Cette semaine, je me la coule encore doucette : l’Ami Olivier est aux manettes. Le jumeau foudingue en personne, l’exploseur de Saint-Taxe lui-même, le bazookeur du raisonnable himself. Quand vous direz : « J’ai lu les chroniques de l’Ami Olivier », vos interlocuteurs penseront : « Voilà un brave ! »…
La pièce est plongée dans le noir.
Noir.
Euh… Il y a un problème ?
Non, car le générique (la musique de « Il Était Une Fois Dans L’Ouest ») se fait entendre. Win win wouiiiiiin…
Voix off :
En direct de la prison psychiatrique de notre bonne ville de Mélesse-la-Chaglatte, bienvenue dans le Jailhouse-show !
Fausses acclamations et faux applaudissements.
Voix off :
Le Jailhouse Shooooooooow !!!!!
Seconde vague de fausses ovations ponctuées de faux sifflements.
Voix off :
Le Jailhouse-show avec notre présentateur vedette, Freddy Rexion !
Plein écran, le logo de l’émission : une rangée de dix personnes à la mine patibulaire qu’encadrent deux gardiens armés à la mine très tibulaire. Tandis que retentissent de faux cris de joie et des faux claquements de mains, musique : Wouin, wouin, winwinwin…
Caméra sur Rexion. Il se tient face à une glace sans tain. Derrière, dans un parloir, on devine, de dos, un homme assis.
Rexion :
Oui, bienvenue, bienvenue à tous, public et chers téléspectateurs ! C’est parti pour le Jailhouse-show. Comme toujours, nous gardons l’identité de notre invité secrète. Mais il nous faut un pseudo. Cher invité, comment voulez-vous que je vous appelle ?
L’invité (la voix grinçante, désagréable et traînante) :
Frrredddy.
Rexion :
Ah, comme moi. Et pourquoi pas ? Freddy interviewe Freddy. Moi ça me plaît. Mais nos spectateurs de demandent sûrement : pourquoi Freddy, cher invité ?
Freddy :
Krueger ! Freddy Krueger, bien sûr. C’est l’dernier mot qu’mes friandises entendaient avant d’se faire déguster : « Bon appétit, Freddy ». Niark, Niark, Niark !!!
Rexion (épaté) :
Wouah, pas de préambule, on rentre directement dans le sujet…
Freddy :
Pas de préambule. Que des « pré-en-bouche ». Mes repas, y commencent par les yeux. Les yyyyyeueueux… Les bleus, c’est ma préférence. Dommage qu’y en a que deux !
Rexion :
Eh bien merci pour cette précision. Mais tout d’abord, laissez-moi vous présenter rapidement à nos téléspectateurs : voici donc Freddy, exécuteur de ragondins en Vendée pendant trois ans.
Freddy (un tic lui fait cligner de l’œil) :
C’est ça.
Rexion :
Et ensuite serial-killer de bisons au zoo de La Flèche. Mais ça, pendant un mois seulement ?
Freddy :
N’y en avait que deux. Des vieux, en plus. D’la foutue vieille carne. Tu vois, moi j’boulotte saignant. M’faut de la viande tendre. À La Flèche, j’me suis r’trouvé à partager mes repas avec les fauves…
Rexion (consultant sa fiche) :
Et enfin serial-killer tout court des années 2000 à nos jours. Une raison particulière de vous en prendre aux humains ?
Freddy (souriant de toutes ses dents pourries) :
Les yeux bleus. Les ragondins et les bisons, y z’ont les yeux marrons. Ma première femme avait d’magnifiques yeux bleus. En plus, elle était bonne…bien bonne…
Rexion se surprend à baver ; il s’essuie précipitamment le menton sur l’épaule.
Rexion (ayant repris le contrôle) :
Bien, bien… Vous en avez pris pour trois-cent-quatre-vingt-six ans. Comment allez-vous faire pour tenir ?
Freddy :
J’me fais envoyer des p’tits colis. Au pire, je m’ferai un extra avec mon pote de cellule.
Rexion :
Il n’a pas les yeux bleus, pourtant !
