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Permis de crever (une cons-versation)

Publié par le 18 décembre 2024

 

Ah, vous vous croyez tranquilles à picoler plus que d’habitude, à vous réjouir, à vous embrassader, à vous con-gratuler, il est né le divin enfant, il va passer le père-noël, moi vous savez c’est pour les enfants, remettez-moi un vin chaud, siouplaît… Seulement, il est là, l’ami Olivier, notre Exécuteur, notre Punicheur, notre Équalizeur à nous, pour remettre les barres sur les i, les points au centre du village et l’église sur les t. La bonhommie, l’insouciance, la rigolade ? Oublie, mon pote : Olivier est dans la ville !

 

Permis de crever, mini-série Deathflix, épisode pilote

Écran noir

Voix off, le narrateur :

Ce matin, je meurs. Pour la troisième fois, je meurs. C’est de plus en plus dur, mais là, il n’y aura pas d’autres essais. Enfin, je croyais…

INT Jour, chambre

Plan sur des boîtes de médicaments éventrés sur une table de nuit.

Plan sur une bouteille dont l’étiquette annonce : rhum dix ans d’âge. Une main s’en empare. On entend des bruits de déglutition.

INT Jour, salle de bains

Le narrateur vomit, la tête dans le chiotte. Il tire la chasse à tâtons et s’écroule sur le carrelage. On découvre son visage : cheveux longs, début de barbe, rebelle et rock’n’roll. Il entrouvre les yeux.

Caméra subjective : le narrateur découvre une forme penchée sur lui. Apparemment, le truc est un humain. Le machin en question émet des bruits qui se transforment peu à peu en une voix surgie d’une profondeur d’aquarium.

La forme :

Salut mec, comment va ? Vu ta tronche et tes yeux chiasseux, pas fort. Mais t’es vivant. Au fait, je m’appelle OB2.

Le narrateur :

Heuurkk, gueuurg, glop, hic…

OB 2 (articulant) :

Sa-lut-mec ! Com-ment-ça-va ?

Voix off, le narrateur :

Je ne sais pas combien cela mit de temps, mais mon cerveau finit par analyser tout ça et le rendre compréhensible.

Le narrateur (comateux) :

Ben, pas la forme… SOIF !

OB 2 :

Peut pas t’aider. Tu me vois, et seulement toi, mais, comme un hologramme. Je n’ai pas beaucoup de densité. En plus, je ne suis pas ton larbin.

Le narrateur essaie de se soulever, renonce puis rampe jusqu’à la lunette des toilettes. Il puise de l’eau dans la cuvette et la boit. Un renvoi le secoue et il vomit une giclée de bile. Il se rejette en arrière et s’appuie le dos au bidet.

Le narrateur :

Ouais, mieux. Enfin, mieux… Moins pire, quoi. (Il scrute le visage de l’apparition) Dis donc, mec, tu m’dis quelque chose. On s’est pas déjà vu ? Les gars avec des cheveux longs, ça ne court pas les rues dans ce monde de skinheads.

OB 2 :

Tu me vois tous les matins dans la glace. Je suis fait à ton image. Un truc que tu dois savoir, c’est que je vais toujours avoir la même apparence que toi.

Le narrateur :

Veut dire ?

OB 2 :

C’est simple : si tu grossis, je grossis. Tu bronzes, je bronze. Je suis toi : tu changes, je change. Sympa non ?

Le narrateur observe un moment l’apparition, les yeux plissés.

Le narrateur (concluant) :

Ben, c’est pas pour te vexer, mais j’ai vraiment une sale gueule. J’me suis bien loupé aujourd’hui. Et en plus, je pue le dégueulis.

OB 2 :

Heureusement pour moi, je ne suis que l’image.

Le narrateur :

Si je lève le bras, tu fais pareil ? J’me gratte les couilles, tu t’les grattes ?

OB 2 :

Non, ça ne marche pas comme ça. Juste l’apparence.

Le narrateur (après quelques instants de réflexion) :

Bon, okay. Et en quel honneur j’ai un ersatz de moi en train de me parler ? Chuis pas mort même si ce n’est pas la grande forme. Y a une raison à ça ?

