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In utero (une cons-versation)

Publié par le 28 février 2024

 

Certains potes, au découvrir des petits joyaux que sont les Cons-Versations inventées par le copain Olivier, m’ont demandé :
– Il ne serait pas un peu fou, ton
gusse, là ?
Ma réponse :
– Non.
Il n’est pas UN PEU fou. Il est COMPL
ÈTEMENT cinglé.
Ce qui, par ailleurs,
on en conviendra, constitue un ticket d’entrée pour les colonnes de ce blog.


Le 29 mars 2023, la scène se passe dans le cabinet du gynécologue Mono, 69, rue Rocco Thåndhŭ. Il y a la mère, naturellement, le toubib, bien-sur, mais aussi le père, menotté, encadré de deux gardiens (il purge actuellement une peine de prison et a eu une autorisation spéciale pour assister à la consultation).

INT Jour – dans l’utérus de la mère

Le fœtus (donnant des coups de pieds rageurs) :
Chgn’a faim. Chgn’a faim. Chgn’a faim. Chgn’a faim. !

(Note : il a une voix visqueuse, qui évoque celle de Gollum dans Le Seigneur Des Anneaux)

INT Jour – cabinet du docteur Mono

La mère (au père) :
Oh chéri, mets ta main, le p’tit donne des coups de pieds. Tu crois qu’il a senti que tu étais là ?

Le père :
Et comment qu’il le sait ! C’est mon fils. Le fiston à Manu-le-Gourmet tout craché, ça !

Il se tourne vers ses gardiens, levant ses poignets menottés.

Le père :
Pouvez m’enlever les menottes ? J‘voudrais pas blesser ma pouliche avec ces bracelets. J’vais pas m’barrer, chuis là pour voir ma descendance.

Les deux gardes se regardent et sur un coup de tête du plus ancien, le jeune vient le libérer.

INT Jour – utérus

Le fœtus :
Gna merde, Chgna trop faim. Voyons ch‘qui ch‘propose… (il tend ses p’tits doigts crochus) Chgna va commencer par chgn‘truc tout-mou tout-mou.

Il ouvre une bouche déjà fourni de quatre incisives affûtées et mord un grand coup. Mâche. Avale.

Le fœtus (réjoui) :
Hmm… du sang…
Chgn’a bon !… Chgna m’donne encore plus le chgn’appétit…

Il se remet à manger en ronronnant de plaisir.

INT Jour – cabinet

Le gynécologue prépare son matériel afin de pratiquer l’échographie. La mère grimace, les mains crispées sur son ballon de basket.

La mère (affolée) :
Docteur, je viens de sentir une douleur !

Le docteur (insouciant) :
Ne vous inquiétez pas, c’est normal. Le bébé bouge. On va regarder ça.

Il découvre le ventre et étale le gel. Il prend la sonde et tout le monde se met à regarder l’écran.

Le docteur (surpris) :
C‘est bien la première fois que je vois ça !…

La mère :
QUOI ?

Le docteur :
Euh…
À quand remonte votre dernier repas?

La mère :
H
ier midi. Hier soir je ne me sentais pas bien. Je suis allée me coucher sans manger. Ce matin, je n’ai pris qu’un jus de banane vu que je devais passer à la prison pour que mon mari puisse m’accompagner.

Le docteur :
Voilà. Nous avons un problème : votre fils vient de vous manger le placenta et est en train d’attaquer la rate.

Le père se penche pour mieux voir ; les gardiens en font autant.

Le père (réjoui) :
C’est bien mon fils ! Le p’tit gars à Manu-le-Gourmet ! Il mange saignant, comme son père !

Il se tourne vers le plus jeune des gardiens.

Le père :
On m’appelle « Le Gourmet » passe que j’ai
gobé les testicules de mon frère jumeau pendant une fête. Faut dire : on avait picolé. C’te vache de juge m’en a collé pour cinquante ans de placard.

Le gardien (compatissant) :
C’est cher payé.

Le père :
C’est passe que j’ai
accompagné mon repas de whisky-coca. Il a dit : « On est en France bordel de merde, on boit du vin ».

La mère :
Mais c’est pas possible ? Faut faire quelque chose ? J’ai un monstre dans mon ventre. JE VEUX AVORTER !!!