Freddy (haussant les épaules) :
Ah oui, c’est vrai… Mais bon, quand qu’on peut pas faire autrement.
Il fait cliqueter les chaînes qui l’entravent.
Freddy (s’adressant aux gardiens) :
On n’peut pas desserrer un peu c’te camisole ? J’ai des fourmis dans les bras… Hmmm… À voir vos têtes, j’déduis q’c’est non. Enfin, ça n’fait pas de mal de demander.
Rexion :
Vous n’êtes pas prêt de sortir si vous dégustez votre partenaire de chambrée.
Freddy :
Ça s’rait pas l’premier. Pourquoi qu’on irait au restaurant quand qu’on vous livre les repas à domicile, hein ?
Rexion :
En dehors de manger vos proches, quelles sont vos passions, Freddy Krueger ?
Freddy (sans hésitation) :
Les talk-shows.
Rexion :
Ah ?
Freddy :
J’adore les talk-shows. C’est pour ça qu’j’ai demandé d’faire cette émission ici, au pénitencier : pour être la vedette d’mon talk-show. Tu piges, mon gars : la VEDETTE !
Rexion fait la tête du gars qui vient d’apprendre une mauvaise nouvelle. Un rictus révèle des incisives cariées et un tic lui fait cligner de l’œil.
Rexion :
Mais c’est moi, la vedette ! C’est toujours l’animateur la vedette. Vous, v’z’êtes là qu’pour faire potiche. Les téléspectateurs, y sont là pour moi, vous n’êtes qu’un accessoire…
Son visage le démange. Il va pour se gratter mais ses mains ne veulent pas bouger.
Freddy (le coupant) :
Ta gueule, Freddy. C’est toi, l’accessoire. J’t’ai invité à venir faire ton petit numéro mais regarde-toi, maint’nant : t’as l’air d’un p’tit minable dans ta camisole de force.
Rexion (offusqué) :
Qui êtes-vous pour me parler comme cela ? C’est mon émission, c’est moi qui vous ai invité.
Freddy :
En êtes vous bien sûr, mon ami ?
Rexion :
Sûr que j’suis sûr ! Pis c’est quoi c’te histoire d’camisole ? C’est vous qu’avez une camisole, pas moi !
Freddy (souriant) :
Ben alors bougez, mon cher. Allez-y, remuez. Montrez-nous votre liberté de mouvements. Faites-nous coucou avec vos gentilles petites mimines !
Rexion essaye, mais il ne peut que se tortiller ; il est bel et bien attaché.
Rexion (hurlant) :
QUOI C’EST QUI S’PASSE ?
Freddy :
C’est fini, mon pauvre Freddy Rexion.
Rexion :
QUI M’A ENCHAÎNÉ COMME ÇA ?
Dans le miroir, son reflet ricane.
Rexion (larmoyant) :
Libérez-moi ! Assistant, cameraman, maquilleuse… AIDEZ-MOI !
Freddy (l’un ou bien l’autre) :
Tu vas t’effacer et m’laisser ta place. Regarde-toi bien, c’est la dernière fois. Je vais vous bouffer tout cru, mon cher !
Dans le miroir, le reflet écarquille de grands yeux d’hypnotiseur.
Freddy (l’autre ou bien l’un) :
Approche. Allez, viens vers moi. Ou toi.
Rexion bondit, envoyant valdinguer la tablette et ses fiches ; il s’éclate violemment sa tête sur le miroir ; le visage en sang, il se met à hurler ; ses cris se muent en éclats de rire déments.
Freddy (réjoui) :
Voilà un joli face-à-face, pas vrai ?
Il se lève pour faire face à son faux public ; son corps gonfle ; il grandit et grossit ; divers plans montrent la camisole se tendre ; les coutures arrivent au point de rupture.
Voix off :
COUPEZ !… Ok, c’est bon, on arrête. Maîtrisez-le, la plaisanterie a assez duré.
Les gardiens accourent et abattent leurs matraques paralysantes sur Freddy le cannibale. Ou l’autre.
Générique de fin.
Wouin wouin wouinwouin…
Heu, non, tout compte fait, ce n’est pas la peine.
(À suivre)