OB 2 :

Je dois te mettre au courant. Oui, tu es vivant. Depuis un certain temps, ça se bouscule au ciel. Il y a la queue. Trop de morts arrivent en ce moment. Alors IL a décidé qu’à partir d’aujourd’hui, la mort doit se mériter.

Le narrateur :

« IL » ?

OB 2 :

« IL ».

Le narrateur :

C’est quoi se délire ? Quand on meurt, on meurt. Il ne peut pas y avoir de conditions ! Il se prend pour qui, « IL » ?

OB 2 :

Ben pour Dieu, mon pauvre mortel. Quoique, mortel si tu le mérites. Bizarre comme situation, mais c’est comme ça. Il n’a pas dit quand tout reviendrait à la normale.

Le narrateur (après avoir de nouveau réfléchi) :

Donc, si je te suis : ce que j’ai fait n’est pas très méritant.

OB 2 (haussant les épaules) :

Ben tu es toujours là ! Pour te résumer la chose, tu meurs bêtement, tu ressuscites. Miracle !

Le narrateur se lève et se dirige vers la douche en se déshabillant.

Le narrateur :

Je les emmerde, tes miracles. Merde. Merde. Merde. (Il arrive à la cabine de douche) Bon, attends-moi à côté. Je vais me décrasser. On reparle de tout ça quand je serais plus clair…

INT Jour, chambre

Lit défait. Draps qui mériteraient une virée au lavomatic. Fringues éparses entre les boîtes de bière vides. On connaît.

OB2 est assis sur le bord du lit, plongé dans un Fred Vargas. «Debout Les Morts». On remarque qu’il est plus propre qu’auparavant.

Le narrateur ouvre une porte-fenêtre qui donne sur un petit balcon. Devant la balustrade sont alignés des plants d’herbe mal entretenus. Il inspire.

Voix off, le narrateur :

L’air frais me fait du bien. Lui, il s’en fout. Tu parles, un hologramme !

Le narrateur :

Bon, j’ai réfléchi. Je me suis raté et tu apparais. Tu viens pour m’aider ? Me conseiller ?

OB 2 :

Non, rien de tout ça. Interdit. Verboten. Je ne suis là que pour contrôler ta mort. Si elle répond aux critères, je te file ton passemort, tu montes. Ils lisent mon rapport et s’ils l’approuvent, ils te gardent.

Le narrateur :

Quels critères, tu peux me guider ?

OB2 (prenant un air navré) :

Pas vraiment ! Enfin, je pense que si tu meurs, par exemple, en sauvant une petite vieille qui traversait la route sans faire attention, il y a des chances que ça aide. Et encore, faut que la vieille soit une bonne vieille. Avec des petits enfants qui seraient tristes et pleureraient sans penser à l’héritage.

Le narrateur (s’avançant sur le balcon) :

Mince, alors… Si c’est si balaise, un suicide doit être bien ficelé. Tiens, si je me jette du troisième étage, là maintenant, je rentre dans les critères ?

OB 2 (replongé dans le Vargas) :

Je ne sais pas. Faudrait que je me renseigne. Peut-être que si tu fais un beau saut de l’ange, qu’il y a du public et que tu ne tombes sur personne et … EH !

Le narrateur enjambe la balustrade et se lance dans le vide.

Voix off, le narrateur :

Je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase. Saut de l’ange enchaîné d’une double vrille. Magnifique. Mon cri à la Tarzan a fait se retourner les buveurs du bar d’en face. J’espère qu’ils ont apprécié ma chute.

Écran noir

BIP ! BIP ! BIP !…

INT Jour, chambre d’hôpital

Le narrateur, caméra subjective

Un brouillard blanc ponctué de clignements de paupières. La vision se fait nette. Assis dans un fauteuil, OB2 bouquine «Le Livre De La Mort» (auteur inconnu).

Voix off, le narrateur :

Le dernier opus de la tétralogie du Bourbon Kid. Il est presque à la fin. Soit il lit vite, soit ça fait un bail que je suis dans le coltard…

OB 2 (le visage bien amoché) :

Un mois et deux jours. Si tu m’avais laissé finir ma phrase. J’avais un doute. Le suicide personnel, ça ne vaut rien, question critères. C’est con, hein ? Maintenant tu as une patte qui te fera boiter toute ta vie et un visage qui fera peur aux enfants. Sauf à Halloween, remarque…

Le narrateur :

Merde. Bien moi, ça. J’me précipite. Mon ex avait raison.

