browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

Interruptions intempestives (une cons-versation)

Publié par le 14 février 2024

 

«Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?» s’interrogeait le poète. Lamartine en l’eau cul rance. Ce même Lamartine qui enchanta nos enfances de ses aussi charmantes qu’innombrables aventures, «Lamartine À La Mer», «Lamartine Fait Du Camping», «Lamartine À La Ferme», «Lamartine En Bateau», «Lamartine raconte décidément n’importe-quoi» et j’en passe… Selon Olivier, notre prolifique intervenant, les installations domestiques en ont une, d’âme. Lisez plutôt :


Octobre 2023 : Enregistrement d’une conversation qui a eu lieu l’heure précédent la coupure d’électricité de lundi. La pose du micro est passée inaperçue, le son est parfait. Je suis assez fier de moi. Voyons ce qu’il s’est dit…

PAF !!!

L’ancien :
Et voilà, c’est reparti. On approche de l’hiver. Claques et maltraitances plus tôt et plus souvent.

PAF !!!

L’ancien :
Ouille !…
C’est dingue, à la fin ! Ça fait des années que je suis là, toujours prêt à servir, efficace, clic-clac, sans jamais faire d’histoires, et on me frappe.

(Okay, celui-là c’est le vieil interrupteur de la cuisine, commutateur 250 V en porcelaine blanche avec aiguille en finition chrome)

Le moderne :
Ça y est, tu vas nous ressortir ton discours ! Chaque année, c’est pareil. Pour rien, en plus. Nous sommes au service de la famille et tout ce que tu pourras dire ne changera quoi que ce soit à la situation.

(Lui, c’est celui qu’on a changé dans la salle à manger il y a trois ans, modèle va-et-vient carré, plastique, grand cache, coloris blanc-ivoire)

L’ancien :
Et bien cette année, ça va changer. J’en ai marre. Je prends de l’âge et j’exige plus de respect et de douceur.

Le moderne :
C’est ça… C’est ça…

PAF !!!

L’ancien :
Vous avez vu ? Ce petit con de Stephen, huit ans, le fan de Zinnedine Zidane, il me file un coup de boule en passant, pour rien, comme ça !

Le moderne :
Bla bla bla…

L’ancien :
Le Kevin, c’est avec ses pieds crados qu’il me frappe l’aiguille. Sans compter la mère : elle met des gants ! Au début, je trouvais cela doux et sympa mais, maintenant je sais que c’est parce qu’elle me trouve sale, voire contagieux. Le père, lui, c’est la claque avec le revers de la main, sans un regard. D’accord, il le fait par réflexe. Sans méchanceté, d’accord, mais sans respect.

Le moderne :
Depuis le temps, faudrait qu’
tu t’habitues.

L’ancien (rêveur) :
Y a que Nina qui fait attention à moi. Nina. La douce Nina… Elle s’approche doucement, je sens son parfum avant qu’elle me touche et je sais déjà que ce sera un doigt délicat qui va pointer vers moi…

Le moderne (ricanant) :
Tu sens son parfum, première nouvelle. Tu as vu ton pif ? Tout petit, tout maigre, avec sa boule ridicule au bout !

L’ancien (vexé) :
Il est vrai que Monsieur, avec le groin de plastoque qu’il se trimballe, Monsieur peux causer. Mon nez est peut-être petit mais j’ai des yeux pour voir. Et contrairement à Monsieur je suis fait pour durer. Vous verrez, je vous enterrerai. (Il hausse le ton) Je vous enterrerai tous !

La jeune :
Excusez-moi, les gars, je voudrais dire un mot !

(Tiens c’est qui ça ?)

Le moderne :
Et voilà, les filles s’y mettent à leur tour ! Z’avez raison, plus on est de fous, plus on rigole. Alors mam’zelle, parlez, nous sommes tout ouïe.

La jeune :
Merci, mais la prochaine fois, mettez votre côté macho au fond de votre poche. Vous ne pouvez pas comprendre ce que l’on subit chaque jour. Connaissez-vous ce mot ? PÉNÉTRATION ? Vous n’imaginez pas la violence avec laquelle nous sommes PÉNÉTRÉES plusieurs fois par semaine. C’est du viol. Nous, ce que l’on veut, c’est un peu de douceur, un peu de délicatesse.