Le père :
Mais elle est barge ! Si mon fils a faim, y doit manger !

Les deux gardiens se jettent sur lui, le plaquent au sol, le re-menottent et enfin l’évacuent. On entends ses hurlements de protestation s’éloigner.

Le docteur (calmement) :
N
ous avons les moyens de communiquer avec votre enfant. Les fœtus presque à terme comprennent ce qu’on leur dit. Grâce à cette machine, nous allons lui expliquer qu’il n’est pas viable de continuer à vous bouffer les organes.

La mère :
OUI !

Le docteur :
Vous, e
n échange il faudra lui promettre de bien prendre vos repas…

La mère :
Oui, oui, tout ce qu’on voudra. Mais faites vite, ça commence à faire vraiment mal !

Le médecin branche une nouvelle machine et porte un micro à sa bouche.

Le docteur :
H
em, hem, jeune homme ? Excuse-moi de t’interrompre mais tu es en de faire une bêtise. Il n’est vraiment pas conseillé de manger l’intérieur de sa maman.

INT Jour – utérus

Le fœtus se fige, regarde à droite et à gauche.

Le fœtus :
Hein ? Ch‘qui qui chgm’parle ?

INT Jour – cabinet
Le docteur :
Ton
médecin, enfin presque. Ton docteur qui te demande d’arrêter ce que tu es en train de faire.

Le fœtus (voix off, depuis un haut-parleur) :
Ben chn‘ai faim moi ! Faut qu’chgne mange. Depuis hier chne sens bizarre, chgn’ai le ventre vide, chgnuis tout faible.

Le docteur :
L’explication est simple : ta mère a sauté un ou deux repas. Mais elle promet que ça ne se reproduira pas. Par contre, si tu continues à la manger, tu risques de lui causer de sérieux problèmes ainsi qu’à toi-même.

Le fœtus :
C
hgn’en fous, moi ! Quand chgnai faim, ch‘mange ! Chi ma mère chn’fait pas d’efforts pour m’nourrir, alors ch’mange c’que chgn‘trouve. Tiens, chv’la gn’un truc sympa, ch‘goûte !

Le docteur :
Ça c’est le colon. À ta place j’éviterais, ça risque d’avoir mauvais goût.

Le fœtus (on l’entend cracher) :
Beurk, chn‘est dégueulasse ! Grrr ch’pas grave, chgn’y a plein tout plein d’autre trucs …

Le médecin coupe le micro.

Le docteur (à la mère, chuchotant) :
Aïe, i
l y a pris goût. Il faut vous en débarrasser le plus tôt possible. En attendant je vais l’endormir et vous booster afin qu’il soit gavé pour un bon moment. Madame : vous avez un cannibale dans le ventre.

La femme s’évanouit.

Écran noir

Banc-titre : TROIS SEMAINES PLUS TARD

Plan sur un fronton sculpté qui annonce : Tribunal Édouard Panteur.

La caméra se fixe sur l’horloge située en dessous. Il est 11h 45. La caméra continue de descendre, dévoilant une volée de marches et, à leur pied, une troupe de reporters sur le pied de guerre.

Un journaliste se recoiffe tout en se grattant l’entrejambe avec son micro. On comprend que son cameraman lui adresse un signe. Aussitôt, il se met en position, lève trois doigts de la main droite et fait le décompte. Trois, deux

Le journaliste :
En direct du palais de justice de notre bonne ville de Chenecey-Buillon, nous attendons le verdict pour un procès très particulier. Voici un résumé de l’affaire commencée le 1er avril 2023. Ce jour-là, madame M… porte plainte contre son fils pour cannibalisme. Lors de sa dernière échographie,  le médecin a pu constater que le fœtus de 7 mois avait dévoré le placenta, la rate et une partie du colon de sa mère…

Son attention est attirée vers le sommet des marches.

Le journaliste :
Mais voici le procureur Horstal qui vient de sortir. Monsieur le procureur, une déclaration ?

Le procureur s’avance dignement vers les journalistes, s’immobilise, l’air important, et exécute un vaste mouvement de manche. On a l’impression qu’il va plaider.

