Cette semaine, le copain Olivier nous rappelle, avec son élégance aussi primesautière que coutumière, qu’un paquet de gens, y compris des mômes, survivent tant bien que mal et plutôt mal que bien dans les rues des villes d’une des dix plus grandes puissances économiques mondiales. Mieux vaut lire ça que d’être sourd, disait l’autre, et mieux vaut trottoir que jamais…
Paris 14ème. Un petit coin tranquille juste à côté de l’hôtel Savoy.
(À hauteur du 14 rue Fermat, F……., SDF, se repose sous un massif de plantes)
– Excusez-moi !
– HEIN ? QUE ÇA ?
– Excusez-moi, je me suis permis d’entrer. Comme il n’y a pas vraiment de porte, je suis venu à vous directement. Je vous aurais bien écrit, comme cela se fait habituellement mais, vous n’avez pas d’adresse bien définie, pas de téléphone ni internet. Vous n’êtes pas facile à rencontrer monsieur …
– HEIN ? QUE ÇA ? QU’CE VOUS’M VEUT ? HEIN ? BARREZ-VOUS ! C’PAS MOI !
– Maître Hassec, je suis ici car vous avez oublié de payer votre ISF.
– HEIN ? QUE ÇA ? T’ES À SEC ? VEUT UN COUP’D’ROUGE ? MAL TOMBÉ MON POTE, PU RIEN ICI, TOUT VOMI C’MATIN.
– Non, je ne viens pas pour boire et, je m’appelle Hassec, en un mot. Maître Hassec…
– HEIN ? QUE ÇA ? ME METTRE À SEC ? J’SUIS DÉJÀ SEC BON DIEU ! OU BEN T’ES UN VICELARD ? C’EST MON CUL QUI T’INTÉRESSE ? ‘CULÉ, BARRE-TOI J’TE DIS.
– Loin de moi l’idée de m’intéresser à votre postérieur, je suis ici au sujet de votre ISF. Vous devez déclarer vos biens immobiliers et acquitter les taxes afférentes...
– HEIN ? QUE ÇA ? BAINS MOBILIERS ? VEUX PAS M’BAIGNER MOI ! J’SUS PAS SALE MOI ! ET J’PAYE PAS DESSUS, NI À FERRANTE NI À PERSONNE !… T’ES BARGE, MEC !
– Vous dormez dans la rue, n’est-ce pas ?
– MOUAIS…
– Par conséquent, on peut considérer ladite rue comme votre chambre et le reste des alentours comme votre logement. Ce qui fait de vous l’une des plus grosses fortunes de la région. En tant que tel, vous avez l’obligation d’être solidaire, c’est à dire : payer l’impôt.
– HEIN ? QUE ÇA ? ALORS TOUT ÇA S’T’À MOI ? BON D’LA, J’CHAVAIS PAS… MAIS ALORS ? (une étincelle luit dans son œil) T’ES CHEU MOI, ALORS ? QUÉK’TU FAIS CHEU MOI ?
– La somme due au fisc est rondelette. Croyez que je le regrette, mais je suis en droit de saisir vos biens afin de payer vos dettes.
– HEIN ? QUE ÇA ? (La lueur s’intensifie) SI TOUT ÇA S’T’À MOI, J’CHUS RICHE !
– C’est ça. Donc vous devez payer les taxes af…
– HEIN ? QUE ÇA ? ET TOUT LES GENS QUI SONT LÀ-D’DANS (d’un vaste geste du bras, il désigne les immeubles alentour), Y SONT CHEZ MOI ! HEIN ? Y M’DOIVENT DES SOUS ! HEIN ? VA DONC LES VOIR ET QUAND Y Z’ AURONT PAYÉS, J’TE DONNE TOUT C’QUE VOUS VOULEZ, FERRANTE ET TOI.
(Les prunelles brillant d’une intensité dérangeante et dégrisée, il regarde Hassec droit dans les yeux)
– ET TOI, OÙ C’EST QU’T’HABITES, HEIN ? TU M’DOIS COMBIEN HEIN ? T’AS T’Y PAYÉ ?
(Hassec recule d’un pas, le visage troublé, pensant à son duplex sur le grand boulevard)
-T’AS PAS PAYÉ, HEIN ? QUE ÇA TU M’VEUX DES SOUS ET T’AS PAS PAYÉ ?
– Heuuu, hem hem, ce n’est pas comme ça que cela se passe, ce n’est pas comme ça…
– HEIN ? QUE ÇA ? FAUT QU’TU PAYES, ET TOUT DE SUITE, ET EN LIQUIDE.
– Mêêê heuuu, quand vous parlez de liquide, vous pensez à du vin ?
– ET DU ROUGE, ET PAS DU PICRATE, DU AVEC PLEIN D’ÉTOILES. ET PAS UNE BOUTEILLE. J’VEUX PLEIN MON CADDIE. ALLEZ, MAGNE-TOI PINGOUIN, J’AI SOIF.
(Pour la première fois de sa vie, Maître Hassec déambule dans un Franprix. Pour la première fois de sa vie, il pousse un caddie. Pour la première fois de sa vie, il découvre les rayons alcools à moins de 50 euros dont les bouteilles vont faire le bonheur de son propriétaire, Monsieur F……)
(À suivre)