browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

Bon an mal an (une cons-versation)

Publié par le 22 janvier 2025

 

Pour son avant-dernière intervention de la saison (avant un retour prochain, n’en doutons point!), l’Ami Olivier nous a dégainé une de ses plus belles cons-versations à ce jour. Sans charre. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve que plus les années passent, plus il devient bon, le Breton. Savoir où ça va nous mener…

 

Mercredi 22 janvier. Kevin relit « Américain Gods » pour la troisième fois pendant que sa copine fait les courses. Il est 14h33, ses yeux somnolent, le livre commence à devenir flou. Dans la tête de Kevin, Odin, Ombre et Sweeney-le-dingue trinquent à sa santé.

PLONK !

Vingt-cinq (enjoué) :

Bonjour bonjour! Comment ça va ?

Kevin sursaute en lâchant le livre qui se referme en atterrissant sur le lino.

Kevin :

Hein, quoi ? Vous êtes qui ?

Vingt-cinq (souriant) :

Je suis Vingt-cinq ans. Et toi, t’as toutes tes dents.

Kevin (paumé) :

Mes dents ? Vingt-cinq quoi ?

Vingt-cinq :

On s’est vu il y a vingt ans. Tu avais cinq ans. Donc, normal : tu ne t’en souviens plus.

Kevin :

D’accord. Vingt-cinq ans. Je comprends. Pourquoi pas, hein ?

Vingt-cinq :

Pourquoi pas.

Kevin :

Admettons. Qu’est-ce que tu fais là ?

Vingt-cinq :

Mon boulot. Je viens te rappeler le temps qui passe, et peut-être te conseiller des trucs…

Kevin (suffisant) :

Garde tes conseils, mec. Vingt-cinq ans, c’est top. Comme tu peux le constater, je pète la forme. J’ai un boulot qui me plaît et ma femme est belle. En plus, je suis sûr qu’elle va m’annoncer une bonne nouvelle. Tu vois, tout baigne.

Vingt-cinq :

En somme, tu sais tout. Okay, ça me va. C’est toi qui voit. À la prochaine !

PLINK ! (Il disparaît)

PLONK ! (Il réapparaît)

Trente (enjoué) :

Bonjour bonjour ! Comment ça va ?

Kevin (maussade) :

Tiens te v’là, toi…

Trente :

Eh oui, c’est moi, Trente ans. Je pensais à toi. Tu m’as l’air un poil bizarre.

Kevin lui montre son appartement : il y a des fringues sales un peu partout ; des boîtes de pizzas s’empilent sur la table du salon ; le ménage semble avoir quitté les lieux depuis un bon moment.

Kevin :

Je suis seul. Ma femme m’a quitté et elle a la garde des jumeaux. En plus, je crois que je vais bientôt perdre mon boulot.

Trente (compatissant) :

Dur, mais comme on dit, c’est la vie. Accroche-toi, ce n’est qu’une mauvaise passe. Une de perdue, dix de retrouvées. Allez, à plus !

PLINK !

PLONK !

Trente-cinq (enjoué) :

Bonjour bonjour ! Comment ça va ?

Kevin, mal rasé, le bermuda au ras des fesses, l’haleine vinasse, ne semble pas au meilleur de sa forme:

Kevin :

Saaaalut, trente-cinq ans ans. Jjjjjj’vais pas mieux. Eueueuj’chôme d’puis… pffff… trois ans. J’paie plus la pension à mon ex. J’ai cinq mois d’retard sul’loyer. Mon proprio y veut m’foutre à la porte…

Trente-cinq :

Ouais, pas le pied, mais je suis sûr que tu vas rebondir. Regarde autour de toi, y a sûrement des trucs à faire. Je compte sur toi. À bientôt !

PLINK !

PLONK !

Quarante (enjoué) :

Bonjour bonjour ! Comment ça va ?

Kevin, « Big Kevin », tatoué yakuza, dents en or et bagouzes aux doigts, finit de sniffer un rail.

Kevin :

Snnnnfrl… Yeah man… Super man… J’te kiffe grave, mister Quarante. Comme tu peux constater, j’ai rebondi. Je plane sur le quartier à coup de came. C’est moi le caïd aujourd’hui.

Quarante :

Je savais que tout ‘arrangerait pour toi. Mais gaffe mec, dans ce genre d’affaires, tout peut basculer en un rien de temps.

Kevin (avec un gros clin d’œil cocaïné) :

T’inquiète man, c’est moi le boss. Je les tiens par les cojones, pas question qu’ils me piquent ma place.

Quarante :

Si tu le dis. Allez, yo, à la prochaine !

PLINK !

PLONK !

Quarante-trois (enjoué) :

Yo man ! Alors, comment ça va ?

Kevin :

Hein, quoi ? T’es qui toi ?

Quarante-trois :

Je suis Quarante-trois ans. Je sais : je reviens un peu plus tôt que d’habitude. C’est que j’ai fait un drôle de rêve. Un cauchemar. J’avais tout perdu…

Kevin (balbutiant) :

Hein ? T’es Quarante-trois quoi ? C’est quoi ce bord… Attends… J’t’ai pas déjà vu ?

Quarante-trois :

Bien sûr que si ! La dernière fois, c’était il y a trois ans. Tu étais en meilleure forme, je dois dire. Tu n’aurais pas abusé de ta marchandise ?

Kevin :

Attend, j’bois un ch’ti coup. (Il liquide la moitié d’une bouteille de picrate trois étoiles). Burp. Aaaaaahh, ça va mieux. Ah ouais ça y est !… Okay… J’te r’mets… Tu t’appelles comme des nombres… Qu’est-ce que tu viens me faire chi… Pardon, j’veux dire : pourquoi tu viens m’voir ?

