Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.
Grandjaune :
(se curant les dents)
Quand certains êtres à sandalettes et chevelure suiffeuse, utopistes fanatiques d’une imbécile décroissance, viennent pérorer sur le prétendu scandale que consisterait la mort programmée par leurs fabricants de certains de nos objets de consommation, je ricane. Oui, mon vieux, je ricane !
Labière :
C’est comme moi. Mon cadet menace de s’enfermer dans sa chambre et de faire la grève de la faim si je ne lui achète pas une nouvelle play-station.
Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Le véhicule automobile s’immobilise définitivement à l’aube de sa troisième année d’utilisation. L’imprimante d’ordinateur refuse toute sollicitation de son utilisateur à sa cinq-cent-unième page. Pourquoi diable en demander plus ?
Labière :
(allumant un cigare)
Il paraît qu’en découvrant celle qu’il a eu à Noël dernier, ses copains se foutent de lui. « Putain, papa, c’est vraiment trop la honte grave, quoi ! », paraît-il…
Grandjaune :
Le réfrigérateur à écran digital ne produit plus de froid ! Le radiateur à commande vocale plus de chaud ! Votre chasse d’eau révolutionnaire à aspersion ne vous permettra qu’un nombre limité de déjections ! Le jour de la fin de sa garantie, votre aspirateur vous annonce d’une voix féminine électronique qu’il n’avalera plus jamais le moindre grain de poussière. Moi, je dis : c’est dans l’ordre des choses !
Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.
Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
Quant à son aîné, c’est le scooter que je lui ai offert quand il a obtenu sa moyenne de onze sur vingt au lycée français dont il ne veut plus. Depuis quinze jours, sa copine refuse de monter avec lui…
Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Dans les banlieues du Tiers-monde s’amoncellent des montagnes d’objets aussi neufs que surannés. Des cohortes de coolies aux pieds nus s’acharnent à les désosser pour une pincée de roupies par jour. Et alors ? Nos folkloriques chiffonniers de Clichy et de Clignancourt étaient-ils plus mal lotis ? Non, vraiment, ils devraient nous remercier !
(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)
N’allons pas contre notre nature ! Gaspillons sans complexe ! Depuis l’invention du mouchoir en papier et du briquet en plastique, la vraie identité de l’Occident, c’est d’être jetable !
Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
Finalement, je lui ai payé une moto et des leçons de conduite. Pour l’autre, je vais prendre la play-station puis l’écran plat avec wi-fi incorporée. Le vendeur a promis de me faire un prix. Je vais voir si je ne peux pas me faire rembourser, au bureau…
(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)
4 Responses to Les z’obsolescences…