OB 2 (plaçant son marque-page) :

Cette fois, tu vas avoir le temps de réfléchir. Minimum quinze jours en observation avant de sortir

Le narrateur :

Tu vas me tenir compagnie ?

OB 2 :

Non, pas prévu comme ça. Je pourrais t’influencer. Tu te débrouilles mon pote. Si on se revoie, c’est que tu te seras loupé, encore… Tcho mec.

Sa silhouette devient transparente.

Le narrateur :

Attends ! Si tu peux revenir dans un mois, je devrais avoir une bonne idée pour passer l’arme à gauche. Tu me diras ce que tu en penses.

OB 2 (reprenant consistance) :

D’accord, mais juste pour une fois. C’est contraire au règlement, en fait. Mais pour toi, bon… Attention : je ne ferais que te donner mon opinion. Si tu te rates, ne compte plus sur moi. Ok ?

Le narrateur (souriant, confiant) :

Okay man. Alors à dans un mois. Tcho, mec !

Et cette fois, OB 2 disparaît vraiment.

Voix off, le narrateur :

Je me suis creusé la tête, jour et nuit. Merde, c’est quand même un monde de ne pas pouvoir mourir ! Avec ma patte dans le sac et ma sale gueule, je partais avec un handicap, mais j’ai trouvé la solution.

EXT Jour, rue

Le narrateur et son jumeau OB 2 sont sur un trottoir.

Le narrateur :

Tu vois cet immeuble ? Il regorge de dealers, truands et autres serials killers. Je pense pouvoir en flinguer une bonne vingtaine avant de me faire descendre.

OB 2 (se grattant le menton) :

Mmouais… Pas mal… De l’action, du nettoyage… Un nouvel épisode du Punisher, quoi !

Le narrateur (vérifiant que mes armes sont bien chargées, crans de sécurité levés) :

Un peu saignant mais j’pense que j’remplis les critères d’admission, non ?

OB 2 :

Je ne peux rien te confirmer mais essaie. Je pense que tu es sur la bonne voie.

Le narrateur (commençant à traverser la rue) :

J’y vais. Souhaite-moi bonne chance !

OB 2 (hurlant) :

FAIT GAFFE ! LA BAGNOLE !… !

Crissement de pneus, dérapage, impact, corps qui vole et s’éclate dans la vitrine d’un sex-shop.

Écran noir

BIP ! BIP ! BIP !

Voix off, le narrateur :

Et merde !… Je n’ouvre pas tout de suite les yeux. J’ai peur de découvrir l’état de mon superviseur. Mais bon, je dois savoir. Du cran.

OB 2 est assis près du lit. Le bouquin qu’il lit le fait rigoler. Zoom sur le titre, «Madame La Mort» de Cizia Zykë, en édition originale Média 1000.

Voix off, le narrateur :

C’est vrai qu’avec Zykë, on se marre par moments.

Voyant que le narrateur est réveillé, OB2 referme le livre et se penche sur lui.

Voix off, le narrateur :

Il a vraiment une sale tronche. Il est lacéré sur tout le corps. Un bout de ferraille qui lui a traversé le dos et y a fait un gros trou. Un appareillage compliqué de tiges et de boulons maintient sa mâchoire en place.

Le narrateur (avec un clin d’œil) :

Gnencore raté, hein ?

OB 2 (se redressant, l’air navré) :

Gnoui mon pote. Et gnà, tu vas finir sur gnune planche. Tu gnas gna colonne gnertébrale explognée.

Le narrateur :

Gnutain…

OB 2 :

Tu gnarrives à parler mais gnour le reste, gne dalle. Nib. Gnada. Plus rien gne fonctionne. Gnu aurais dû y rester mais pour gneux d’en haut, un bagnal accident de gnoiture ne remplit gnas les critères pour gnêtre mort.

Le narrateur :

Gnutain de gnordel…

OB 2 :

Pas de bol. Gnon, allez, gne me rentre. Gnon courage. Tu gnen gna pris pour gnau moins gnarante ans. Gnalut !

Il disparaît.

Noir et fin

(À suivre)

 

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