort et celui qui a une jambe de bois, c’est Long John Silver.
Silence.
Finalement, Carlo et Félix échangent un coup d’œil.
Carlo :
Haig, l’intello.
Félix (levant son verre) :
À ta culture. Tu as toujours autant le nez dans les bouquins, on dirait…
Nouvelle rasade commune.
Haig :
Qu’est-ce qui vous amène ?
Carlo adresse un signe de tête à Félix, qui sort de sa poche une pochette telles qu’en délivrent les boutiques photo. Il en sort un cliché papier qu’il tend à Haig.
Félix :
Cette gonzesse te dit quelque chose ?
Plan sur la photo : Vanda, la belle blonde.
Haig :
Vanda.
Carlo :
On l’a localisée. Tu en es ?
Haig :
J’ai juré, non ?
(À suivre…)
Ça sent la Guinness et les effluves de Bushmills… L’Irlande… grands souvenirs !
https://youtu.be/tlxXzXvdYg4
Joli clin d’œil à Stevenson et Melville.
Perso je trouve la descente vers le port terrible.
Trois phrases et on sent le vent du large, on distingue la mer sous la lune mais on fait gaffe où on met les pied parce que le sentier de douaniers ou de pirates, on l’imagine pas très large, il tombe sans doute à pic, du coté de la mer… Et en plus de la lune, il y a les lumières en contrebas qui grossissent de plus en plus…Et il y a de la route pour atteindre ce putain de bled… Tout ça pour se farcir les deux tronches joviales de ces messieurs Carlo et Felix, qui adorent faire la conversation…
Mais quand en plus on apprend qu’ils sont là à cause d’une dénommée Vanda dont la moralité est semble-t-il plus que discutable, voire pire…Foutu métier d’aventurier…
Oliv, les Pogues je les voit bien dans le pub, quand Haig il fait son apparition.
Avant je propose une truc plus épuré, un air de guitare celtique sur lequel Haig se casse les doigts dans sa baraque avant que la patte-folle se pointe…
L’air sera repris après ( en mode normal donc si on suit les indications du patron) sur la descente vers le port.
Salut Alek, bien d’accord. Il faut une ballade pour accompagner Haig… Tiens, voilà une pointure de la zik irlandaise, et un album cher à ma jeunesse.
Je vois déjà l’affiche du film : Les guerriers perdus – Film de Thierry Poncet – Musique de U2
Loupé… YT fait de temps en temps des caprices ; la ballade de U2 que je voulais poster est « Running to stand still »…j’espère que ça va le faire…
J’ai pu revoir récemment une scène qui illustre bien la différence qui existe entre le travail du scénariste et celle du musicien, voyons qui devine le film :
Intérieur soir, hall d’un grand hotel américain.
Deux personnes se présentent ensemble à la reception, un homme et une femme ( déjà là, grave indice.. )
Ils travaillent tous deux sur le tournage d’un film dans le grand ouest américain, elle a écrit le scénario, lui la colonne sonore….
La femme, au réceptioniste :
– Bonsoir, pouvez-vous me réveiller à 8 heures ?
– Bien madame.
L’homme, au même réceptioniste :
– Pour moi 10 heures s’il vous plait.. » Puis, se tournant vers la femme : vous auriez dù apprendre la musique !
Voilà… d’une réplique tout est dit non ? Le scénario se sue sang et eau, la musique c’est une promenade de santé qui permet de faire des grasses matinées !!
Quoique…
Quoique !!
Il existe le contre exemple avec le témoignage du grand Michel Legrand ( sans jeux de mots ) qui nous a quitté récemment.
Déjà une grande star en France pour ses premiers succès, il fùt appelé à la rescousse à Hollywood pour le tournage d’un film dont le scénar maigrelet demandait à être étoffé par une solide colonne sonore sinon on allait droit dans le mur…
En fait, il a écrit une musique tellement belle qu’ils ont préféré tourner les scènes AUTOUR de sa musique, et tout au long du film c’est elle la protagoniste….
Aaaah mais c’est que ça nous fait un double quizz ciné-miousic tout ça !
Qui se lance ? ( a gagner une paire de pinces à vélo )
L’affaire Thomas Crown…
Très juste… tu as gagné UNE pince à vélo , il manque le premier !