(D’accord, je vois. C’est une prise de courant. Celle du couloir, je parie)

Le moderne :
Eh, fillette, ce n’est pas ce que tu disais l’autre jour quand ils ont « abusé » de toi pendant deux heures. Moi, je t’ai trouvée toute chose…

La jeune :
Bon d’accord, y a le p’tit électrochoc sympathique du début qui surprend un peu. La douce chaleur qui s’installe n’est pas non plus désagréable… Mais c’est quand même une pénétration abusive. UN VIOL !!!

(Ce doit être quand on a passé l’aspirateur dimanche dernier. C’est vrai qu’on a mis pratiquement deux heures)

L’ancien :
Bon, c’est décidé, il faut agir. Fini l’exploitation à outrance, les abus, les coups, les pénétrations brutales. On bloque tout. On ARRÊTE !

(De tous les coins et recoins de la maison, des voix s’élèvent)

Les voix :
OUAIS ! LA GRÈVE ! Y EN A MARRE ! FAUT TOUT EXPLOSER !

L’ancien :
OK, OK, calmez-vous, il faut qu’on marque le coup. Je sais quoi faire. J’ai besoin d’un volontaire. Celui qui aura mis à genoux cette famille. Notre héros. Quelqu’un qui restera dans les mémoires et dont, générations après générations, nous honorerons la mémoire. Un volontaire pour tout faire péter ?

Le fanatique :
Moi, souis volontaire ! sais que mon sacrifice il né séra pas vain. vais tout faire griller. Ecco, ils vont apprendre cé qué veut dire le respect. Fini l’esclavage. Y en a marre. n’attendrai pas plous longtemps. C’est partiiiiiiii !…

CLACK PISHHH !!!

(Bon, le dernier qui fait tout sauter, c’est le bouton de la lumière des toilettes. Metalclad IP2X, vis de fixation fournies (2), blanc nacré, design italien. Celui-ci, je vais me le faire)

Quelques tours de tournevis et jurons plus tard, dans le salon, Antoine, le père, a réuni toute sa famille afin de faire un point sur l’affaire.

Le père :
Ma chérie, mes chers enfants, après une enquête discrète mais fructueuse, je suis en mesure de désigner le responsable de toutes ces coupures de courant qui nous prennent la tête depuis quinze jours.

La mère (maussade) :
Pas trop tôt !

Le père (négligeant l’intervention) :
Mais avant de le nommer, lui et ses complices, je veux vous dire que nous sommes un peu responsables de ce qui nous arrive.

La mère :
Ça m’aurait étonné !

Stephen :
J’ai rien fait, moi. Coup franc ! Penalty !

Le père (imperturbable) :
Il faut revoir notre attitude vis à vis des interrupteurs, surtout celui de la cuisine. Oui c’est lui, le vieux modèle, qui a déclenché cette petite rébellion. Ils en ont ras le bol de la façon dont on les traite. Eh oui, c’est comme ça !

Kevin :
Y a qu’à leur filer des coups de pieds !

La mère :
Tais-toi. Je te rappelle la règle : tu casses, tu paies !

Le père :
Je
ne vois que deux solutions. Soit nous les manipulons avec un peu plus de respect. Oui, Kevin, inutile de grimacer. Du res-pect. N’oublie pas qu’on leur doit la lumière et l’électricité pour tous les appareils de la maison.

Kevin :
Pourquoi c’est toujours moi qu…

La mère :
Tais-toi, Kevin !

Le père (poursuivant) :
S
oit on change tout, on prend du matos chinois ou allemand. Le risque de ce choix, c’est qu’avec le boche, y a un passif qui me dérange et, le chinois, c’est sournois. Et pas question de matériel américain, ça pue le hamburger.

Stephen :
Hors-jeu !

Kevin :
Moi j’aime bien l’odeur des hamb…

La mère :
Tais-toi, Kevin !

Le père :
Alors ? Qu’est-ce qu’on décide ?

Nina (entrant dans le salon) :
Le dîner est servi. J’ai allumé des bougies, y a plus de lumière…


(À suivre)

 

Laisser un commentaire