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Obus versus obtus (une cons-versation)

Publié par le 11 septembre 2024

 

Alors que s’approche au galop d’une marée du Mont-Saint-Michel la fin de l’été et, conséquemment t’à l’eau, la fin des chroniques d’été, l’ami Olivier nous prouve encore une fois qu’il en a sous le capot, fin de saison ou pas. Non mais…

Le front. Par une nuit sans lune, deux soldats se tiennent compagnie au fond du trou d’obus numéro 2 127 485 ter. Comme ils sont arrivés séparément et qu’on y voit comme dans un trou d’obus par une nuit sans lune, ils se méfient et ne parlent pas beaucoup. Un troisième larron leur tombe dessus.

Premier :

AÏE !

Deuxième :

OUPS !!

Troisième :

HEIL !!!… Désolé, meine Freude.

Premier (armant son fusil) :

Putain, un boche !

Troisième (précipitamment) :

Nei… Je veux dire : non ! NON ! Chuis français !

Deuxième :

Alors pourquoi tu parles allemand ?

Troisième :

Je parle, je parle, faut pas exagérer, vous venez d’entendre tout mon vocabulaire d’outre Rhin.

Premier (le Lebel toujours braqué) :

Pou-re-que-oi ?

Troisième :

Avec tout ce bordel, les bombes qui explosent partout, les mouvements de troupes, les tranchées qui changent d’occupants du jour au lendemain, on ne sait jamais sur qui on va tomber.

Premier :

Pourquoi tu ne parles pas français, alors ?

Troisième :

Les boches sont plus cons. Ils tirent plus vite qu’ils ne réfléchissent.

Deuxième (s’insurgeant) :

Tu trouffes les hallemands plus cons ?

Premier (pointant son arme dans la direction de la voix gutturale) :

Eh, c’est quoi ton accent à toi ? Tu s’rais pas un chleuh, des fois ? C’est quoi ton nom, hein ?

Deuxième :

Che m’ap… hum… Je m’appelle Pascal Mans. Je suis français. Cent pour cent cent français.

Premier (méfiant) :

Français ?

Pascal :

Ich suis prof d’allemand. Ya. Je mélange parfois les deux langues quand je suis stressé. Et toi, tu t’appelles ?

Premier (se redressant par réflexe, débitant) :

SOLDAT 1ÈRE CLASSE DUBOIS ALBERT, 4ÈME RÉGIMENT D’INFANTERIE, À VOS ORDRES MON COMMANDANT !

Pascal :

Repos, mon vieux. Je suis seulement ein professeur.

Albert (se détendant) :

Bon,d’accord. mais j’te trouve toujours pas clair. Déjà, tu ne parles pas beaucoup depuis que tu es arrivé dans ce trou, en plus tu sens la charcuterie. Les schleus mangent de la charcuterie…

Pascal :

Parce que les français n’en manchent pas ? Ils sont les rois de la charcutaille : jambon sec, jambon cru, jambon cuit, pâté, terrine, rillettes de porc, rillettes de canard, boudin noir, boudin blanc, langouille, saucisson de porc, saucisson d’âne, andouillette, andouille…

Albert (décidément nerveux) :

C’est moi que tu traites d’andouille ? Attention l’teuton, chuis armé.

Troisième :

Messieurs, un peu de calme, personne ne traite personne d’andouille.

Albert (se tournant vers la voix) :

Et toi, tu viens d’où comme ça ?

Troisième :

Moi ? De chez moi. C’est ma ferme, le bâtiment que vous avez dû voir en venant. Je m’appelle Gepetto Bricolo Pantino. Et ici, c’est mon champ. J’viens vous demander de payer la taxe de séjour.

Albert (se redressant sur ses ergots tel un coq gaulois, décidément très, très très nerveux) :

Quoi ? La taxe ? Quelle taxe ? Putain, c’est la GUERRE ! On est dans un putain de TROU ! On nous tire dessus, les obus tombent plus nombreux que les pellicules de ma belle-doche, et toi tu voudrais qu’on te paye une TAXE ?

Gepetto :

Ah, mais c’est pas moi ! C’est la loi : quand on s’installe quelque part, il faut payer la taxe. Trois sous par personne et par jour, guerre ou pas guerre.

Pascal :

On peut payer en deutschemark ?

Il se tourne dans la direction d’Albert, qu’il trouve décidément nerveux.

Pascal :

Ils ne sont pas à moi ! Enfin, pas vraiment. Ich les ai trouvés sur un mort.

Albert (grinçant) :

Et détrousseur de cadavre en plus, t’aggraves ton cas, l’professeur de boche ! T’aggraves grave !