Quarante-trois :

Oh moi, tu sais, je suis juste ton âge. Tu te souviens de moi de temps en temps et donc je viens.

Kevin (se grattant l’entrejambe) :

P’tain, faut que j’m’soigne moi. Ou que j’change de came. Je vois des trucs zarbi.

PLINK !

PLONK !

Quarante-cinq :

Ho, man ! Réveille-toi, man. C’est moi, quarante-cinq ans.

Kevin (allongé sur le trottoir) :

Mmmm…

Quarante-cinq :

Ne me lâche pas, man, t’en est qu’à la moitié ! Allez, secoue-toi man, déconnes pas.

Kevin (les yeux chassieux) :

Qua… Qura… Quara… Quatarante-cinq quoi ? (Il hausse le ton) Quarante-cinq ans ? Quarante-cinq années de merde, ouais ! Le caniveau pour dormir et une santé trop bonne qui m’empêche de crever ! Casse-toi, Quarante-cinq de mes deux.

Quarante-cinq :

Bon. Je repasserai plus tard. Mais tu sais : rien n’est perdu. Il suffit peut-être que tu te bouges un peu. Il y a des gens qui peuvent t’aider…

PLINK !

PLONK !

Cinquante-cinq :

Hello, comment va ?

Kevin (enjoué) :

Salut Cinquante-cinq ! Tu te décides enfin à revenir me voir !

Il a des fleurs dans ses cheveux longs, un bermuda rose et le visage épanoui.

Cinquante-cinq :

Les années passent plus vite qu’on ne le croie. De plus, rappelle-toi : tu m’as envoyé sur les roses la dernière fois. J’ai pensé que je devais te laisser un peu tranquille. Je constate que tout va de nouveau bien pour toi !

Kevin (bombant le torse) :

Eh ouais mon pote. J’ai repris du poil de la bête : une cure de désintox, une nouvelle vie et une jeunette accro au quinquagénaire.

Cinquante-cinq :

C’est vrai que tu as l’air en forme, tu fais quoi maintenant ?

Kevin (se frottant tendrement le bidon) :

Ma Jane et moi, on vit dans une communauté super cool. Sea, sex and sun, mon pote. On partage tout. Fuck la société de consommation et tout et tout… Le pied quoi !

Cinquante-cinq (souriant si large qu’il a l’air d’avoir rajeuni) :

Merci Kevin. Tu me fais du bien. Continue comme ça. Au plaisir de te revoir !

PLINK !

PLONK !

Soixante :

Bonjour bonj… Mais qu’est-ce que tu fais ?

Kevin (debout sur une chaise, une corde autour du cou, souriant) :

Surprise, mon vieux Soixante ! Je suis content de te voir. Ce sera la dernière fois. Je t’attendais pour arrêter tout ça et passer à l’étape suivante.

Soixante (réprobateur) :

Kevin !

Kevin :

Mon maître TCMP m’a révélé la vérité. Je vais libérer mon esprit de ma carcasse et vivre à tout jamais dans l’éther, redevenir un dieu de la voie lactée.

Soixante (s’énervant) :

TCMP, ça veut dire : « Trop Con Mon Pote ! ». Je te croyais plus malin. Allez, descend de cette chaise, et va casser la gueule à ton gourou de mes deux. Tu verras, ça, ça libère.

Kevin (suppliant) :

Soixante… Tu ne veux pas compr…

Soixante :

J’peux pas rester. À la prochaine !

Kevin :

Attends !

Soixante :

Je ne peux pas. Ne fais pas le con, descend de cette chaise et fais en sorte qu’il y en ait une, de prochaine. Salut !

PLINK !

PLONK !

Soixante-cinq :

Bonjour, bonjour ! Comment ça va ? Eh bien, tu fais quoi dans ton lit à cette heure ?

Kevin (sombre) :

T’as gueule, Soixante-cinq. C’est de ta faute si je suis comme ça.

Soixante-cinq :

Ma faute ?

Kevin :

Il y a cinq ans, tu m’as dit de descendre de la chaise.

Soixante-cinq :

Et … ?

Kevin :

Je suis descendu. Mais j’avais oublié ce p’tain d’nœud coulant… J’me suis pété les vertèbres. Après, y’a l’voisin qu’est intervenu. Il m’a décroché et depuis j’fais plante verte. Alors tes « comment ça va ? », tu peux te les mettre où je pense.

Soixante-cinq :

Dis-donc, toi. Tu serais pas devenu un poil aigri ? On s’occupe bien de toi ? Les infirmières sont sympas ? …

Kevin (hurlant) :

Ta gu… Ta g… Casse-toi !… J’veux plus t’revoir, jamais.

Soixante-cinq :

Okay, je reviendrai quand tu seras de meilleure humeur. Ne te lève pas, je connais le chemin. Oh, fais pas la gueule, c’est de l’humour !

PLINK !

PLONK !

Soixante-dix :

Hola… Mais ça ne va pas du tout mon pote ! Qu’est-ce que tu as encore inventé ?

Kevin (crachant du sang) :

Gleuubrrlrr… burrr…baaar’gl… gluarp…

Soixante-dix :

Purée, tu t’es coupé la langue avec les dents ? Tu m’étonnes que je ne comprenne rien. En plus allongé sur le dos, tu as toutes les chances de mourir étouffé, ou noyé dans ton propre sang.

Kevin (agonisant)

Burp ! Glop ! Hic… !

Soixante-dix :

Enfin, tu auras tenu jusqu’à 70 ans. C’est toujours ça de pris. Dommage, je t’aimais bien. Allez, t’inquiète, c’est fini dans trois, deux, un…

PLINK !

(À suivre)

 

Laisser un commentaire