Le procureur :
J
e suis confiant. Le jury délibère en ce moment. La confiance est totale. Je pense l’avoir convaincu. C’est une question de confiance. On ne peut laisser impunie une telle action. Le cannibalisme est une horreur. Même pratiqué par un fœtus. Même si c’est sa propre mère qui en est le repas. Par ailleurs, je…

Le journaliste (l’interrompant) :
Mais l’enfant est mineur, tellement mineur qu’il n’est pas encore né. Vous ne pouvez pas l’atteindre. Il a déclaré, lors de la dernière échographie que si on le poursuivait en justice, il ne sortirait pas.

Le procureur sourit d’un sourire de notable satisfait.

Le procureur :
Oh, oh, oh !… On a les moyens de le faire sortir, vous savez. Et croyez-moi : il existe des bocaux suffisamment grands pour l’accueillir. Très belle décoration pour les étagères du laboratoire d’anatomie de la faculté de médecine. C’est en tout cas ce que j’ai recommandé. D’ailleurs, je…

Le journaliste (l’interrompant) :
Voilà Maître Drack-Houla, l’avocat !

En effet, l‘avocat de la défense sort à son tour du tribunal. Les journalistes se précipitent vers lui en brandissant leurs sex-toys enregistreurs. Même dignité, même jeu manche. Drack-Houla regarde le troupeau s’agiter du haut de son 1m53 (il est resté sur la plus haute marche).

L’avocat :
Le combat ne fait que commencer. Le combat commence. C’est le début du combat. Mon client, monsieur Maurenkor est innocent. Il est innocent. Son innocence est incontestable.

Le journaliste :
Votre ligne de défense ?

L’avocat :
J’ai moi-même connu la faim. Vous connaissez mon livre « Mordre Encore » (simple coïncidence), aux éditions Nakrage. Je compte faire appel au niveau européen si les jurés ne suivent pas ma plaidoirie. Mon client est innocent. C’est un combat qui commence.

Le journaliste :
Avez-vous entendu parler de cette association de défense des droits de l’enfant qui appelle tous les fœtus de plus de quatorze semaines, date légale limite de l’IVG, à soutenir votre client ?

L’avocat (tombant visiblement des nues) :
Bien-sur.
Hum… Hum… Bien-sur… Nous sommes dans une situation de combat. D’ailleurs, je…

Le journaliste (l’interrompant) :
Une cagnotte a même été lancée. Des voix s’élèvent pour dire que le jeune Maurenkor était dans son droit car « Quand on a faim, on mange ! »

L’avocat sourit, ses canines débordent légèrement sur ses lèvres du bas.

L’avocat :
C’est un combat qui commence. I
l est important dans une société comme la notre que l’on écoute tout le monde. C’est notre combat. Un fœtus est un être vivant, doué de raison. Il a comme tout à chacun, le droit de s’exprimer. Et si cela peut faire avancer la justice sur les verts pâturages de la vérité et bien je suis d’accord.

Il ouvre les bras tel Jésus devant ses apôtres lors la Cène.

L’avocat :
C’est notre combat !

Le journaliste :
Que pensez-vous de la condamnation de son père pour complicité intra-utérine ?

L’avocat :
Le combat…

Le journaliste :
Il n’est pas responsable des actes de son fils et pourtant il vient d’écoper de vingt-cinq ans d’emprisonnement en sus de la peine qu’il est en train de purger.

L’avocat :
Il
a été génétiquement prouvé que ce monsieur, dit Manu « le Gourmet », a transmis volontairement ses gènes cannibales à son fils. Une sorte d’héritage, en somme. Et voilà pourquoi je m’insurge que l’on puisse accuser mon client de faire une chose qui se trouve être, de par le fait, naturelle. C’est le sens de notre combat.

Le journaliste :
Cependant, vous…

L’avocat (l’interrompant) :
Maintenant, si vous me le permettez, je vais aller me restaurer. Il y a un steak tartare qui n’attend plus que moi et qui ne portera pas plainte, lui !

Il s’éloigne. La caméra le suit pendant quelques secondes puis revient sur le journaliste.

Le journaliste :
Vous voulez mon avis ? Non ? Et bien je vous le donne quand même. Des conneries pareilles, j’en ai entendu un paquet, mais là, je pense qu’on touche le fond.

Il tourne les talons et jette son micro derrière son épaule. S’ensuit un sifflement Larsen insupportable.

CUT

(À suivre)

 

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