Pascal (un rien gêné) :

Bon, disons « presque mort ». Presque. Ich… Je passais à côté de lui, il m’a dit qu’il n’en aurait plus besoin. Alors moi, hein, si je peux rendre service …

Gepetto :

Moi, j’prends ce qu’on m’donne. Quand tout sera terminé, j’convertirai, pas de soucis. Alors m’sieur Mans, ça fait combien de jour que vous êtes dans mon champs ?

Albert (nerveux) :

Gepetto… Gepetto… T’es un rital, alors ? T’es Mussoliniste ? BORDEL, vous êtes tous les deux des envahisseurs. MAINS EN L’AIR ! MAINS EN L’AIR OU JE TIRE !

Gepetto :

Ma finalmente… Mais enfin !… On se calme !… Tu trouves qu’on a des têtes d’envahisseurs ? Gepetto, c’est du côté de mon père. Ma mère était une bretonne pure souche. Une Keredec ! Finistère nord ! Peut pas faire plus breton !

Albert :

Breton, c’est pas français. Qui me dit que tu n’viens pas envahir la France, bouffeur de kouign amann. Garde tes mains en l’air et tu peux courir pour que j’te paye ta taxe. J’paye pas les étrangers ou c’est avec du plomb de chez Manufrance.

Gepetto :

On est dans l’noir, mon pov’ Dubois. Bras en l’air ou pas, tu vois que dalle, alors tes …

BAOUUUM !

BRAOUM !

SCHLAPTCH, SCHLEUTCH, SCHPLEK !…

Les trois gusses se jettent au fond de la tranchée et s’étalent dans la boue en se protégeant la tête.

Gepetto (se relevant) :

Sont pas tombées loin, celles-là ! Heureusement, il n’y a qu’une chance sur cent qu’une bombe tombe deux fois au même endroit. On est tranquille, maintenant.

Pascal se redresse prudemment. Albert ne relève pas et ne se relève pas. Il reste dans la gadoue.

Albert (ronchonnant indistinctement) :

Gnn… Gnnn… Gnaleté de chleuh… gnn… rital de mes gneux…

Gepetto :

Allez, les gars, on se calme. On est tous les trois dans la même galère, autant faire bonne compagnie, non ?

Pascal :

Yawohl !

Gepetto :

Pour la taxe, je ferme les yeux pour cette fois, d’accord ? Maintenant, ça vous dirait un petit coup de chouchen ?

Albert :

Gnn… Boche… Macaronis…

Pascal :

J’ai du Schnaps, si ça vous dit. J’suis tombé dessus en arrivant. Coup de bol, la bouteille a bien résisté, ya.

Les bombes ont un poil refroidi l’ardeur guerrière d’Albert. Il s’assoit et accepte de boire un coup. D’assez bonne grâce, étant donné qu’il est le seul à ne rien avoir à partager. Les poches de son treillis sont plus vides qu’une tête de sénateur en session.

Les trois valeureux guerriers commencent par la boisson bretonne au bon goût d’abeilles fermentées. Puis c’est le côté Panzer de la potion germanique qui les revigore.

Pascal (faisant cul sec) :

Sehr gut !

Gepetto :

Yermat !

Il déguste le schnaps du bout des lèvres. On ne sait jamais avec ces boissons d’outre Rhin.

Albert (concédant) :

Mouais, ça fait du bien. (À Gepetto) : Au fait, c’est sûr ton histoire d’une chance sur cent ? Tu sais, la bombe qui tombe à un endroit ?

Gepetto (sifflant le reste du schnaps, rassuré) :

Sûr et certain, c’est statistiquement imp…

BRAOUM !!!

Une fois le nuage de fumée dispersé, les flammes d’un arbre en train de brûler éclairent trois cadavres épouvantablement déchiquetés. Trois silhouettes transparentes flottent à proximité.

Ex-Albert (explosant) (aussi) :

Alors toi et tes prédictions, tu repasseras ! J’n’ai pas insisté tout à l’heure, mais j’n’en pensais pas moins. Les ritals, on peut pas leur faire confiance !

Ex-Gepetto (insistant, le ton désolé) :

Une chance sur cent, p’tête moins qu’elles disent les statistiques. On n’a pas eu de bol, c’est tout.

Ex-Pascal :

Ya. Fatalitas. Scoumoune. La Poisse quoi… C’est le problème avec les statistiques, le « pas de bol » existe.

Ex-Albert (décidément très, très très hargneux) :

M’en fout de vos p’tains de statistiques ! On est tous crevés. Z’avez du bol que j’n’ai plus mon fusil sinon j’vous trufferai de plombs… Spaghettis… Sales boches…

Moralité :

« Même mort, un con reste un con », diraient certains, « surtout s’il est militaire », diraient d’autres.

(À suivre)

 

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